TRIBUNE : Nomen est Omen, l’incroyable épopée de l’ingénieur tunisien

Par : Autres

chokri-01022014.jpgCette
locution latine communément connue, signifie que le titre, le terme ou le mot
exprimé, serait un présage qui conjure le futur. Des adages qui véhiculent le
même concept intello-spirituel ne manquent pas dans notre culture tuniso-tunisienne.
En effet et loin de vouloir me vanter de capacités oraculaires, je voudrais
juste rappeler qu’en septembre 2011, c’est-à-dire bien avant les premières
élections libres et transparentes de l’histoire de notre chère patrie, je
publiais un article intitulé: «A quand la République de l’ingénieur?».

Ce fut un fervent appel pour que la nouvelle République en gestation concède à
l’ingénieur le rôle de premier plan qui lui revient, dans la prise de décisions
sur les grands choix de développement et de la reconstruction de notre pays.

C’était aussi un plaidoyer pour la valorisation et la réhabilitation de
l’ingénieur et de son rôle dans la société, et ce pour l’intérêt général de
notre pays plus que dans un dessein de solidarité corporatiste ou d’un parti
pris chauvin pour une caste, qui, par ailleurs faut-il rappeler, avait subi tous
les sévisses de la première République et qui continue à payer, aujourd’hui
encore, les frais des abus du passé.

Mes vœux étaient plus qu’exhaussés, puisqu’on a assisté ces derniers jours à la
passation des pouvoirs exécutifs entre l’ingénieur Jomaa et l’ingénieur Larayedh,
lui-même investi à la primature du gouvernement après la démission de
l’ingénieur Jebali, quelques dix mois auparavant.

Dans son allocution, le nouveau chef du gouvernement a félicité et rendu hommage
à son prédécesseur et ancien patron pour la collaboration qu’il a qualifiée
d’harmonieuse et libre de toutes entraves, puisqu’elle était basée, d’après ses
dires, sur la logique en arguant par la même que Si Ali, tout en étant chef du
gouvernement, n’a pas oublié qu’il était avant tout un ingénieur. Non pas un
pouvoir astrologique occulte, mais plutôt cette logique propre à l’esprit
cartésien de l’ingénieur, à laquelle le nouveau chef du gouvernement faisait
allusion, m’a permis moi-même de prédire cette évolution dans l’article précité.

Je pensais -et les faits aujourd’hui me confortent dans mes certitudes- que
lorsque le jeu n’est pas tronqué et les dés ne sont pas truqués, ce sont a
fortiori les meilleures têtes du peuple qui immergeraient vers son leadership.
Ce n’est certainement pas un hasard qu’une fois la révolution a permis au peuple
de restaurer sa souveraineté, de s’exprimer librement et de choisir ses
dirigeants à travers des élections transparentes qui défient tout soupçon de
falsification, qu’on retrouve pour la première fois des ingénieurs et des
médecins à la tête des plus hautes instances de l’Etat démocratique, puisque, ne
l’oublions pas, les cerveaux les plus brillants de la nation passent
inéluctablement par les écoles d’ingénieurs ou les facultés de médecine.

Cette tendance est confirmée dans d’autres pays du printemps arabe, comme
c’était le cas en Egypte où la démocratie, là une fois encore, a hissé
l’ingénieur Morsi à la magistrature suprême, avant que le putsch ne reprenne les
droits du régime dictatorial, qu’on croyait déchu. Ce changement radical et
cette nouvelle donne dans le paysage politique national n’étaient visiblement
pas du goût, entre autres, d’une des figures de proue de la magistrature, qui
voyait de sa perspective un monde à l’envers et qui, dans un lapsus révélateur,
a dit à haute voix ce que pense l’establishment à voix basse, je cite: «il ne
maque plus qu’un ingénieur (gouvernement) ou un chauffeur de louage (ANC),
décide du sort d’un magistrat». Cette bourde considérée comme affront collectif
n’a pas tardé à provoquer un tollé sans précédent dans la communauté des
ingénieurs, connus pourtant pour leur penchant presque endémique à faire profil
bas en toutes circonstances et qui ont demandé, à travers l’Ordre des
ingénieurs, d’avoir des excuses de la part de l’honorable magistrate.

