Tunisie : La société civile à l’épreuve de la démocratie !

Par : Autres

 

democratie-201212.jpgEntre juin 2011 et juin 2012, l’Union européenne a débloqué près de 6.500.000 euros pour appuyer la société civile tunisienne dans le but de concrétiser la transition démocratique et diffuser la culture des droits de l’Homme. Notre journaliste a rencontré les bloggeurs, les journalistes, les acteurs de cette transition. Voici leur témoignage.

TUNIS – Quelques jours avant la révolution du 14 janvier 2011, le jeune tunisien, Sofien Belhaj, croupissait dans les geôles du ministère de l’Intérieur de son pays. Son seul crime était d’avoir défié le pouvoir en place en communiquant, à travers son ordinateur, avec ses compatriotes et le monde entier pour dénoncer la dictature. Il a osé dire tout haut, depuis son blog, ce que beaucoup pensaient tout bas. Le parcours de ce jeune blogueur est révélateur d’un état d’âme d’une jeunesse avide de changement et de volonté de vivre sa vie autrement. Qui aurait pu imaginer qu’un groupe de jeunes aient pu contribuer à faire chanceler et vaciller l’un des régimes les plus despotes des pays arabes?

«I have a dream : Tunisie démocratique»

Sofien –qui fait partie aujourd’hui de l’Association Bloggeurs Tunisiens, appuyé par l’Union européenne- raconte son expérience: “Au début, nous étions un groupe de jeunes qui avaient décidé en Belgique d’entamer une opération d’évaluation et de critiques de l’activité gouvernementale, mais par la suite j’ai décidé de repartir en créant mon propre espace sur Facebook «I have a dream : Tunisie démocratique». Il choisit comme nom d’emprunt «Hamadi Kaloutcha». Pourquoi justement ce nom et prénom? Sofien explique :”Je ne pouvais pas dévoiler mon identité pour les raisons que vous connaissez, alors j’ai choisi le prénom Hamadi parce qu’il est commun. Le nom de Kaloutcha, c’est celui d’un pêcheur du côté de Radès (10 km de Tunis), connu pour son franc-parler et sa bravoure. J’ai voulu “démolir” l’approche gouvernementale de la démocratie par l’argumentation. Il était difficile de travailler à visage découvert avant le 14 janvier 2011. Le gouvernement a été très sensible à la publication dans mon blog des révélations de Wikileaks sur la Tunisie. L’impact était grand par référence au nombre de visites. La police a pu m’identifier le 5 janvier 2011 et m’arrêter le lendemain. Elle a confisqué tout mon matériel et tous mes documents. C’était un coup dur pour moi».

Renforcement de la transparence dans le domaine électoral

L’Association tunisienne pour l’éveil démocratique a rencontré des difficultés aux premiers jours de la révolution et a pu contribuer à sa manière et avec des moyens limités, au renforcement de la transparence dans le domaine électoral. Cette association fut créée dès le début de la révolution du 14 janvier, par un groupe de bénévoles. Aujourd’hui elle bénéficie d’un soutien financier de l’Union européenne. Son objectif, comme l’explique son président, Rafik Halouani, était de «concrétiser la transition démocratique et la diffusion de la culture des droits de l’Homme, ainsi que des libertés fondamentales», et il ajoute: «L’un des plus grands succès de l’Association est la mise en place du réseau Mourakiboun (observateurs) pour l’observation des élections de l’Assemblée constituante du 23 octobre 2011. Nous avons pu former et déployer 4.000 observateurs. Il faut préciser que sans l’appui de l’UE qui, je le dis, ne s’immisce pas dans les projets, nous n’aurions pas pu obtenir ces résultats».

