Les cyber-jihadistes : une redoutable armée de l’ombre, estiment des experts

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ébut janvier en France, les cyber-attaques se sont multipliées contre toutes sortes de cibles (Photo : Roslan Rahman)

[09/04/2015 11:58:42] Paris (AFP) Les cyber-jihadistes qui ont revendiqué l’attaque contre la chaîne TV5-Monde sont des spécialistes de haut niveau, qui agissent certainement en réseau et peuvent être basés n’importe où dans le monde, assurent des experts.

Depuis les attentats contre Charlie Hebdo et un magasin casher début janvier en France, les cyber-attaques se sont multipliées contre toutes sortes de cibles, mais celle qui a visé mercredi soir la chaîne de télévision internationale est d’un autre genre, beaucoup plus sophistiqué.

“Cela constitue sans conteste un pas de plus dans l’escalade”, estime pour l’AFP Gilbert Ramsey, chercheur au Centre pour l’étude du terrorisme et de la violence politique de l’université de Saint-Andrews, en Ecosse.

“Depuis des années maintenant, des cyber-attaques banales font partie du quotidien de la mobilisation islamiste. Ils ont mis en ligne des manuels à ce sujet. Mais cette fois, c’est un cran au-dessus”.

Le directeur général de la chaîne internationale francophone, Yves Bigot, a déclaré que la cyberattaque contre TV5Monde était “totalement sans précédent dans l’histoire de la télévision”.

“Les unités de cyber-combattants de groupes comme l’Etat islamique agissent en réseau”, explique M. Ramsey. “Vous avez affaire à une équipe de gens assez compétents, qui peuvent agir depuis n’importe où dans le monde”.

En plus de prendre le contrôle des sites internet de la chaîne, les hackers sont parvenus à empêcher TV5-Monde de fonctionner, et c’est une première, confie un enquêteur spécialisé, qui demande à ne pas être identifié.

“Les attaques cyber-jihadistes sont monnaie courante, mais c’est la première fois qu’ils parviennent à arrêter la diffusion de programmes”, dit-il.

“Comme dans le terrorisme classique, les cyber-terroristes présentent tous les profils. Après les attentats de janvier en France, les attaques se sont multipliées contre des cibles faciles, qui présentaient des failles de sécurité. Les enquêtes menées ont généralement conduit vers des pays du Maghreb. Parfois ils ne tentaient même pas de cacher les adresses IP des ordinateurs qu’ils utilisaient”, poursuit-il.

– Recrutement mondial –

La tradition de faire appel à des cyber-combattants dotés de bonnes capacités techniques est déjà ancienne, souligne pour sa part Daniel Martin, ancien commissaire à la DST (sécurité intérieure française), co-fondateur du Cybercrime Institute.

“Même à l’époque du Groupe islamique armé, (organisation jihadiste algérienne, qui a monté des attentats en France dans les années 90, NDLR), quand j’étais en fonction, on avait affaire à des ingénieurs informaticiens de haut niveau, capables de monter des opérations sophistiquées”, dit-il. “Donc il ne faut pas s’étonner, vu les moyens qu’a désormais l’Etat islamique, qu’il puisse se payer les meilleurs spécialistes”.

“Certains ont tendance parfois à dire que les jihadistes sont des terroristes primaires, mais ce n’est pas du tout le cas: ils ont des moyens techniques considérables!”, ajoute l’expert.

Pour lui, il est “certain” que l’attaque qui a visé TV5-Monde “est une opération de grande envergure, certainement préparée de longue date”. “Ce n’est pas à la portée du petit hacker de base. On n’est plus dans le domaine de l?amateurisme. Cette fois, ils ont fait mal”.

“Leur recrutement est mondial, ils mettent leur compétences en commun”, ajoute-t-il. “Un peu comme l’armée chinoise a formé des bataillons de guerre électronique, ils sont tout à fait capable de faire la même chose. Ce sont devenus de vrais acteurs de la guerre électronique. Et cela ne va pas s’arranger…”

Il n’est même pas certain qu’un commandement central, au sein de l’EI coordonne ce genre d’attaque, estime Gilbert Ramsay. “Je n’ai aucune preuve de cela. En fait, ce qui compte pour l’EI, c’est le rythme, le mouvement”, dit-il. “Ils veulent prouver qu’ils sont à l’offensive, sur le terrain ou dans le cyberspace. Après le revers qu’ils ont enregistré à Tikrit (en Irak), il peut être important pour eux de montrer qu’ils peuvent porter le combat ailleurs”.

Mercredi, quelques heures avant la cyber-attaque contre TV5, l’EI diffusait une vidéo dans laquelle cinq combattants filmés à Raqqa, ville où est le siège du groupe en Syrie, félicitaient les “chevaliers des médias” qui mènent le cyber-jihad et leur demandaient d’intensifier leurs efforts.