Tunisie-Chômage : Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge

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Sur le site de l’Agence nationale de l’emploi et du travail indépendant (ANETI) figure ce chiffre : 8.977 offres d’emplois disponibles. Pour qui ? Dans quel secteur ? Et où ? L’ANETI n’est bien évidemment pas la seule agence à offrir des services dans le secteur de l’emploi. Il faut y ajouter les agences de recrutement privées ou de travail intérimaires qui existent et opèrent sur le terrain mais qui ne sont pas reconnues par la loi. Peuvent-elles satisfaire à la demande constante et de plus en plus élevée en emplois ?

Au mois de mai 2010, les offres d’emplois permanents ont augmenté de 32,1% avec 58.440 offres pour les cinq premiers mois de l’année. Les emplois non permanents ont pour leur part reculé de -10.2%. Parmi les demandeurs dans les deux catégories, 54.308 ont été placés dont 36.875 dans des emplois permanents.

Le placement des diplômés du supérieur a baissé de 19,2% à fin mai 2010 par rapport à 2009 avec 9.938 placements. La demande, elle, a progressé de 9,2% atteignant les 49.851 demandeurs d’emplois. Avons-nous les moyens de la satisfaire? Toutes les stratégies mises en œuvre et les mécanismes conçus spécialement pour réduire le gap du chômage, qui s’approfondit de plus en plus, ne donnent pas à ce jour les résultats escomptés.

Tout le monde s’accorde à dire que le chômage est un point noir dans notre pays. Selon une étude réalisée pour le compte de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), par Azzam Mahjoub, économiste et chercheur, le taux de chômage entre 2002 et 2006 était de 14,3%, il a régressé de seulement 0,1% en 2007. Le 11ème Plan de développement prévoyait un recul du chômage pour arriver à 13,4%  en fonction d’un taux de croissance moyen de  6,1% et la création de nouveaux emplois. Soit une moyenne de 74.400 entre 2002 et 2006 et de 82.400 entre 2007 et 2010. Le taux de croissance n’a pas suivi puisque depuis 2008 -et crise aidant-, les prévisions n’ont pas été réalisées et la croissance n’a pas dépassé les 4%, ce qui a eu pour conséquence l’augmentation du taux de chômage.

Les chiffres officiels annonçaient 58.000 nouveaux postes d’emplois alors que le 11ème Plan prévoyait 82.400 postes. En 2009, 38.000 emplois ont été perdus dans les industries manufacturières, ce qui a élevé le taux de chômage à 14,7%, en comparaison avec 14,2% en 2008 et une moyenne de 14,1% entre 2004-2007.  Et si le taux de croissance n’évolue pas de manière conséquente les prochaines années, il faudrait s’attendre à un nombre encore plus élevé de chômeurs au vu de la demande additionnelle annuelle des diplômés du supérieur.

Toujours éditée par l’UGTT, une étude récente intitulée «La précarité de l’emploi en Tunisie et ses impacts sur les travailleurs » indique que “la qualité de l’emploi ne répond pas aux attentes des demandeurs d’emploi qui sont de plus en plus qualifiés”. A plus de 14%, le taux de chômage reste élevé, estime l’étude et particulièrement chez les femmes (16%), les moins de 25 ans (30%) et les diplômés de l’enseignement supérieur”.

Le processus de libéralisation économique a créé un emploi “fortement marqué par un modèle de compétitivité et d’organisation du travail qui génère du travail inapproprié”, observent les initiateurs de l’étude. «L’insertion de l’économie dans la chaîne de la sous-traitance internationale avec un positionnement au bas de l’échelle de la chaîne de valeur” accentue encore plus les inégalités et l’absence d’équité dans la rémunération des travailleurs» et déplorent les auteurs de l’étude, «les services publics de l’emploi n’ont pas la capacité d’accompagner efficacement les personnes dans leur démarche de recherche d’emploi ou de retour à l’emploi». L’Etat a déjà, pour sa part, répondu à cette problématique en créant le label “Marhaba” pour la qualité d’accueil dans les établissements publics. Une certification décernée aux administrations qui assurent aux citoyens des qualités de services répondant aux normes internationales. Nombre de bureaux d’emploi ont ainsi reçu cette certification depuis le début de l’année dont ceux de Sousse, Ariana, Siliana et de Sfax-Sud pour la qualité de l’accueil et des services offerts aux demandeurs d’emplois.

Tous dans le même bain…

La problématique de l’emploi n’est cependant pas propre à la Tunisie, elle touche tous les pays du Maghreb à différents degrés. D’où un appel lancé récemment de Rabat par les ministres maghrébins en charge de la Formation, de l’Emploi, des Affaires sociales et de la Communauté maghrébine, réunis dans la capitale marocaine, à mettre en place des solutions communes au problème du chômage. Ils ont, à l’occasion, insisté sur la nécessité de développer des partenariats entre les secteurs public et privé, à la promotion de la culture de l’initiative de la création d’entreprises et l’échange d’informations sur les approches de qualification de formation professionnelle, qui doivent répondre aux besoins du marché de l’emploi maghrébin. Ils ont également appelé à harmoniser la législation sociale relative à la famille, la femme, les enfants et les personnes âgées au Maghreb, et à élaborer des stratégies d’intégration sociale des personnes handicapées.

Rappelons à ce propos qu’il y a déjà 4 ans, le Bureau international du travail (BIT) éditait une étude comparative sur la Tunisie, le Maroc et l’Algérie à propos de l’intermédiation sur le marché du travail au Maghreb. Il avait alors insisté sur l’importance de l’amélioration de la gouvernance de l’intermédiation sur le marché du travail, de l’encouragement à la création de systèmes d’information performants. Tout comme il avait appelé à accorder une plus grande place aux femmes dans le ciblage des politiques de l’emploi et à développer le partenariat intra-maghrébin en matière d’emploi.

La Tunisie, le Maroc et  l’Algérie devraient également penser sérieusement à redéfinir la place et le rôle des services publics de l’emploi et de leurs relations avec les opérateurs privés, un enjeu essentiel, estime le BIT, pour le renforcement de leur système d’intermédiation sur le marché du travail. Il est aujourd’hui capital d’associer pleinement les partenaires sociaux aux politiques de l’emploi, qu’ils soient employeurs ou travailleurs. Ceux-là même qui ont une connaissance vivante du monde du travail, de ses exigences et de ses opportunités, de l’exclusion aussi du monde du travail et des difficultés à créer des entreprises. Leur participation à l’élaboration des décisions qui les concernent, conseille le BIT.

Le BIT avait  également conseillé l’élaboration  d’un cadre stratégique en faveur de l’emploi, comportant des orientations et des objectifs. L’emploi ne devrait pas concerner les seuls ministères de l’emploi et ministères sociaux, ainsi que les administrations et les institutions qui leur sont liées. Chaque ministère, chaque acteur économique et social devrait penser et agir emploi.

L’emploi constitue un problème épineux dont les conséquences socioéconomiques sont importantes. Le travail est un droit et il est le garant de la dignité de l’individu. L’arrivée chaque année sur le marché du travail de nouveaux contingents de jeunes et l’accroissement des licenciements résultant des restructurations économiques, en particulier dans le secteur public, constituent un manque à gagner économique, un facteur de déstabilisation sociale et un élément d’insécurité politique, d’où l’importance de mener des politiques judicieuses en matière d’emploi et d’insertion professionnelle.

(Sources : Etudes UGTT, site de l’ANETI et du ministère de l’Emploi)

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