Rapport sur la corruption : Le Wikileaks tunisien est arrivé !


weki_14112011-art.jpgQuelle image avons-nous renvoyé au monde depuis le déclenchement de la
«révolution»? Celle d’un pays qui a investi pendant un demi-siècle dans
l’éducation, le social et la santé pour arriver à un stade de pauvreté
avilissant? Celle d’un pays corrompu jusqu’à la moelle? Celle d’un peuple ou
plutôt d’une élite assoiffée de vengeance à tel point qu’elle en est devenue
aveugle aux véritables enjeux et intérêts du pays?

Avant le 14 janvier, nous pouvions sans nous tromper dire que l’image véhiculée
par la Tunisie rassurait l’investisseur européen, même si à l’intérieur du pays
la vérité était toute autre… ou ailleurs. Aujourd’hui, la perte de confiance
dans le système et dans la justice règne, car la légitimité révolutionnaire
justifierait tout, malgré la résistance de certains magistrats. A
l’international, dépassée l’admiration exprimée pour un pays arabe qui a osé!
Aujourd’hui, prudence est mère de sûreté, les investisseurs étrangers
délocalisent à partir de la Tunisie ou attendent les résultats des tractations
entre adversaires politiques justiciers, réconciliateurs ou neutres sans oublier
les opportunistes qui ont trouvé place à la Constituante. Ironie du sort, c’est
un frère rival qui a profité du marasme tunisien, en témoigne ce lecteur: «Un
message du peuple marocain au peuple tunisien: grâce à votre révolution, nous
avons accueilli en masse les entreprises européennes qui quittent votre pays en
y laissant des dizaines de milliers de chômeurs pour s’installer au Maroc.
Aussi, les dizaines de milliers de touristes qui ont annulé leurs séjours chez
vous pour venir au Maroc. Voici un bel élan de solidarité maghrébine. Nous
sommes également prêts à échanger votre élite (hommes et femmes) contre nos «Salafistes»
et femmes voilées et «Niqabées». Il ne vous restera plus qu’à prier, prier et
prier puisque vous aurez largement le temps de vous y consacrer. MERCI LA
TUNISIE!».

La commission d’investigation sur la corruption: de l’inquisition-accusation au
jugement

Et cerise sur le gâteau, voilà que les rapporteurs de la Commission sur la
corruption et les malversations nous concoctent un rapport digne, dans ses
dimensions superficielles et sensationnelles d’un journal jaune qui gave ses
lecteurs de faits divers, de sensations fortes, et oublie qu’il y en a d’autres
qui s’intéressent plus à la qualité, la crédibilité et l’objectivité de
l’information.

Nous nous attendions à mieux de la part de personnes estimées pour leurs
compétences et désignées pour leur impartialité.

En publiant un rapport citant nommément des affaires en justice et en mettant
les initiales de personnes facilement reconnaissables par le Tunisien lambda, la
Commission a failli, comme l’a écrit un confrère de la place, car elle a relancé
la chasse aux sorcières! Rien ne l’y obligeait. Avons-nous le droit, alors que
le pays vit l’une de ses pires crises sociales et économiques, de jeter des
Tunisiens, quel que soit le degré de leur implication, dans des délits ou des
malversations en pâture aux médias et au grand public, d’alimenter le feu de la
haine et des représailles? Est-ce à la Commission de statuer sur leur sort ou
aux tribunaux? N’a-t-on pas entendu Pr Abdelfattah Amor assurer que sa
Commission ne se substituera pas à la justice? Comment les membres de ladite
commission ont-ils osé se départir du droit de réserve en s’exprimant à propos
d’affaires en cours et en publiant les documents confidentiels qui leur ont été
remis? Comment ont-ils osé citer les noms de multinationales étrangères dans le
rapport au risque de ternir leurs noms les faisant passer pour des complices
d’actes illicites et créant un précédent en matière de non respect de la
confidentialité de l’information? Et surtout comment ont-ils pu se permettre de
jouer l’avenir de certaines personnes évoluant dans les secteurs publics ou
privés en se basant sur des présomptions ou des analyses d’experts qui peuvent
eux-mêmes commettre des erreurs avant les jugements définitifs?

