Adel Boussarsar ou le tourisme tunisien à l’école allemande

adel-boussarssar1.jpgOser,
devant Adel Boussarsar, déclarer que les hôtels 4 étoiles en Tunisie sont
lamentables, que le service y est défaillant, que la nourriture est
insipide, que le tourisme tunisien est démodé… Vous n’aurez pas le temps de
finir votre phrase. L’homme se porte en faux. Son regard vous foudroie. Il
s’emporte et vous reprend avec son affabilité légendaire, mais si vous
réitérez vos observations une seconde fois, il se fâche. Tout simplement.
«De quel droit vous permettez-vous de généraliser ? Certains hôtels 4
étoiles valent mieux que des 5 «étoiles de pacotille ! Allez passer un
séjour à l’hôtel Phénicia à Hammamet et vous m’en direz des nouvelles
».

En gentleman qu’il est, il ne cite même pas une des ses nombreuses
structures hôtelières. L’homme est pourtant à la tête de 10 hôtels parsemés
le long de la Tunisie. De Tabarka aux portes du désert, Douz, en passant par
Hammamet, Kairouan, Tunis, Sfax, Sousse… Sa chaîne, la «Golden Yasmine
Hotels» est composée principalement d’hôtels quatre et cinq étoiles. Elle
s’étaie au fur et à mesure de nouveaux produits tel que le golf et bientôt
la thalassothérapie.

«Ne faites surtout pas comme ceux qui ne comprennent rien au secteur. Dieu
seul sait qu’ils sont nombreux ! Ne généralisez pas. Je ne permets pas qu’on
abatte des foudres sur le tourisme tunisien. Il est le fruit d’un travail
gigantesque et avant-gardiste. Des hommes et des femmes de qualité s’y sont
investis et y ont consacré leur vie», précise Adel Boussarsar. Le ton est donné d’emblée. «Le tourisme coule dans mes veines. Je lui ai
donné mon sang
». Sa phrase est imparable. Elle tombe comme un couperet. En
matière de tourisme, de parcours, de diversifications, de stratégies,
d’histoires (grandes et petites) et de célèbres anecdotes, Adel Boussarsar
(AB) en connaît un large pan.

L’histoire d’amour qui le lie à ce secteur
débute dès 1971. Après une licence en sciences économiques, et un passage à
la municipalité de Tunis, il intègre le ministère du Tourisme et commence
par le Commissariat régional de tourisme de Hammamet. En 1975, il prend la
tête de la direction de l’Office du tourisme tunisien à Francfort puis à
Paris. Une dizaine d’années durant laquelle il se fait les dents dans un
secteur encore balbutiant et largement prometteur. Au début des années quatre-vingt, il rejoindra, pour un court mandat,
l’équipe de Consortium tuniso-koweitien de développement (CTKD) et sera
vice-président de la chaîne Abou Nawas.

Ce self «made men» qui totalise
2.368 lits représente différents opérateurs touristiques étrangers opérant
sur la destination à travers son agence de voyages.
Fonceur, il reconnaît lui-même être dans «l’anticipation permanente». Dans
le milieu professionnel, on le lui accorde haut la main. On apprécie autant
son «gros cœur» que son sérieux. Il est d’ailleurs l’un des rares «enfants
du secteur» à être allé aussi loin.

Il est pour les uns, une «Success story»
et un exemple édifiant sur le comment passer du jeune promoteur qu’il était,
à l‘un des mastodontes de l’hôtellerie tunisienne. Pour d’autres, il est «un
cas d’école
». Pour la majorité, ceux qui le jalousent, plébiscitent,
apprécient ou critiquent, il est «un technicien, qui sait de quoi il parle».
C’est de fait «un vrai pro», qui évolue dans un secteur, qui a été pris
d’assaut par des investisseurs pas assez initiés à la gestion touristique au
surlendemain du désengagement de l’Etat de l’investissement touristique
direct. Ils ont descellé, dans ce secteur, une manne de richesse rapide.

En effet, l’État tunisien, après avoir été le premier constructeur d’hôtels
de Tunisie (90% de la capacité d’hébergement en 1962, 20% en 1964, 8% en
1972 et 4% en 1985), a décidé de retirer son implication directe. Il met
alors une politique d’encouragements à la portée des promoteurs touristiques
par de nombreuses mesures législatives qui ont permis d’encourager la
production hôtelière et touristique. Il accorde de nombreux et précieux
avantages aux industries qui, tel le tourisme, travaillent pour
l’exportation. L’État a aussi multiplié les encouragements indirects aux
promoteurs touristiques privés par la création de l’Agence foncière
touristique (AFT) qui a la charge d’établir des procédures d’acquisition des
terrains par achat à l’amiable (droit de préemption) ou confiscation pour
cause d’utilité publique. Une nouvelle génération d’hôteliers est née. Adel Boussarsar en fait partie.
Son succès s’explique et explique le reste.

