Printemps arabe (3) : La longue marche vers la récupération des capitaux et biens détournés

Expo-vente-biens-confisques.jpgMalgré les progrès –politiques, juridiques et judiciaires- déjà enregistrés et en cours, la récupération des avoirs détournés demeure une tâche hautement compliquée, donc de –très, très- longue haleine. D’abord, parce que les obstacles et les difficultés ne manquent pas. Le premier d’entre eux –et ce n’est pas le moindre- réside dans le fait que, selon Pierre CONESA, consultant et maître de conférences à Sciences Po Paris, «on a aujourd’hui des gens qui savent gérer leur argent pour éviter qu’il soit repéré. Les Ben Ali et Trabelsi ont leurs patrimoines dans des pays tutélaires, mais également dans des pays du Golfe et d’autres –comme l’Argentine- où il n’y a pas de conventions d’extradition».

En effet, selon Jean François BAYART, la plus importante ressource des élites dirigeantes africaines ce ne sont pas tellement les capitaux que «leur bagage intellectuel». Certes, un “Bac-10“ comme Eyadéma a longtemps “blousé“ (tromper) des BAC+10. Mais aujourd’hui, les gens sont beaucoup mieux formés et l’accès au savoir est la clef de la poursuite de l’accumulation prédatrice de capitaux.

Ensuite, pour Pierre CONESA, «après l’effondrement et la fuite du dictateur et des siens, il s’avère difficile de reconstituer les avoirs. Car les entreprises multinationales qui l’ont arrosé ne peuvent pas aider à cette reconstitution». Certes, «il est possible d’engager des procédures en vue de la récupération, mais cette opération est aujourd’hui plus difficile qu’au temps de Bokassa, puisque les dictateurs ont recours à des “Banksters“ (contraction de Banker –banquier- et gangster) pour les aider à rendre l’argent intraçable», analyse l’universitaire. Ce qui complique d’autant plus la traque, y compris au sein de l’Union européenne à laquelle Pierre CONESA reproche d’être dans une «situation hypocrite», puisque cet ensemble «dénonce les paradis fiscaux mais en compte une cinquantaine en son sein».

Mais qu’elle se fasse à l’encontre d’anciens dictateurs ou de personnes lambda, la recherche d’actifs en vue de leur confiscation est un exercice très compliqué. Plus compliqué néanmoins lorsque la cible est un ancien chef d’Etat ou haut responsable politique car «vont alors entrer en ligne de compte, en plus des considérations juridiques, des problématiques politiques et diplomatiques», avertit Jean-Marie Duniau, analyste chez Kroll France, la filiale française d’une agence de détectives privés américaine.

Une des questions que se posent en premier les détectives concerne le degré d’engagement «des gens en place et qui souhaitent mandater une société pour retrouver des actifs». «Ont-ils la capacité et la volonté d’aller au bout des choses?», se demande Jean-Marie Duniau, qui répond aussitôt que «ce n’est pas toujours le cas».

Une fois cette question élucidée, le processus débute en interne, dans le pays concerné. «Là on va utiliser les moyens de l’Etat pour la recherche, mais nous n’intervenons pas. Par contre, il faut à ce stade mettre en place un cadre juridique solide pour l’opération de recherche pour garantir que les décisions de la justice locale puissent être opposables dans d’autres pays».

Cette action judiciaire peut «se doubler d’actions diplomatiques par le biais de pays alliés en mesure de faire jouer leur influence». Et pour cela, souligne le représentant de Kroll France, «il est nécessaire de disposer d’informations. Car les gens qui ont détourné des actifs sont constamment à l’affût de nouvelles méthodes et de schémas plus complexes de camouflage qui nécessitent d’avoir des gens capables de trouver ces informations».

Les Etats n’étant pas toujours, faute de moyens adéquats, en mesure d’y accéder, ce sont d’autres acteurs, comme Kroll France, qui prennent alors le relais. Et pour percer le secret des actifs détournés, ils mettent en œuvre d’autres moyens, comme l’audit de tous les comptes et sociétés disponibles en interne –pour suivre ensuite «les différents fils qui partent vers d’autres personnes, sociétés et pays», note Jean-Marie Duniai, l’analyse des voyages –notamment lorsqu’ils se répètent vers une certaine destination-, des ordinateurs des dictateurs ou de membres de son entourage, etc. Mais averti cet expert, «il ne suffit pas d’identifier les actifs pour pouvoir les saisir. Pour ce faire, il est nécessaire d’établir la chaîne entre l’actif et la personne objet de la confiscation en utilisant tous les moyens juridiques qui s’offrent».

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