Vers Compostelle, les voies du Seigneur sont des plans rentables

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Des marcheurs sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, le 16 juillet 2013 (Photo : José Torres)

[16/08/2013 09:44:28] Rodez (AFP) Sur le plus fréquenté des chemins français menant à Saint-Jacques-de-Compostelle se livre une bataille commerciale éloignée de l’esprit qui anime les milliers de pèlerins en quête d’immatériel.

Saint-Chély-d’Aubrac: sa poste, son école élémentaire, son médecin, sa gendarmerie… Autant de services pour un village de 545 habitants, blotti dans une vallée aveyronnaise, cela a de quoi surprendre dans ce département touché de plein fouet par la désertification.

“On a la chance d’être situé sur l’itinéraire menant à Saint-Jacques-de-Compostelle. Depuis 30 ans, on n’a pas perdu d’habitants et on a même pu garder l’école”, explique le maire Jean-Claude Fontanier avec fierté.

Le village est situé sur la “via podiensis”, un itinéraire partant du Puy-en-Velay (Haute-Loire) et balisé en tant que chemin de grande randonnée (GR) au début des années 80. Sa fréquentation, en hausse d’année en année, attise les convoitises.

“Au départ, aucune commune ne réclamait d’être sur le tracé mais aujourd’hui, beaucoup aimeraient bien le faire dévier en leur faveur et tirer profit de cette manne économique indéniable”, dit l’édile.

Et pour cause: pas moins 25.000 pèlerins français et étrangers défilent chaque année sur la place du village, qui compte aujourd’hui pléthore de gîtes d’étape et chambres d’hôtes.

Des distributeurs en pleine nature

Cette popularité entraîne des dérives, comme l’invasion de panneaux publicitaires, souvent placardés illégalement le long de cette voie bucolique. Ou l’apparition incongrue de distributeurs de boissons gazeuses, campés en pleine nature, comme c’est le cas en Espagne.

Sur ce mythique tracé, la concurrence économique est telle que certains hébergeants n?hésitent pas à aller directement démarcher le marcheur sur son parcours.

“On prend parfois le pèlerin pour un porte-monnaie ambulant. Dans ces conditions, le message de spiritualité porté par le chemin est brouillé”, estime Sébastien Pénari, chargé de la mise en valeur de cet itinéraire au sein de l’Association de coopération interrégionale (ACIR), créée à l’initiative de la Région Midi-Pyrénées.

Les “cheminants” eux-mêmes évoquent toujours la route avec ferveur. Mais, leur exaltation exprimée, ils déplorent le mauvais accueil de certains marchands du temple qui “refusent de donner gratuitement un verre d’eau” ou font payer “à un prix exorbitant un simple matelas troué par les ressorts”.

Les pèlerins en prennent eux-mêmes pour leur grade. Leur recherche du dénuement peut confiner à la pingrerie, disent ceux qui vivent du chemin.

L’esprit pèlerin en prend encore un coup sur la coquille quand certains tenanciers utilisent des méthodes pas très catholiques pour éliminer la concurrence.

Ambiance western

Pour Thérèse Wiart-Robertson, qui tient un gîte d’étape à Livinhac-le-Haut, la coupe est pleine. “On a arraché ma pancarte publicitaire, volé mes chats, fait courir de fausses rumeurs sur mon établissement”, énumère cette professeure de lettres à la retraite, qui se dit prête à tout lâcher. Elle dépeint dans le village une ambiance de western où “chacun est prêt à se tirer entre les pattes”.

L’hostilité est palpable aussi entre les hôtels et les hébergements dits “donativo” (qui demandent une participation libre aux frais), accusés de concurrence déloyale.

“Sous couvert de solidarité chrétienne, certains engrangent des revenus parfois substantiels, sans s’acquitter des impôts et taxes qui en découlent, comme la taxe de séjour”, dit Sébastien Pénari, de l’ACIR.

Tours-opérateurs proposant des “circuits clé en main”, services de portage de bagages “pour voyager léger”, ou produits dérivés à gogo, l’explosion de services attachés au tourisme de masse amène aussi chez certains “jacquets” (pèlerins) un changement d’état d’esprit.

Ainsi, le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle ne se fait plus toujours d’une traite, en solitaire, mais par petites portions, en bande, parfois accompagnée d’une voiture et d?un chauffeur chargé de réserver pour le groupe les lits des dortoirs dans les hébergements avant l’arrivée des autres marcheurs.

M. Pénari met en garde contre le risque de “déflorer la poésie du chemin”. Si l’itinéraire “bascule sur la route de randonnée lambda et perd son caractère exceptionnel, l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco n’aura un jour plus lieu d’être”, prévient-il.