Tunisie : Le ministre du Tourisme au pays de «Fekhfekhani»

tourisme-elyes-fakhfakh-tozeur-220.jpgAlors que le pays négocie un des virages les plus délicats de cette ère post révolutionnaire, Elyès Fakhfakh balade des ambassadeurs accrédités en Tunisie à Tozeur, Nefta et dans tout le beau sud tunisien. Pour y voir quoi? Un simulacre de fête, une désolation ou des gens inquiets de vivre dans un secteur sinistré et une crise qui a enseveli toute la région?

Tant mieux que le ministre tente de positiver, ne dit- on pas que c’est la position des gagnants; mais qu’il essaye de vendre son pays de «Fekhfakhani» où «tout est beau, tout il est gentil à l’international», courant les rares plateaux qui veulent encore bien le recevoir et défendant l’indéfendable, ça finit par devenir pathétique.

Pas plus tard qu’en fin de semaine dernière et à l’antenne de RTL, les interrogations du journaliste portent toute l’inquiétude qu’inspire la Tunisie. A la question de savoir si les touristes peuvent s’y rendre à la veille d’une grève générale, le ministre répond: «Absolument, comme l’ont fait 5,5 millions de personnes depuis le début de l’année dont un million de Français…». Une attitude que comprend difficilement le journaliste, nous imaginons les auditeurs, citant les propos de Moncef Marzouki parlant d’armes et de «tournant dangereux» que vit la Tunisie, et ce ne sont pas les incidents du lundi 10 décembre à Kasserine qui vont les contredire.

Le journaliste continue sur sa lancée: «Vous nous parlez de soleil, de plage et de magnifiques monuments, nous vous parlons de troubles sociaux et d’extrémisme religieux… Finalement n’est-il pas trop tôt pour faire la promotion de la Tunisie?» La question est on ne peut plus claire.

Mais pourquoi Elyès Fakhfakh s’accroche-t-il à ses promotions qui ne servent ni le tourisme, ni la Tunisie et ni lui-même du reste?

Le ministre y paraît mal préparé, présentant des réponses approximatives et hésitantes quand elles ne sont pas quasiment ridicules.

Comment un ministre issu d’une révolution peut-il prétendre que 5 millions de femmes tunisiennes sont allées à la plage pour profiter de leurs vacances quand on connaît la précarité dans laquelle vit une majorité d’entre elles?

Comment ne réalise-t-il pas les changements qui s’opèrent à vitesse grand V dans la société?

Comment fait-il abstraction d’un climat général d’insécurité qui empêche l’investissement touristique qu’il n’arrive à faire récupérer son recul de 50%?

Comment peut-il déclarer qu’il y a en France plus de salafistes qu’en Tunisie?

Comment peut-il garantir qu’il n’y aura aucun débordement le jeudi 13 décembre suite à la grève générale lancée par l’Union générale tunisienne du travail alors que les parties concernées parlent de confrontations?

Quand va-t-il comprendre que ce ne sont pas des déclarations aux médias qui mettent de la poudre aux yeux qu’on attend d’un ministre mais une vraie vision, des réformes, un déploiement sur le terrain, un sens du compromis et de la négociation, un esprit fédérateur… (Pour regarder la vidéo).

A quelques heures d’intervalle, Touhami Abdouli, secrétaire d’Etat tunisien chargé des Affaires européennes, fait part de son regret quant aux retours négatifs recueillis auprès des participants du sommet de l’Organisation sécuritaire et de coopération d’Europe (OSCE), à Dublin, où il a été confronté à de nombreuses interrogations: Que va-t-il se passer? Va-t-on vers une nouvelle dictature? «Que sont en train de faire les Ligues de protection de la révolution… car il est hors de question que ces Ligues se substituent aux lois et aux institutions du pays». Un autre ministre et un autre ton. Est-ce seulement une question de style, d’approche ou de sens politique? Toute la question est là.

Pour en revenir au ministre du Tourisme, celui-ci à multiplié récemment les conférences de presse nationales pour faire un bilan. Celui des objectifs atteints du tourisme tunisien pour l’année 2012. Peut-être n’avons nous pas saisi que c’est précisément contre ce genre de positions que la révolution a eu lieu. Celle d’autosatisfactions quand elles n’ont pas lieu d’être, celles de déclarations qui prétendent que tout va bien dans le meilleur des mondes, celles d’une destination qu’on caresse dans les sens du poil et qui se résume en quelques chiffres à qui l’on peut faire dire ce que l’on veut, peu importe qui en paye les frais!

Quand bien même le bilan 2012 est positif, le ministre du Tourisme y est-il pour grand-chose? La destination, comme elle fonctionne actuellement, ce sont des hôtels, des contrats avec des TO, des professionnels, des représentations du tourisme qui font leur boulot, et même s’il n’est guère brillant, elles le font tout de même. Ces résultats sont la résultante d’une machine trop bien huilée depuis longtemps pour qu’un jeune ministre puisse y changer quelque chose surtout quand il n’a ni les attitudes révolutionnaires ni réformistes qu’il se doit d’avoir pour déconstruire afin de rebâtir une destination telle que nous la souhaitons tous.

Elyès Fakhfakh a fait un bilan de son année à la tête de l’administration du tourisme. Il a parlé de corruption, de projets pour 2013, d’Assises du tourisme en février 2013, de «Journées de l’investissement touristique» en avril 2013… Mais pourquoi ce plan ressemblait plus à un testament qu’à une stratégie qu’il pourra mener avec assurance et succès? Car tout simplement, Elyès Fakhfakh a encore raté une occasion d’avoir du tact et de la finesse politique.

Ces projets quand bien pourraient-ils être grandioses, ils ne peuvent être menés qu’avec la profession et l’administration dont il est isolé si ce n’est coupé! Alors que le ministre déclare avoir une conception éminemment politique de son rôle en cette phase de transition démocratique, il semble refuser d’endosser l’échec du gouvernement au sein duquel il évolue.

Elyès Fakhfakh estime que la question d’avoir un ministre qui connaît le secteur ou qui en soit issu est tout simplement une «fable», faisant référence à une guéguerre qui l’a opposé dès son arrivée à la profession. S’il est certain que les fables ont la peau dure, Elyès Fakhfakh ne semble pas réaliser qu’il n’a pas su être ni ministre ni politique.

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