Cette doléance exprimée par les ingénieurs est restée bien évidement lettres
mortes jusqu’au jour d’aujourd’hui, car un magistrat épris du sentiment effréné
du pouvoir quasi-absolu de jadis, qui lui permettait à lui seul de statuer sur
le sort du commun des mortels et qui était sur le point de consolider davantage
son pouvoir dans la nouvelle constitution à coup de lobbying, de grèves et de
sit-in, ne songerait même pas dans ses visions les plus cauchemardesques à se
rabaisser pour s’excuser auprès d’un ingénieur!

Les politiques se félicitent sans cesse, que l’administration a continué à
fonctionner dans les jours les plus tumultueuses de la révolution, permettant
ainsi la continuité sans faille de l’Etat. En effet, le peuple tunisien a fait
toute une révolution sans être contraint à se priver d’eau ni d’électricité. Je
dirais sans prétention aucune, qu’en grande partie c’était grâce à l’abnégation
du soldat de l’ombre qui s’appelle Ingénieur, qui a continué à assumer son
devoir au service de la nation sans jamais céder à la tentation de profiter de
l’affaiblissement manifeste de l’Etat pour exercer l’extorsion flagrante à
travers l’agitation, les blocages, les grèves, les contestations et les sit-in,
comme pratiqués presque sans exception par tous les autres corps de métiers.

L’ingénieur a continué à défendre la pérennité des entreprises, à retenir les
industriels étrangers pour qu’ils ne commettent pas l’irréparable en quittant le
pays, à sauvegarder l’emploi, à faire fonctionner l’économie et assurer le flux
des exportations, subissant en plein fouet toutes sortes d’atteintes à son
intégrité physique et morale, perpétrées par des énergumènes qui profitent des
contestations et des mouvements sociaux, attisés par les caïds syndicaux, pour
imposer leurs lois et dilapider ainsi l’Etat et les entreprises. C’est d’autant
plus grand que furent l’amertume et la déception, lorsque l’ingénieur Jebali,
alors chef du gouvernement, n’a pas vu bon de considérer l’ingénieur, comme
l’égal de l’universitaire, du juge ou du médecin, en lui réservant au même
titre, un statut spécial dans les négociations sociales.

Notre Etat et notre peuple, dans l’emprise du chaos, des paradoxes et des
aberrations à cause de l’absurdité qui a caractérisé l’esprit, qui a sévi sous
nos cieux par le passé, ont besoin plus que jamais de l’ingéniosité, de la
logique et de l’esprit bâtisseur et cartésien de l’ingénieur pour faire
fonctionner notre pays d’une façon rationnelle et ordonnée, à l’image d’une
horloge suisse. Il est d’une importance majeure qu’un nouveau contrat social
soit élaboré et mis en exécution sans délais, dans lequel l’obtention et même la
préservation des acquis (surtout ceux obtenus après la révolution) ainsi que
l’ascension politique, économique et sociale soient tributaires de la capacité
de se rendre utile et non nuisible pour la communauté nationale.

A cette croisée des chemins, les ingénieurs tunisiens sont appelés à s’assumer
pour assumer leurs responsabilités patriotiques, non seulement à la tête mais
aussi et surtout dans tous les rouages de l’Etat et de l’économie productive, au
service de la patrie et de son développement intégral et durable.

Enfin, je ne peux me retenir de lancer un appel à mes collègues ingénieurs, que
désormais il faut se lever chaque jour et aller travailler pour bâtir notre
pays, en se disant haut et fort: lève ta tête, tu es ingénieur!

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*Ingénieur