Tunisie – Rapport BCT : La croissance n’est pas nécessairement un bon indicateur (2)

Par : TAP

banque-centrale-tunisie-320.jpgDans cette seconde partie, Mohamed Mabrouk, expert auprès de l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES), a lu entre les lignes du dernier rapport de la Banque centrale de Tunisie.

Dans son analyse, Mohamed Mabrouk fait état de “difficultés réelles, comme les déficits budgétaires et courants, ainsi que la régression de certains secteurs historiquement stratégiques pour la Tunisie”.

A l’adresse du gouvernement qui se vante de la croissance économique de 3,6%, l’expert souligne qu’il “n’est pas nécessairement un bon indicateur. Il n’est pas nécessairement rassurant d’avoir un taux de croissance économique élevé“. Selon, “on peut avoir une croissance basée sur la production ou bien une croissance basée sur la consommation. C’est le cas pour la Tunisie, surtout depuis la révolution”.

Explication de M. Mabrouk: “les services publics sont comptabilisés dans le PIB. Par conséquent, si vous embauchez plus de fonctionnaires, mécaniquement le PIB augmente, même si les nouvelles recrues ne produisent rien dans leurs bureaux“.

De ce point de vue, l’expert tunisien estime que «le déficit public s’aggrave puisque l’Etat dépense sans qu’il y ait un retour suffisant en termes de production et de taxes“, précisant qu’il s’agit là “d’une croissance consommatrice, dont là croissance est payée par l’endettement, en particulier l’endettement étranger“.

Une croissance consommatrice…

Idem pour les importations, ajoute M. Mabrouk qui souligne que “plus vous importez, même des biens de consommation, comme le précise le rapport de la BCT, plus le PIB augmente par l’effet des marges commerciales sur les importations”.

Toutefois, “là aussi c’est de la croissance consommatrice payée à crédit. Par conséquent, il ne faut pas se contenter du taux de croissance économique, mais voir les déséquilibres financiers: le déficit budgétaire et surtout le déficit courant qui est le plus important. Et justement, c’est lui qui dégringole dangereusement: plus de 8% du PIB. Ignorer cela revient à reporter les problèmes pour l’année suivante, en les aggravant“.

Il poursuit le décryptage du rapport de la BCT, en disant que “s’il s’agit d’effectuer un choix entre croissance économique et réduction du déficit courant, alors il importe de choisir la réduction du déficit courant, même au prix d’une croissance négative. C’est comme cela que sont gérés des pays comme l’Allemagne”.

En ce qui concerne la balance des paiements qui se présente excédentaire du fait des emprunts à l’étranger et des IDE, face à l’accroissement des importations de biens de consommation, M. Mabrouk affirme qu'”il n’est pas correct d’être rassuré par le fait de parvenir à couvrir nos dépenses courantes par le recours à la dette ou des cessions d’actifs (IDE), car cela revient tout simplement à manger notre capital. Au contraire, une telle situation est inquiétante, parce qu’elle ne peut pas être durable. La Tunisie ne pourra plus consommer quand elle aura tout vendu et quand elle aura épuisé ses possibilités d’endettement. Les générations à venir seront confrontées durement aux conséquences de cette erreur de gestion“.

L’IDE est un capital qui doit être placé

L’expert ne s’arrête pas là. Pour lui, «il n’est pas pertinent de nommer “revenu des IDE” l’argent qui rentre en tant qu’investissement direct étranger. Ce n’est pas un revenu, c’est un capital que nous devons placer et non consommer. Le revenu d’un IDE, ce sont les exportations rendues possibles par cet investissement, sinon il ne s’agit plus d’un revenu. C’est pour cela que les IDE non exportateurs sont des opérations de consommation et non d’investissement, du point de vue du pays d’accueil».

A partir de là, M. Mabrouk tire la conséquence selon laquelle “la situation économique actuelle de la Tunisie se caractérise par une fuite en avant, vers la consommation et l’endettement. Le triplement du déficit courant depuis la révolution en témoigne”. Du coup, il reproche au rapport du BCT d’avoir omis cette réalité, “… bien que ce soit tout à fait dans les attributions de l’institut d’émission. Il faut attirer l’attention sur ce phénomène aggravé par la révolution, qui a augmenté nos prétentions consommatrices et diminué notre ardeur au travail“.

En effet, l’expert estime que “les promesses excessives des politiciens y sont pour quelque chose. Nous devons prendre conscience que notre système économique actuel nous détourne de l’exploitation de nos ressources et nous oriente vers la consommation à crédit. Par exemple, pour l’agriculture, nous avons tout ce qu’il faut: les terres, l’eau et la main-d’œuvre. Mais nous laissons tout cela et nous importons notre pain. C’est un non-sens”, regrette-t-il.

Il ajoute : “la même raison fait que nos industries manufacturières sont en recul. En fait, nous vivons une transition non seulement politique mais surtout économique. Nous ne pouvons plus vivre de nos activités traditionnelles (textile…)“.

Que faire ?

Après avoir constaté et analysé, M. Mabrouk avance des pistes de solution.

Ainsi, pour pallier à cette situation, il propose de réorienter notre économie, en adoptant une stratégie des besoins prioritaires, laquelle repose sur plusieurs axes.

“Combler d’abord le besoin le plus urgent: l’autosuffisance alimentaire. Ensuite, l’autosuffisance énergétique, puis la santé… Il nous faut être plus concrets. Il est probable qu’une telle approche nous fasse passer par un creux en termes de pouvoir d’achat pendant quelques années. Mais pour rééquilibrer ce pays, il y a un coût incontournable“.

Une telle réorientation est tout à fait compatible avec un rééquilibrage des comptes publics, au moyen d’une plus grande équité fiscale et plus de taxation de la classe aisée. En effet, les régions sinistrées en profiteraient doublement: par les transferts sociaux et par la relance de l’agriculture.

WMC TAP

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