Tunisie : Lahlouba ou l’éveil citoyen!

selima-abou-touensa.jpg«Cesse de dormir citoyen!». C’est une petite fille de 120 m qui lance cette incitation. Elle s’appelle Lahlouba.

Héroïne d’une bande dessinée produite par la dynamique association www.touensa.org, elle pose des questions qui dérangent sur les principes de la démocratie et à leurs applications parfois surprenantes.

La bande dessinée, d’une trentaine de pages, est divisées en plusieurs planches d’une page évoquant chacune un thème clef de la démocratie sous une forme ludique.

Chaque principe, aussi abstrait soit-il, est présenté à travers ses implications pratiques, dans une situation quotidienne immédiatement intelligible pour un enfant.

Ecrite en arabe dialectal, la BD est tirée à 5.000 exemplaires et se veut un support pour les associations pour expliquer, de façon légère, un concept sur lequel peu de politiques, d’associations et d’organismes travaillent: la citoyenneté.

A une heure où les débats et les dissensions entre les politiques font rage, qui aide les populations à comprendre et préempter le concept de la citoyenneté? Quelles associations ont vraiment investi ce champ? Pour cela et pour la qualité de la BD, «Cesse de dormir citoyen!», est un travail remarquable. Il se doit d’être continué sur d’autres thèmes comme les élections ou la corruption.

Le concept gagnerait aussi à être réédité en masse, à être distribué dans les écoles et lycées. Il serait aussi utile d’en voir une version télévisée, et c’est à ce titre que les pouvoirs publics devront s’adjoindre aux efforts de la société civile pour travailler à former les générations de demain.

Rencontre express avec Selima Abbou, présidente de l’Association Touensa, éditrice de la BD.

WMC: Pourquoi une petite fille?

Sélima Abbou: Le choix de «Lahlouba» ne résulte pas simplement d’une volonté de favoriser l’identification du jeune lecteur, mais de toute la pertinence du regard des enfants, généralement avides de justice, de cohérence, en perpétuel recherche d’un monde qui fasse sens. Les enfants ont de surcroît la merveilleuse capacité d’interroger la moindre contradiction, là où les adultes suite à leur apprentissage social sont dominés par leurs habitudes et par des automatismes lesquels les empêchent d’interroger la réalité.

Pourquoi Lahlouba?

Lahlouba résume la pertinence et l’éveil. Son innocence équivaut à la naïveté et la flamme de la jeunesse qui s’opposent aux regards et comportements des adultes biaisés. C’est cette curiosité qui fait entrevoir et voir les travers des adultes.

A qui est destinée cette BD?

L’ouvrage est destiné à un public de tous âges mais a cependant été conçu pour se prêter particulièrement à un jeune public et pour pouvoir servir de guide, de matériel pédagogique et d’animation au corps enseignant. Ceci dit, la BD s’adresse à un public qui va de 7 à 77 ans.

Quel est le fil conducteur de cette BD?

Chaque page est une planche de citoyenneté et traite d’un de ces thèmes. L’objectif est de permettre aux gens de se poser des questions sans forcément donner de réponses.

Donner une réponse c’est donner une clef toute prête, or ce n’est pas le but de la manœuvre. Nous voulions que les gens se posent simplement des questions.

Faite en partenariat avec l’association «Khammem et Karrer», nous voulions, avec cette BD, tourner un peu en dérision et faire rentrer un peu d’humour dans ce monde de prises de tête, de violences verbales et d’échanges politiques.

Par ce support, le thème de la citoyenneté devient agréable et ludique. Nous avons été surpris de l’impact et de l’accueil fait à cette BD.

Quid du coût à part les mois d’efforts?

Il a couté 6 mois de travail et en impression pour la BD, les teeshirts, les stylos… C’est un gros budget d’environ 100.000 de dinars avec la créa. Mais le plus fou dans l’histoire, ce sont les ateliers de création que nous avons organisés, notamment au cours du Forum Mondial Social. Nous avons eu un monde fou! Le dialogue s’est alors inscrit et chacun a apporté son point de vue.

L’expérience est inoubliable. Nous avons recommencé le forfait sur l’avenue Habib Bourguiba avec le même succès et avions alors travaillé sur la violence.

Et les réactions au niveau des politiques?

Il y a eu quelques réticences. Certains nous ont demandé pourquoi plonger les enfants dans la politique et estimaient qu’il faut les en préserver. C’est là où nous nous inscrivons en faux. D’abord, car «Cesse de dormir citoyen!» est une BD, donc un outil qui peut être exploité comme chacun l’entend.

Ensuite, l’enfant et les jeunes sont le cœur du sujet. Y a-t-il un autre moyen de former une autre génération? Cette BD plaît. Elle est bien faite, intelligente et vraiment «marketté». Par ses questions, elle dérange.

Par contre, beaucoup d’associations nous sollicitent. Nous allons former des formateurs qui vont pouvoir animer à leur tour des ateliers. Ces associations auront des outils avec un cahier citoyen sur lequel nous sommes en train de travailler et pourrons instaurer un travail participatif de groupe

Lahlouba va-t-elle s’attaquer à d’autres sujets?

Evidemment, elle va s’attaquer à l’accès à l’information public. Lahlouba est en train de devenir notre mascotte. Elle va se mettre au travail sur la violence, sur les élections… Que de grands projets en l’occurrence.

Lahlouba va-t-elle réussir à évoluer dans un pays démocratique?

C’est elle qui va pousser une certaine frange de la population à être active. Je ne crois pas que les politiques ont la solution miracle. C’est aux populations de pousser, d’être demandeuses.

Les gens sont conscients mais peinent à découvrir les mécanismes à leur service. Si la conscience n’est pas forcément homogène, il faut que les élites s’engagent fortement car la démocratie est un processus à long terme.