Internet : “Charliehebdomassacre.com”, une adresse web à vendre parmi des millions

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encadrement progresse lentement (Photo : Lionel Bonaventure)

[16/01/2015 08:37:59] Paris (AFP) Parmi les nombreuses tentatives de récupération commerciale de l’attentat contre Charlie Hebdo, la création d’adresses de sites internet aussitôt remises en vente est le symbole d’un commerce sans morale, dont l’encadrement progresse lentement.

Créée le jour même de l’attaque contre l’hebdomadaire satirique, l’adresse “charliehebdomassacre.com” est déjà à revendre au plus offrant, comme d’autres coquilles vides telles que “charliehebdoshooting.com”, tandis que “je-suischarlie.com” est mis à prix 349 euros sur la plateforme d’échanges de noms de domaine du groupe allemand Sedo.

Principale place pour la revente de noms de domaine, cette bourse a enregistré un volume de ventes supérieur à 70 millions de dollars (60,3 millions d’euros) en 2013 et de près de 36 millions de dollars au premier semestre 2014.

Les vendeurs – appelés “domaineurs” – espèrent peut-être rejoindre au livre Guinness des records l’ancien propriétaire de l’adresse “sex.com”, cédée en 2010 pour la bagatelle de 13 millions de dollars, ou celui de “porn.com”, qui s’était négocié 9,5 millions de dollars en 2007.

Mais les transactions sont rares: 37.000 en 2013 et 16.000 de janvier à juin 2014 via la plateforme de Sedo, qui revendique 18 millions de noms de domaines proposés par 2 millions de domaineurs.

D’autres viendront sans doute bientôt s’y ajouter, comme les adresses “charliehebexecute.fr” et “charliecoulibaly.fr”, soldées 6,99 euros au lieu de 15,99 euros par le groupe américain GoDaddy, principal registraire (ou bureau d’enregistrement) de nouveaux noms de domaines.

“Le commerce est libre”, observe Charles-Edouard Pezé, juriste chez Gandi, le deuxième registraire français. “On se doit de traiter toutes les demandes de manière neutre et passive. Le principe, c’est premier arrivé, premier servi et même seul servi”, ajoute-t-il.

– Dispositifs de contrôle –

La règle souffre toutefois quelques exceptions, en particulier pour les marques déposées, dont les titulaires peuvent depuis mars 2013 faire valoir leurs droits auprès d’un organisme créé par le régulateur mondial d’internet, l’Icann.

Cet encadrement accompagne la mise à disposition progressive de plusieurs centaines de nouvelles extensions de noms de domaines, comme les populaires “.xyz”, “.club” et “.berlin”, qui multiplient les possibilités d’enregistrement à des fins d’extorsion – ou “cybersquattage”.

Un dispositif complémentaire a été mis en place en 2011 par l’Association française pour le nommage internet en coopération (Afnic), opérateur de registre – un grossiste pour registraires – accrédité par l’Icann sur plusieurs extensions dont les “.fr”, “.paris” et “.bzh”.

Baptisée Syreli (pour “système de résolution des litiges”), cette procédure permet de “traiter 150 à 200 cas par an”, précise Pierre Bonis, directeur général adjoint de l’Afnic.

Mais dans un pays où le Conseil constitutionnel a censuré en 2010 les règles encadrant l’attribution des noms de domaine au nom des libertés de communication et d’entreprise, “il n’y a pas de possibilité de contrôle a priori”, explique-t-il.

Ce qui n’a pas empêché l’Afnic de déclencher “volontairement une surveillance sur les enregistrements” liés à Charlie Hebdo après l’attentat du 7 janvier. “On s’inquiétait qu’il y ait des choses malsaines, on a vu beaucoup de sites de collecte de dons. On a téléphoné aux titulaires pour vérifier leurs adresses et leur demander des copies de leurs cartes d’identité. Heureusement, ils étaient tous sincères, sauf un”, relate-t-il.

Si l’Afnic n’exige, pour créer un “.fr”, qu’un lieu de résidence dans l’Union européenne, d’autres opérateurs de registres protègent davantage leurs extensions, comme Startingdot, qui exploite notamment les extensions “.archi”, “.bio” et “.ski”.

Fondée fin 2011, cette entreprise a noué des partenariats avec l’Union internationale de l’architecture, la Fédération internationale du mouvement bio (Ifoam) ou encore la Fédération internationale de ski pour limiter les enregistrements aux demandeurs légitimes.

“L’opérateur de registre est un suzerain libre de définir les règles sur son domaine, mais ensuite elles sont immuables”, résume Guillaume Buffet, fondateur et directeur général de la société basée à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine).

C’est précisément pour obtenir des règles protectrices sur les extensions “.wine” et “.vin” que la Commission européenne et la France font pression depuis près de deux ans sur l’Icann, afin d’empêcher une spéculation à vau-l’eau sur les appellations contrôlées.