Deux époques, avant et après la révolution

L’appui de l’UE à la société civile en Tunisie date de plusieurs années, avant même le déclenchement de la révolution. M. Michel Mouchiroud, responsable de gestion des projets “société civile“ à la Délégation européenne à Tunis, explique l’évolution du processus: «L’appui de l’UE à la société civile en Tunisie peut se caractériser en deux époques, avant et après la révolution. Avant la révolution, on peut dire que le processus était bloqué. On se limitait à quelques actions dans le domaine du monde rural et des zones reculées de la Tunisie. En 2010, on disposait de plus de fonds. Nous avions pensé travailler sur la jeunesse et la recherche, mais la révolution a tout changé». Comme l’UE disposait de mécanismes souples, des fonds pour accompagner la transition ont été mobilisés. Le secteur des droits de l’Homme a été identifié pour appuyer les acteurs clefs et asseoir les acquis de la révolution.

«Un de nos objectifs est de dynamiser la vie politique et d’accompagner la réforme politique, poursuit M. Mouchiroud, notamment en aidant la Ligue tunisienne des droits de l’Homme à mettre en place ses sections. Nous aidons également le Syndicat national des journalistes tunisiens à reprendre son rôle phare dans le domaine médiatique à travers des formations en déontologie. Nous avons appuyé une quarantaine d’associations émergentes, directement et indirectement. Je peux citer à titre d’exemple les associations qui ont travaillé sur l’observation démocratique des élections, l’Association des blogueurs tunisiens (ABT) ou le Forum tunisien des droits économiques et sociaux, que nous appuyons à travers la Fondation euro-méditerranéenne pour les Droits de l’Homme. Nous les accompagnons dans le but de tracer une visibilité pour le citoyen».

Et il conclut en ces termes: «Nous avons dû être extrêmement flexibles dans nos approches et notre travail avec des partenaires qui parfois n’avaient aucune expérience dans la gestion de projets ».

Le respect des droits de l’Homme «par tous» et «pour tous»

La Fondation euro-méditerranéenne de soutien aux défenseurs des droits de l’Homme (FEMDH), basée à Tunis, a joué un rôle fondamental dans l’appui à la société civile. Créée en 2004, la Fondation contribue au respect et à la promotion des lignes directrices de l’Union européenne et de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée en 1998. «Notre vision est basée sur le principe du respect des droits de l’Homme “par tous“ et “pour tous“ dans plusieurs domaines, explique M. Ramy Salhi, responsable régional de la FEMDH. Je cite entre autres la lutte contre l’impunité, les droits de la femme, la citoyenneté et les élections, le droit des migrants et des réfugiés, les droits économiques, sociaux et culturels…».

Avant la révolution, souligne en substance M. Salhi, les menaces contre les libertés étaient réelles, ce qui a contraint l’Association d’agir dans des conditions difficiles pour accompagner les défenseurs des droits de l’Homme. Après, la situation a changé, les menaces n’existaient plus. Mais il fallait faire vite pour soutenir la vague du changement… «Nous avons été obligés d’établir des plans d’action dans des délais très courts, pour pouvoir accorder aux jeunes associations des financements imprévus préalablement, précise-t-il. Il est remarquable que l’UE ait pu financer des actions rétroactivement, ou mobiliser des sommes importantes d’argent de façon si rapide, ou encore changer les règles pour permettre à différents acteurs politiques de participer pleinement à la vie politique et sociale du pays…».

Aujourd’hui, la situation a encore changé. «Nous avons donc réadapté notre politique, indique encore M. Salhi, dans le but d’accompagner les nouvelles associations par l’écoute, le coaching et l’encadrement personnalisé en matière de gestion organisationnelle et gestion de projets».

Durant la période de juin 2011 à juin 2012, la FEMDH a octroyé des appuis au démarrage de 16 associations pour un montant de 350.000 euros (environ 700.000 dinars tunisiens). L’activité de la société civile en Tunisie est plus que jamais prospère. Elle est devenue un acteur incontournable de la vie politique, mais aussi un contrepoids de taille à même de créer une nouvelle dynamique post-révolutionnaire.

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