Tunisie-Médias : Sommes-nous “violés” par les chaînes satellitaires internationales?

chaine-int-1.jpgSi elles favorisent une meilleure connaissance de l’autre, les chaînes satellitaires internationales d’expression arabe ne sont pas néanmoins des vecteurs pour entretenir une image positive des pays qui en sont les promoteurs et pour servir, du moins pour certaines d’entre elles, d’outil de … propagande politique.

La question ne peut qu’éveiller l’intérêt du lecteur. La voici : les chaînes de télévision satellitaires internationales d’expression arabe constituent-elles des ponts assurant la communication entre les hommes ou sont-elles des instruments pour la diffusion d’une culture étrangère ?

Réponse : les deux à la fois. C’est du moins l’impression avec laquelle on ressort après avoir lu le dossier dédié à ce thème par «Al Idâât Al Arabiya», la revue de l’ASBU (Union des radiodiffuseurs des Etats Arabes), dans son n°2 de l’année en cours *.

Certes, et avec la mondialisation rampante, qui a gommé les frontières, et les développements technologiques aidant, les nations -notamment les plus nanties ou celles qui ont des intérêts à quelque titre que ce soit dans le monde arabe (politique, militaire, économique, culturel,…)- ont lancé des chaînes satellitaires d’expression arabe. Dans l’esprit, sans doute, de promouvoir un dialogue fructueux avec les habitants de cette région du monde. Ces chaînes étant le prolongement de radios créées bien avant: la BBC (British Broadcasting Corporation) diffuse un programme radio en langue arabe depuis 1938.

Présentant le programme arabe de la télévision allemande Deutsch Welle, Mouldi Hammami, directeur de la radio nationale au sein de l’Etablissement de la radio tunisienne, fait état de la production par ce dernier de trois programmes avec les télévisions marocaine, algérienne et égyptienne.

Sayed Bakhit, enseignant à la faculté de communication de l’Université d’Al Shariqa (Emirats Arabes Unis) présente, quant à lui, dans un article consacré au programme arabe de la BBC, les efforts entrepris par ce programme, notamment grâce aux possibilités offertes par les nouvelles technologies, en vue de favoriser une  interactivité avec les téléspectateurs. Enregistrements, appels téléphoniques, e-mails et SMS…, pratiquement tous les moyens sont bons pour favoriser une écoute active des téléspectateurs constamment sollicités à exprimer leur avis.

Mais ces actions ne constituent-elles pas l’arbre qui cache la forêt ? Nous sommes tentés de le dire tant les chaînes de télévision satellitaires internationales d’expression arabe consacrent l’essentiel de leur offre de programme à promouvoir les pays qui ont lancé ces chaînes –toujours avec des financements publics- et à assurer une fonction de propagande.

Analysant la grille du programme arabe de la télévision allemande Deutsch Welle, Mouldi Hammami, qui a collaboré à ce programme dans le passé, montre que toutes les productions tournent autour de l’Allemagne. «Le tourisme en Allemagne», «La vie en Allemagne», «Une fenêtre ouverte sur l’Allemagne», «La musique allemande», «Le monde du cinéma allemand»,… : les titres des programmes en disent long sur cet égocentrisme qui caractérise cette chaîne. Pour Mouldi Hammami, le doute n’est pas du reste permis : le programme arabe de la Deutsch Welle sert avant tout à entretenir une image favorable de l’Allemagne.

Diaboliser certains régimes arabes, imiter le modèle américain, reconnaître la suprématie d’Israël,… 

Dans un papier décortiquant le contenu des programmes de la chaîne américaine «Al Horra», lancée en février 2004, une année après l’entrée des troupes américaines en Irak, Ali Jabbaar Al Shamri, enseignant à la Faculté de l’information à l’université de Baghdad, donne la preuve que l’objectif des messages diffusés par cette chaîne n’est que «donner de la légitimité», l’invasion, en 2003, du pays par une coalition alliée des États-Unis et du Royaume-Uni, sans mandat de l’ONU.

Adopter la démocratie occidentale, consacrer les principes des droits de l’homme -toujours selon le prisme occidental, faire connaître les vertus de la société civile, diaboliser certains régimes arabes, imiter le modèle américain, reconnaître la suprématie d’Israël… : voici quels uns des leitmotivs  majeurs d’«Al Horra». Des leitmotivs qui utilisent les techniques de la propagande : la redondance, la menace, le détournement de l’attention, l’incitation,…

La chaîne «Al Alem» n’est pas en reste au niveau de son discours. Cette chaîne dédiée au monde arabe est un bras de propagande du régime iranien, selon Rageb Jabeur de la Faculté de l’information et de la documentation de l’Université libanaise de Beyrouth. Il conclut, à travers une analyse des programmes de cette chaîne, lancée à son tour dans la «dynamique» de l’invasion de l’Irak, que le discours d’«Al Alem» met l’accent sur la vitalité de l’«Oumma» musulmane et non arabe –la différence est de taille– et l’Iran et le monde arabe sont partie prenante de cette communauté.

Le dossier initié par «Al Idâât Al Arabiya» ne traite pas du cas des autres chaînes de télévision internationales d’expression arabe lancés par d’autres puissances comme «France 24» (France) ou «La Russie Aujourd’hui» (Russie). Même s’il les évoque au passage dans quelques articles. Et il est à se demander si les messages diffusés par celles-ci échappent réellement au schéma relaté plus haut.

Dans un livre largement connu, publié dans les années trente, Serge Tchakhotine a aidé à la compréhension des mécanismes de la propagande ; laquelle propagande passe, entre autres, par les médias. Le titre du livre de Tchakhotine: «Le viol des foules par la propagande politique». Sa lecture nous renseigne sur le fait que, sur l’essentiel, des chaînes satellitaires internationales d’expression arabe, qui officient au Moyen-Orient, ont dû faire de ce document, pour ainsi dire, un livre de chevet. Ne dit-on pas que l’histoire est un éternel recommencement ?