La Turquie à l’offensive sur le marché de l’armement

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Ankara

[15/03/2013 20:22:31] ANKARA (AFP) Un char d’assaut, un hélicoptère et maintenant, un drone. A l’heure où la crise rétrécit les budgets militaires en Europe, la Turquie a décidé de muscler ses industries d’armement, avec l’ambition d’afficher son indépendance technologique et de se faire une place sur le marché de l’exportation.

Le gouvernement en est si fier qu’il en ouvre désormais les portes à ses invités les plus prestigieux. La semaine dernière, c’était au tour du roi Abdallah de Jordanie d’avoir l’honneur d’une visite de l’usine Turkish Aerospace Industries (TAI) d’Ankara, guidé par le président turc Abdullah Gül lui-même.

Blouson de pilote sur le dos, les deux dirigeants y ont passé en revue les dernières productions “made in Turkey”. Un drone de surveillance, dont la Turquie s’enorgueillit d’être l’un des rares pays à maîtriser le développement, et un hélicoptère d’attaque.

Ces deux engins dernier-cri concrétisent une stratégie initiée il y a dix ans par le pouvoir islamo-conservateur d’Ankara, en même temps qu’il affirmait sa prétention au rang de puissance régionale.

“Auparavant, nous développions certains projets (…) dans le cadre d’octroi de licences ou de transfert de technologie, mais au cours de la dernière décennie, nous avons essayé de lancer le développement de notre propre technologie”, explique le sous-secrétaire d’Etat aux Industries de défense, Murad Bayar, “nous ne pouvons pas jouer de rôle dans la région avec des matériels et une technologie importés”.

Priorité a donc été donnée à la recherche militaire. Près de 700 millions de dollars y ont été consacrés pour la seule année 2012. Cette manne a irrigué une poignée de groupes publics, comme TAI, Rocketsan ou Aselsan, mais a surtout permis l’éclosion d’un réseau de centaines de PME, regroupées au sein de “clusters” d’entreprises.

Pour combler son retard, la Turquie a aussi profité de sa qualité de membre de l’Otan pour multiplier les projets avec les géants occidentaux du secteur, synonymes d’autant de transferts de technologies et de savoir-faire.

Son drone “Anka” est issu d’une technologie israélienne, son nouveau char d’assaut “Altay” le fruit d’un projet avec le sud-coréen Hyunday Rotem et l’hélicoptère T-129 “Atak” dérivé d’un modèle de l’anglo-italien AgustaWestland.

Croissance

“En Turquie, il y a peu de chances de remporter un appel d’offres direct”, résume le patron du français Thales pour la Turquie, Philippe Amar, “pour entrer ce marché, il faut être prêt à coopérer, dans l’intérêt de chacun”.

Aujourd’hui, l’industrie militaire turque affiche une progression insolente. L’an dernier, son chiffre d’affaires a atteint 4,3 milliards de dollars et le montant de ses exportations près de 1,3 milliard, en hausse de 35% sur un an.

Grâce à des matériels performants et meilleurs marchés que ceux des Occidentaux, la Turquie marque des points à l’export. Les

Emirats viennent d’acheter son nouveau système d’artillerie guidé par laser “Cirit”. Et le T-129 a été retenu face aux Américains pour un appel d’offres en Corée du Sud.

Malgré ces succès, Ankara reste encore un nain sur le marché mondial. Loin des géants américain (66 mds USD en 2011) et russe (15 mds USD en 2012), ou même des “dragons” asiatiques comme la Corée du Sud.

“Même si plus de 50% des matériels fournis à son armée sont d’origine locale, la Turquie est encore loin de l’autosuffisance”, relève un industriel européen, “mais elle s’est donnée les moyens d’entrer dans le club”.

Deux de ses fleurons, TAI et Aselsan, sont classés dans le top 100 des industriels mondiaux de la défense. En forte croissance, le groupe public d’aéronautique turc, partenaire de l’européen Airbus et l’américain Lockheed Martin, a annoncé son intention d’introduire 20% de son capital en bourse d’ici la mi-2013.

“Nous sommes fiers de produire nos propres matériels mais il est aussi important pour nous d’être reconnus par nos partenaires internationaux (…) et de jouer un rôle significatif sur le marché”, plaide le vice-président de TAI, Yilmaz Güldogan.

La Turquie a donc placé haut la barre de ses prétentions: 2 mds de dollars d’exportations d’armes en 2016 et passer du 15e au 10e rang mondial pour les dépenses militaires en 2023. Avec de réelles chances d’y parvenir, jugent les analystes.

“La Turquie a le potentiel de s’imposer comme un fournisseur majeur des pays du Golfe et d’Asie du Sud-est”, estime Philipp Reuter, du cabinet Frost & Sullivan.