Mouldi Jendoubi, SGA de l’UGTT : “Pourquoi, à ce jour, aucun membre du gouvenement ne s’est adressé au peuple pour le rassurer sur l’avenir?”

mouldi-jendoubi-ugtt.jpgDes annonces de grèves à tout va, des sit-in, des manifestations et selon des rumeurs, heureusement démenties, il y aurait même une grève générale annoncée pour le 25 janvier. La centrale patronale vit un marasme duquel elle n’arrive pas à émerger et qui met à plat une institution dont la légitimité remonte loin dans l’histoire de la Tunisie contemporaine. Elle est d’ailleurs plus présente dans l’institution que la loyauté, la fidélité et l’engagement de ses membres pour leur syndicat mère. En face, l’UGTT, forte d’une présence de plus en plus accrue sur le terrain, avec 200.000 nouveaux affiliés en 2011 et surtout d’un soutien sans faille de ses adhérents et de son bureau exécutif, aussi bien l’ancien que le nouveau.

L’UGTT, qui a joué un rôle important dans le soulèvement populaire du 14 janvier en encadrant les foules et en les protégeant, est aujourd’hui accusée de mettre le pays en difficultés. Rien qu’à Sfax, 25 préavis de grève ont été annoncés par le Syndicat régional, quoi de plus menaçant et de plus déroutant pour le moral des acteurs privés?

Ce n’est pas le but, rétorque Mouldi Jendoubi, secrétaire général adjoint et responsable sur la législation, nous tenons à un climat social serein.

Entretien

WMC : Est-il vrai que vous cherchez à embarrasser un gouvernement dont la tâche est déjà assez compliquée?

Mouldi Jendoubi: Il n’est pas raisonnable de croire que nous, à l’UGTT, pensons à des issues ou des problèmes dans le but de compliquer la mission de ce gouvernement ou d’un autre. L’UGTT est une organisation qui a vu le jour dans le berceau de la démocratie et nous croyons au choix des urnes et en la volonté du peuple tunisien que nous respectons. Une volonté devant laquelle nous nous prosternons. Par conséquent, l’idée de mettre en difficulté ce gouvernement ne nous effleure même pas. D’autant plus que, suite à la révolution qui nous a apporté liberté et dignité, nous ne pouvons nous permettre de nous jouer de valeurs nouvellement acquises.

Je voudrais juste attirer votre attention que je n’ai jamais, jusqu’à présent, assumé l’acte d’élire, estimant que toutes les élections étaient biaisées. Je me rendais seulement aux élections de l’UGTT et celles de la Ligue des Droits de l’Homme dont je suis membre. L’UGTT, profondément patriotique, n’appellera jamais à la mise à mort du gouvernement ou à son affaiblissement.

Et pour ce qui est de la grève générale décrétée pour le 25 janvier?

Il ne s’agit point d’une grève générale, elle est tout au plus une grève sectorielle se rapportant à un accord signé avec le gouvernement de Béji Caïd Essebsi à propos de la titularisation des intérimaires dans les entreprises publiques. Dans l’accord, il est stipulé que les charges supplémentaires ne dépasseront pas les montants des rémunérations des agences d’intérim qui assuraient les opérations de travail temporaire. Beaucoup l’ont appliqué. Certaines entreprises sont revenues sur les accords signés, dont Tunisie Télécom, et c’est pour cette raison et en désespoir de cause, que nous avons appelé à une grève sectorielle, car il y a une grande réticence à concrétiser les engagements pris de part et d’autres.

Il n’est pas dit qu’elle aura lieu car nous sommes sur le point de discuter pour que chacun respecte ses contrats.

Rappelons tout de même que les grèves décrétées par l’UGTT se comptent sur les doigts des mains. La pire des décisions que l’on puisse prendre est celle de décider une grève. En 2010, alors que j’étais au département des entreprises publiques, j’ai signé 36 préavis de grève dont 4 contre la privatisation des entreprises publiques. Elles n’ont pas toutes eu lieu.

Il y a une nuance entre sit-in et grèves émanant des citoyens de manière improvisée pour des raisons tout à fait particulières comme le fait de ne pas avoir de l’électricité ou de l’eau courante et celles décidées par l’UGTT.

D’ailleurs, certains syndicats ont publié des communiqués dénonçant ces pratiques et ont appelé le gouvernement à prendre les mesures qu’il faut pour y parer. Mais je pense, comme le dit le proverbe français, que «Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de rage». On veut, à tort ou à raison, impliquer la centrale des travailleurs dans tout acte nuisible.

Qu’attend exactement l’UGTT des pouvoirs publics et du secteur privé, et comment tolérer 25 préavis de grèves, rien qu’à Sfax?

Nous voulons que chacun respecte ses engagements, que ce soit l’Etat ou les entreprises privées et bien évidemment nous-mêmes. Nous contestons quiconque revient sur des accords conclus ou signés. La complémentarité est impérative entre les différents acteurs et partenaires sociaux. Et ce que nous voulons pour notre part, c’est que le secteur privé soit enrichi d’autres entreprises non que des entreprises publiques virent vers le privé. Nous voulons protéger le patrimoine de l’Etat.

