Canada : l’exportation du pétrole bute sur les bélugas du Saint-Laurent

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étrolière. (Photo : Clement Sabourin)

[01/10/2014 07:45:02] Cacouna (Canada) (AFP) Posées sur le Saint-Laurent, les deux barges scrutent les profondeurs du fleuve. Sondages sismiques et forages doivent permettre de vérifier que ces eaux, au c?ur de la zone de reproduction des bélugas, sont idéales pour accueillir un terminal pétrolier tourné vers l’Europe.

Même si les vrais travaux ne devraient pas débuter avant au moins 2016, et les premiers pétroliers accoster avant 2018, la seule mise à l’eau de cette petite armada a suffi à enflammer l’opinion publique au Québec.

Avant que la controverse ne s’élève et que des pancartes “Coule pas chez nous” viennent fleurir dans les jardins, Cacouna était un petit village endormi sur la rive sud de l’estuaire du Saint-Laurent, bercé par les marées et les vols d’oies sauvages.

Désormais, ce bourg de 2.000 âmes incarne bien malgré lui un énième combat à la David contre Goliath opposant défenseurs de l’environnement et industrie pétrolière de l’ouest du Canada.

Avec en ligne de mire, le sort incertain d’une colonie de bélugas.

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ût 2007 (Photo : Guillaume Lavallée)

Bien que les rivages de Cacouna soient particulièrement prisés par ces petites baleines blanches pour mettre bas, le géant canadien de la distribution d’hydrocarbures TransCanada a l’intention d’y construire un port en eau profonde directement relié aux gisements de sables bitumineux de l’Alberta (ouest).

A raison de 1,1 million de barils par jour, le méga-oléoduc qui serait bâti pour l’occasion remplirait jusqu’à cinq super-pétroliers par semaine.

“Si on te demande où il ne faut pas mettre ce port, c’est là! Tu peux le mettre ailleurs, mais pas là!”, tranche Emilien Pelletier, océanographe à l’Institut des sciences de la mer (ISMER).

Rorquals, phoques, bélugas, “il y a des mammifères partout” et en cas de marée de noire en hiver, lorsque la glace rend la navigation difficile, “il n’y aurait presque rien à faire” pour protéger les réserves naturelles environnantes, dit-il.

Cacouna se situe au c?ur d’une zone prisée pour l’observation de baleines, en particulier des bélugas. Ce cétacé tout blanc, dont le bec rieur est surmonté d’un large front, vit habituellement dans les eaux polaires de l’Arctique, mais quelque 900 têtes frayent également dans l’estuaire du Saint-Laurent.

– Mortalité mystérieuse –

Classée en “voie de disparition” par le Canada, cette colonie est scrutée par les scientifiques qui, à l’instar de M. Pelletier, ne parviennent pas à expliquer la baisse de 30% de la population en une décennie.

“On voit tous que les bélugas sont en diminution depuis dix ans, mais on ne sait pas pourquoi. Alors bon… Avant on pêchait bien des harengs et des anguilles ici, c’est fini”, observe la maire du village, Ghislaine Daris, convaincue que le port pétrolier va créer “des emplois et du développement économique” mais ne sera aucunement “le clou dans le cercueil” des cétacés blancs.

Convaincue que tout est joué d’avance, Isabelle, qui tient l’unique taverne du village, essaie de positiver: le transport de pétrole “serait quand même mieux sur le fleuve qu’à traverser des villages comme Lac-Mégantic”, où 47 personnes sont mortes lors du déraillement d’un convoi de wagons-citernes, en juillet 2013.

Depuis une décennie que l’Amérique du Nord s’est lancée dans la production de pétrole non conventionnel (schistes ou sables bitumineux), le manque d’infrastructures pour distribuer les hydrocarbures est en effet chaque jour plus problématique.

Entre le président américain Barack Obama qui s’oppose à l’oléoduc Keystone XL, devant acheminer le pétrole de l’Ouest canadien aux raffineries américaines du golfe du Mexique, et la province canadienne de Colombie-Britannique qui refuse que ses ports servent à exporter du brut vers l’Asie, Cacouna est donc devenue l’ultime solution pour TransCanada.

Le sentiment qu’une question aussi cruciale pour l’avenir du village et de sa région soit décidée ailleurs en exaspère plus d’un, tel André Ouellet dont la maison donne à 180 degrés sur l’estuaire. “Tout ça va se gérer en Alberta!”, peste ce jeune retraité, qui ne “comprend pas que les scientifiques ne soient pas davantage écoutés”.

Rédacteur en chef du journal local et opposant résolu au port pétrolier, Yvan Côté regrette “qu’en acceptant ce projet le Québec aille à l’encontre de ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre”.

Le minimum, estime-t-il, serait de consulter la population en organisant un référendum à Cacouna, ce que la maire n’exclut pas, tout en affirmant que son “seul pouvoir c’est de veiller à la sécurité des habitants”.

Dans l’immédiat, les travaux ont été suspendus trois semaines, jusqu’à la fin de la période de reproduction des bélugas, mi-octobre, à la suite d’un jugement sévère d’un tribunal québécois.

Dès le lendemain toutefois, le Premier ministre québécois Philippe Couillard a assuré que le chantier reprendrait, se disant convaincu “qu’il ne faut pas opposer environnement et développement économique”.