Tunisie – Indépendance : Le retour de Tahar Ben Ammar

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La célébration du 59ème anniversaire de l’indépendance est rehaussée par un événement phare. Un livre dédié à Tahar Ben Ammar vient d’être édité. L’auteur de cet ouvrage n’est autre que le fils de cette figure illustre de l’histoire de Tunisie.

Rappelons que Tahar Ben Ammar a présidé le gouvernement de la Tunisie beylicale d’août 1954 à avril 1956. Il a été appelé à cette fonction à la demande de Lamine Bey en concertation et avec l’assentiment de toutes les forces politiques et nationales qui œuvraient au mouvement national, essentiellement le Néo Destour et l’UGTT.

Son mandat, qui avait fait l’unanimité de la classe politique, toutes tendances confondues, était ressenti par tous comme le couronnement du parcours patriotique de ce combattant déterminé et inflexible.

A la tête de ce gouvernement formé des principaux dirigeants du néo Destour, Tahar Ben Ammar avait pour mission de conduire de bout en bout les négociations qui ont mené à l’autonomie interne en 1955, et à l’indépendance le 20 mars 1956.

C’est encore lui qui a obtenu du Bey l’accord pour convoquer la 1ère Constituante. C’est surtout lui qui, volontairement, a cédé son siège à un successeur qu’il a lui-même désigné et cautionné auprès du Bey le 17 avril 1956.

Pourquoi un livre 59 ans plus tard peut-on se demander? Nous nous emploierons à cerner les principaux ressorts du défi qui a guidé  l’auteur dans sa courageuse et méritoire  entreprise.

Une machination délibérée malveillante et maladroite

“L’histoire est tragique“. Ce constat dramatique nous le devons à Raymond Aaron. Nous l’avons éprouvé dans le cas de Tahar Ben Ammar dont l’œuvre patriotique, la mission politique et l’action à la tête du gouvernement de l’indépendance ont été évacuées de l’histoire de Tunisie. Peu importe qui a conduit cette machination abominable, l’essentiel est que l’histoire officielle de Tunisie n’a pas fait grande place à l’homme, à hauteur de ce qui doit lui revenir. Une véritable décimation de la documentation qui se rapporte à cette figure, dont la trajectoire patriotique a occupé l’essentiel de sa vie, à ses faits et réalisations importantes a été orchestrée avec le résultat que l’on connaît. Et puis cet effroyable épilogue d’un procès politique monté de toutes pièces tout aussi inique que préfabriqué a entaché, de manière abjecte, la mémoire nationale.

De rares bonnes volontés ont consacré quelques travaux sommaires à la vie de Tahar Ben Ammar. Un travail de mémoire a manqué. On courait le risque de voir se dilapider une partie précieuse de notre histoire. C’est en toute logique ce qui a motivé son fils à s’atteler au travail et rédiger l’ouvrage en question.

Dans ce livre de 750 pages, illustré de documents d’une valeur inestimable et de photos inédites, l’auteur restitue des éléments de première importance aux historiens. Le livre est narratif, chronologique, étayé, merveilleusement documenté au ton digne, avec ce qu’il faut de hauteur et de distance. On décèle une démarche respectable du chercheur méticuleux, méthodique, ainsi qu’une veine authentique d’écrivain.

Nous pensons que ce livre est un acte de foi, l’aboutissement d’un bon travail d’investigation et un monument d’histoire qui constitue le matériau de base qui a fait défaut, jusque-là. C’est proprement salutaire pour la conscience nationale.

Le pari de crédibilité

L’auteur sait mieux que quiconque que son travail sera examiné sous l’œil impitoyable de l’évaluation critique. Ce jeudi 19 mars, il organise une conférence à ‘‘Beit Al Hikma’’ pour présenter son livre au public. Le public pourra juger de quelle manière l’auteur est parvenu à dominer sa subjectivité pour parler de son propre père avec l’œil du narrateur détaché, du chercheur rigoureux, du juste commentateur et du critique rationnel. A l’évidence, l’auteur abordera la relation de Tahar Ben Ammar avec Habib Bourguiba. Le public se fera une opinion de la manière dont l’auteur a su faire la part des choses sans prendre à l’un pour donner à l’autre et s’il sait bien rétribuer chacun à son juste apport.

Les deux hommes, chacun à sa manière, ont pris rendez-vous avec l’Histoire et chacun s’y est présenté à sa façon. Leurs parcours se sont mêlés

et entrechoqués, on verra comment l’auteur s’acquittera du devoir de marquer la part d’individualité de chacun. Passe encore que l’histoire soit tragique, mais le hasard peut faire que la politique, à son tour, soit ingrate et oublieuse. Et elle l’a été cruellement avec TBA. Peut-elle manquer de discernement au point de se retourner contre celui qui a toujours cherché à fédérer et non régenter, à partager sans accaparer et à passer la main une fois sa mission terminée. Ce soubresaut d’inconséquence a éloigné définitivement l’homme de la vie publique. Au point de le dégoûter d’écrire ses propres mémoires alors qu’il en avait le temps et le talent? Il aurait donc seriné l’essentiel de ses moments d’histoire à son fils Chedly, dont on devine qu’il a été son compagnon de route au crépuscule de son épopée politique.  L’auteur, en rédigeant ce livre veut-il se donner pour mission de loger son père au Panthéon national ? Ce serait dans l’ordre des choses, cependant il faudrait que cela soit l’expression d’une volonté populaire et non la seule initiative d’un fils reconnaissant.

Ce livre suscitera-il une dynamique populaire de réhabilitation à hauteur de la gloire du personnage public qu’était Tahar Ben Ammar? Dans cette perspective, Chedly Ben Ammar, en fils vertueux, transformerait un essai de librairie en best seller convertissant une tragédie politique en juste réhabilitation posthume. Il faut reconnaître que cela réconciliant le grand peuple tunisien avec son passé. Ce serait, au plan littéraire, une modification génétique de grand style. Un drame shakespearien dont on aurait transformé la chute en Happy End. De la pure féérie. Rien d’étonnant à cela Chedly est sadikien.

Nous y reviendrons