Tunisie : Les médias tunisiens appelés à faire leur mea culpa

Nos médias sont-ils prêts à être à la hauteur des défis de la pluralité politique? Après plus de cinquante ans de règne du parti unique, de Bourguiba à Ben Ali, la tâche semble ardue. Il faut savoir gérer la pluralité, éviter la surenchère, équilibrer le temps de prise de parole de l’un ou l’autre parti, ne pas tomber dans la propagande politique pour un parti au détriment des autres. Autrement dit, un travail colossal auquel ne sont pas habitués les médias tunisiens, car certains journalistes, notamment dans les médias officiels, jouaient le rôle de porte parole du gouvernement…

Un sondage récent de Sigma Conseil a essayé de relayer la part des voix des partis politiques dans les médias tunisiens, dans la période du 24 avril au 10 mai 2011, sondage présenté, le 14 mai 2011, dans le cadre d’une conférence traitant du rôle des médias dans la période de transition en Tunisie, organisée par l’association NOU-R (Nouvelle République), en présence de plusieurs représentants du secteur médiatique et des partis politiques.

Ennahdha en tête de liste…

Partant des chaînes télévisées, Al Wataniya tient le cap en consacrant plus de 16h aux partis politiques, suivie par Nessma TV (plus de 7h) et Hannibal TV (4,7h). A voir le profil des partis qui enregistrent le plus grand temps de passage sur la télévision tunisienne par seconde, on ne s’étonnera pas. Le mouvement Ennahdha est le plus représenté avec une part d’environ 17%. Ettajdid suit avec 16,1%, le PDP (8,4%) et le FDLT (7,8%). Le sondage indique également que seulement 27 partis sont passés à la télévision, soit le tiers des partis créés.

Dans la presse écrite, c’est la presse quotidienne qui a couvert le plus l’actualité des partis politiques, avec 279 articles, suivie par la presse hebdomadaire (102) et les magazines (6).

Comme pour la télévision, c’est le mouvement Ennahdha qui la formation politique la plus traitée avec un taux de 16,3%, suivi par Ettajdid et le PDP (8,5% chacun) et le POCT (7,5%).

Dans le débat qui a suivi la présentation des résultats du sondage, les intervenants ont mis l’accent sur le rôle des médias dans la concrétisation de la pluralité politique, mais aussi dans la couverture des faits, loin de toute propagande et surtout du sensationnel. «Les médias doivent jouer le rôle de contrôleur. Ils doivent se convertir à leur rôle essentiel, celui d’une instance de régulation de l’information. Car, on remarque actuellement qu’on est tombé dans le sensationnel. Ce qui est loin d’être la mission des médias surtout dans cette période aussi critique», affirme Haykel Ben Mahfoudh, un responsable du Centre pour le contrôle démocratique des Forces Armées à Genève.

Manque d’esprit analytique…

On reproche aux médias un manque de professionnalisme dans le traitement de l’information, la superficialité, le corporatisme. Nafaâ Naifer, chef d’entreprise et membre du parti Al Wifek républicain, indique qu’il y a un mea culpa à faire dans le secteur. Le manque de profondeur dans l’analyse de l’information semble être un souci majeur pour la plupart des intervenants. Pour Awatef Saghrouni, journaliste et présentatrice à Al Wataniya 1, le manque de professionnalisme et d’approche analytique fait que les informations et les faits présentés sont toujours dénués de profondeur. «On est toujours en attente de ce qui va suivre la présentation de l’information, qu’il y ait une réactivité de la part des journalistes de la télévision nationale pour approfondir la problématique présentée», lance un intervenant.

Il s’agit pour certains d’éviter la manipulation par la présentation d’un avis au détriment de l’autre. Une intervenante, qui fait partie des 63 contractuels de Tunisie Télécom, objet de la discorde au sein de l’opérateur depuis janvier 2011, a indiqué que ce groupe subit une campagne de diffamation et de dénigrement tous azimuts de la part des médias. «Au début, on a choisi de ne pas intervenir dans le débat pour l’intérêt de la société. Mais actuellement, on est prêt à parler et à se défendre. Nous sommes aujourd’hui dans un pays de droit où il faut recourir à la justice pour justifier les dépassements», affirme-t-elle.

Ceci dit, la responsabilité des médias dans cette période critique par laquelle passe notre pays ne repose pas seulement sur le rôle d’informateur mais aussi d’analyste et de vulgarisateur. Les médias, par nature, orientent les idées, mobilisent les foules, créent la polémique. Un rôle qui a été assigné plutôt aux réseaux sociaux dans le cas de la révolution tunisienne. La prolifération des réseaux sociaux, essentiellement Facebook, comptant environ 2 millions d’utilisateurs en Tunisie, a fait que les Tunisiens sont plus conscients et plus exigeants en matière médiatique. Pour les journalistes tunisiens, c’est le moment où jamais pour que ce métier récupère enfin ses lettres de noblesse. Saisissons l’occasion…