Alors que l’on voit des personnes, celles les plus identifiables, figurer en
tête de listes des «Wanted», d’autres qui ont profité du système à fond, qui ont
fait du zèle et qui ont été des têtes pensantes, se la jouent honnêtes, intègres
et reprennent leurs pratiques de lèche-bottes auprès des nouveaux gouvernants.
Ils sont les plus nocifs et les plus dangereux pour le pays. Il y a des
opérateurs qui continuent leur jeu malsain à coups de campagnes médiatiques pour
pourrir encore plus l’atmosphère du pays et éloigner les doutes de leurs propres
camps. D’autres sont pointés du doigt, pourtant ils sont innocents, la
Commission n’en a cure. Elle assainit!

L’approche appréhendée dans l’étude de certains dossiers prête, elle-même, à
confusion. Car elle part du postulat que la promiscuité, les accords de parenté
ou l’importance de la fonction faisait de vous un inculpé avant même d’en avoir
l’affirmation. Il suffisait dès lors de réunir les preuves l’attestant. Soit des
jugements précoces qui peuvent induire tout le monde en erreur et risquent fort
d’influencer une justice prise en étau entre la suprématie de la loi, l’équité,
la prééminence des faits et la pression de l’opinion publique ou plutôt des
agendas politiques.

A titre d’exemple, et d’après un témoin accusé, présumé coupable: “le président
de la Commission établit les faits de cette manière: «Le marché x a été accordé
à monsieur y lorsque monsieur z était ministre. Il est fort possible que
Monsieur z ait reçu des instructions de la part du président déchu pour qu’il
donne son assentiment… passé au juge, le «fort possible cité au début deviendra:
le ministre z a reçu des instructions… du coup, cela devient affirmatif et vous
vous retrouvez devant la chambre d’accusation’’.

On découvre dans notre pays des juges d’instruction à charge assimilés plus à
des procureurs, car leur mission de juges à «décharge» est complètement
marginalisée dans une logique d’assainissement…

Nous étions pourtant en droit d’attendre mieux de la part d’une commission
composée de nombre de juristes… Nous aurions préféré que la Commission ne
s’arrête pas aux récits de faits divers mais explique les failles du système qui
ont facilité tous les dépassements et ont permis les malversations.

Nous aurions aimé qu’au-delà des personnes, l’on décortique tous les mécanismes
qui ont mené à cette absence de bonne gouvernance. Que loin de jouer le jeu de
la logique vindicative, l’on s’attaque aux carences des systèmes de l’éducation
et de la santé que le peuple tunisien a et est en train de cher payer.

Nous aurions voulu que le rapport soit plus érudit dans le sens où il donne par
secteur une idée sur les pratiques malsaines, les moyens «légaux» qui les ont
permises, les pertes engendrées et les solutions pour éviter ces pratiques dans
l’avenir.

Les faits divers tels que décrits dans le rapport ne nous servent pas à
grand-chose ni d’ailleurs le rapport tel qu’exposé par Néji Baccouche lors de la
dernière conférence de presse organisée par la Commission. Les vérités qu’il
avait débitées étaient connues, rien d’exceptionnel, en somme.

La réconciliation nationale, aujourd’hui plus que jamais!

Assez! Cela fait 11 mois que nous mâchons et nous remâchons les affaires de
corruption et de détournement de deniers publics, il est grand temps de passer à
autre chose.

Les investisseurs internationaux et la communauté financière internationale ont
besoin d’être tranquillisés sur leurs places dans la future Tunisie. Ils
s’alignent sur les investisseurs domestiques qui doivent eux-mêmes être rassurés
pour créer des projets et participer à la réduction du taux de chômage
dramatique que nous vivons. Une situation qui n’est pas aisément gérable dans un
contexte international difficile.

Il est grand temps de passer à la justice transitionnelle et de parler
réconciliation nationale. Car cette volonté maladive d’imposer un assainissement
tous azimuts peut être à l’origine d’une régression économique et sociale.

Que ceux qui ont été lésés se présentent devant les tribunaux pour récupérer
leurs biens et retrouver leur dignité! Que les avocats, plus grands vainqueurs
de la révolution, calment leurs ardeurs révolutionnaires intéressées et leurs
penchants vénaux et aient pitié d’un pays qui est en train de s’effondrer! Que
toutes les énergies du pays de tous bords se concentrent et se concertent pour
réédifier la Tunisie, cela fait presqu’une année que nous vivons dans une
spirale d’accusations, jugements, condamnations. Ca suffit, passons à autre
chose!