L’audiovisuel tunisien serait-il dans le giron d’Al-Qaïda?

wmc-caricature-terrorisme-journaliste.jpgLes journalistes et animateurs des plateaux de télévision tunisiens sont-ils assez outillés, intellectuellement, pour lutter contre le terrorisme? Plus simplement encore, sont-ils assez informés de l’abondante littérature publiée sur l’histoire et les stratégies du terrorisme dans le monde?

Ces questions méritent d’être posées, aujourd’hui, au regard des bourdes et dérapages qui ont eu lieu ces temps-ci sur les plateaux télé.

La Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), institution régulatrice de l’audiovisuel, est, certes, intervenue, à maintes reprises, pour mettre le holà. Lui emboîtant le pas, militaires, policiers et autres experts antiterroristes n’ont cessé de mettre en garde contre les nombreux avantages que peuvent tirer les terroristes de leur apparition à la télévision pour gagner la sympathie du public.

Pour leur part, les animateurs, naïvement persuadés que la liberté de la presse consiste à donner, pêle-mêle, la parole à tout le monde, y compris les ennemis de cette même liberté, en l’occurrence ces terroristes islamistes et leurs relais parmi les hommes politiques, juristes et autres ONG écrans, semblent faire fi de ces mises en garde et réprimandes.

A preuve, l’animateur de l’émission «Labess» sur la chaîne Ettounissia, Naoufel Ouertani, bien qu’il ait été rappelé à l’ordre pour avoir invité un «faux terroriste», récidive lors de l’émission suivante en invitant la famille d’Imed Dhij, membre en arrestation d’une organisation terroriste, en l’occurrence les ligues s’autoproclamant protectrices de la révolution.

Refuser d’être des “blanchisseurs“ du terrorisme…

Bien avant lui, son collègue Samir El Ouafi, sermonné par la HAICA pour avoir donné la parole au père du terroriste Ghadghadi et surtout au cheikh salafiste Khamis el Mejri qui a qualifié Ben Laden de «martyr», ne rate aucune émission pour revenir à la charge et inviter des blanchisseurs du terrorisme tel que l’homme d’affaires Iskander Rekik qui avait accusé les victimes de la tuerie d’Ouled Mannai, à Jendouba, d’être sortis la nuit pour chercher de l’or.

Leur ancien collègue, Moez Ben Gharbia avait profité, à l’époque, de la somnolence de la HAICA pour inviter, dans l’impunité la plus totale, des salafistes djihadistes dont un avait brandi, au cours de son émission et en présence d’Ali Larayedh, alors ministre de l’Intérieur, son linceul en signe d’appel au sacrifice et au Jihad.

Les animateurs des autres chaînes, particulièrement ceux d’Al Moutawassit, Nessma et Hannibal, n’ont pas échappé à la règle, celle-là même qui consiste à offrir la possibilité à des terroristes et à leurs logisticiens de banaliser les actes terroristes, de les assimiler à des crimes organisés ou à des règlements de compte entre chercheurs d’or. La palme d’or revient, toutefois, aux animateurs d’Al Moutawassit.

Conséquence: par l’effet de l’inculture de ses journalistes et de leur méconnaissance de l’ennemi –ici le terrorisme-, l’audiovisuel tunisien fait le jeu de la propagande médiatique des terroristes et serait, par ignorance, dans leur giron.

Attention à la course à l’audimat…

En d’autres termes, ces journalistes animateurs, sous prétexte de favoriser le débat public, aident le terrorisme à atteindre un des ses principaux objectifs, celui d’influencer le public et de transformer un échec opérationnel (cas de l’opération de Raoued) en réussite, le djihad contre les mécréants et les taghouts. C’est ce qu’a fait, justement, Samir El Ouafi dans son émission «A celui qui ose seulement» sur Ettounissia quand il avait blanchi le terrorisme en amenant les spectateurs à s’apitoyer sur le père du terroriste Ghadghadi.

Porte-drapeau de la guerre des idées terroristes…

Est-il besoin de rappeler ici qu’un groupe terroriste comme Al-Qaïda croit fermement à la guerre des idées et estime que sa stratégie médiatique est un complément crucial de sa campagne opérationnelle?

«Les deux tiers du combat se passent dans les médias», selon Aymen El Zawahiri, numéro 2 d’Al-Qaïda. Bien avant lui, Gerry Adams, chef du Sinn Fein (IRA), avait déclaré: «la lutte armée devient propagande armée». Consciente de cette tactique, la Première ministre de l’époque, Margaret Thatcher avait interdit à la presse britannique de l’interviewer.

Ne pas être l’oxygène du terrorisme…

Dans un témoignage cité par une étude référence sur la stratégie médiatique d’Al-Qaïda, Angela Gordon, chercheuse au Centre canadien intégré d’évaluation des menaces, les organismes de sécurité estiment que, «dans leur longue lutte acharnée contre la “propagande pernicieuse“ d’Al-Qaïda, leur capacité de réfuter la légitimité de cette propagande et de mettre un frein à la radicalisation était liée à leur aptitude à marginaliser le message des islamistes radicaux avant que les masses ne l’adoptent».

Moralité: les médias sont l’oxygène des terroristes. Car handicapés par leur infériorité numérique et par un rapport de force en leur défaveur face aux Etats, ils y voient un raccourci heureux pour remporter des victoires psychologiques en gérant au mieux les impressions pour mieux influencer le public et le faire adhérer à leurs thèses.

Au final: le terrorisme est plus qu’un ensemble d’actes de violence extrêmes, un déni de la vie. D’où l’enjeu pour les médias de se comporter à son endroit avec zéro tolérance.