Concernant Tunisie Télécom, nous estimons que peu d’efforts ont été fournis pour assainir la gestion de la compagnie et lutter contre les pratiques corrompues, pour être plus compétitive et préserver ses capacités concurrentielles.

Pour ce qui est de Sfax, je tiens à saluer ce qu’est en train de faire la représentation régionale de l’UGTT dans cette région et d’autres. Parce que le retour aux mécanismes légaux et à l’encadrement légal de toute forme de protestation que nous appliquions avant le 14 janvier n’était pas évident. Le fait que l’UGTT reprenne le contrôle de la situation va permettre de mettre fin aux grèves anarchiques et aux pratiques illégales.

La situation de colère et de frustration vécue par les populations et qui se sont exprimées en usant de différentes manières devait être récupérée. Il fallait les réconforter et leur dire que nous les soutiendrons. N’oubliez pas que nous sommes dans une situation exceptionnelle postrévolutionnaire. L’UGTT se trouve entre le marteau et l’enclume et en prise à différentes revendications émanant de toutes parts.

Le secteur privé admet que vous preniez position contre ceux qui ne respectent pas leurs engagements mais refuse d’être la victime de chantages alors que lui-même vit une crise tant à l’échelle nationale qu’internationale.

Tout comme nous voulons que les autres respectent leurs engagements, nous tenons à le faire également. La gestion humaine est difficile, que dire de gérer des syndicats où la hiérarchie est pratiquement absente?

Il faut reconnaître également qu’il est temps pour que tout change et il faut que nous essayions ensemble d’instaurer un code de bonnes pratiques valables pour tous et pour toutes.

Aujourd’hui, nous sommes dans un processus démocratique et notre pays nous est tous très cher, et si nous ne participons pas à assurer à ce processus toutes les conditions de réussite, nous y perdrons tous des plumes. Il faut protéger la Tunisie pour les nouvelles générations qui récolteront les fruits de la révolution.

La relation entre patronat et travailleurs et entre salariés et entreprises ressemble à celle d’une mère et son bébé. On ne peut couper le cordon ombilical entre les deux. Il y a tout d’abord la nécessité de respecter la dignité et les droits des travailleurs mais également il y a le devoir de veiller aux intérêts de l’entreprise. Le travailleur doit être productif, assidu et respectueux de son milieu de travail. La loi doit être appliquée par toutes les parties.

Quant au patronat, il nous paraît important de le rencontrer au plus vite et nous ne devons pas nous voir pour échanger des politesses mais plutôt pour attaquer de front les problèmes qui existent sur le terrain.

Quel est votre rôle dans la prochaine phase de la Tunisie. Est-ce celui de contrepouvoir?

L’UGTT tient à assurer le déroulement du processus de transition démocratique dans les meilleures conditions et à réaliser les objectifs de la révolution. Si les Tunisiens ont réussi à déchoir Ben Ali, ça n’est certainement pas pour tomber sous une autre forme de dictature.

En tant que secrétaire général réélu, j’ai choisi de prendre la responsabilité de la législation à l’UGTT. Je suis convaincu que la prochaine révolution est celle de la législation. Elle commence par la Constitution, nous avons d’ailleurs préparé un projet de Constitution que nous sommes en train d’envoyer à chaque membre de la Constituante à son adresse personnelle.

Nous avons un grand rôle à jouer dans la protection de la révolution et c’est ce qui explique cette initiative. Nous sommes également, et partant de notre sentiment de responsabilité par rapport à notre pays, en train d’étudier le dossier du “Pacte social“ et d’un code de travail adapté à la nouvelle conjoncture du pays et l’évolution des modes de travail. C’est un rôle que nous prenons au sérieux et que nous ne lâcherons pas.

L’UGTT a grandi dans le berceau du patriotisme, Mohamed Ali El Hammi ou Farhat Hachad ont été des éléments actifs dans le mouvement national. Nous n’avons pas failli lors du soulèvement populaire, nous avons soutenu notre peuple et ce n’est que justice. Nous ne voulons donc aucunement que notre économie s’effondre mais il ne faut pas que la menace d’une économie ruinée nous incite au raisonnement que tout se résout à force de matraques comme le faisait Ben Ali. Ceci n’est plus et définitivement tolérée, rien ne peut remplacer la discussion et les négociations.

Et je voudrais à ce propos lancer un appel au gouvernement à travers WMC. Il est quand même étonnant qu’à ce jour, nous ayons vu tout juste le ministre du Développement exposer le programme de son département aux citoyens. Mais c’était tellement technique et truffé de chiffres que moi-même j’ai eu du mal à comprendre.

Je souhaiterais vraiment qu’un membre du gouvernement en place s’adresse au peuple à travers un discours audacieux et lui explique dans un langage simple la situation du pays, et le rassure sur les mesures que le gouvernement compte prendre pour y remédier, sans fausses promesses.