Anticiper en permanence

Celui
qui se définit comme «un homme de terrain» sait aussi saisir la chance. Il
en connaît la force, les promesses et convertit les opportunités. Son
parcours prouve que lorsqu’elle tape à la porte, il faut la saisir au mieux
et au plus vite. AB a saisi sa chance. Elle s’est révélé une véritable
aubaine.

C’est sur proposition de certains amis professionnels qu’il décide
de reprendre à son compte «Tunisie Voyages», une agence de voyages qui, du
souvenir de nombreux professionnels, était composé de vieux tacots. «J’avais
à l’époque à peine 25 mille dinars en poche. Les actionnaires de Tunisie
Voyages m’ont donné des actions que je n’ai payées que beaucoup plus tard
»,
se souvient-il, non sans affection.
A l’époque, la décision de La TUI (Touristik Union international) de retirer
les transferts et les excursions de la charge des différents hôteliers avec
lesquels elle collaborait avait provoqué un véritable séisme dans la
profession. Soucieux de son image de marque, le Tour opérateur allemand,
insatisfait de la qualité de services fournie à ces clients, souhaitait un
représentant unique sur tout le territoire tunisien. Il se devait d’être
professionnel, germanophone et ne devait surtout pas posséder d’hôtels.

AB
en avait le profil. Il soumissionna. Son comparatif avec l’autre postulant
était en sa défaveur, parce qu’il était «trop petit». Il répondra à la TUI,
colosse de l’époque qui lui tend la chance de sa vie, que ses seuls
avantages sont son CV, sa force de travail et le soutien de certains amis
professionnels consultés du reste par le Tour opérateur.
La réponse ne se fit pas attendre. «On va grandir ensemble», lui promet-on.
Depuis le 31 décembre 1984 à ce jour, AB est l’agent général de la TUI en
Tunisie.

Nombreux sont ceux qui prédirent l’échec d’AB à cette tâche.
C’était mal le connaître. Il décida d’ouvrir ses bureaux à Sousse et s’y
installa littéralement. Il passa des années à codifier le métier d’agent de
voyage. Il se souvient, des années à consulter les cahiers de mouvements, à
prévoir les bus de réserve pour les transferts des clients aux aéroports, à
veiller à la bonne présentation en imposant des tenues de travail à ces
guides et chauffeurs et en supervisant lui-même l’assistance des clients aux
aéroports… Ces années de labeur lui servirent, en fait, à forger la
réputation de son agence de voyage mais aussi à entrer dans l’application et
l’assimilation des standards allemands de gestion et de capter la «German
way of thinking and working». Excusez, si Adel, mais en Allemand, il aurait
était fort complexe de l’écrire et le lire !

L’histoire du tourisme tunisien prouve par un autre succès, en l’occurrence
celui d’Aziz Miled, qu’une collaboration tuniso-allemande peut être
fructueuse et longue. L’homme d’affaires et technicien du tourisme aussi, a
fait carrière et fortune dans l’hôtellerie et l’aérien. Son alliance au
Tour-operator allemand Neckerman dure depuis plusieurs décennies.

 L’Allemand
a la réputation d’être un compétiteur, discipliné, exigent et fidèle. Ce qui
peut être perçu comme rigidités et intransigeances par certains, s’est
incrusté comme une méthodologie de travail chez AB et son équipe. Ils
imposent alors le labeur, son rythme et ses modalités. AB écoute, analyse
puis agit. Il sait choisir et garder ses collaborateurs. Il assume ses choix
et ne connaît qu’une seule et unique manière de travailler.

Etre à l’écoute,
exécuter les attentes de la demande et appliquer le principe de la qualité
totale. AB précise : «Il n’y pas de secrets, la demande impose le
renouvellement et la remise en question permanente. Aujourd’hui, la tendance
est au tourisme de famille et écologique. Nous avons des structures qui
peuvent s’adapter à ces nouveaux concepts. Il faut renouveler les approches.
En tant que destination, nous sommes à même de répondre positivement à ces
attentes. Notre chance est là. Il faut y croire, retrousser nos manches et
travailler
». Les défis ne lui ont jamais fait peur. Redorer le blason du tourisme
tunisien malmené par l’émergence, entre autres, de nouvelles destinations
arrivées tardivement au tourisme, est, selon lui, à la portée de la Tunisie.

Un open sky pour mieux négocier

Concernant le marché allemand, la question n’est plus de savoir pourquoi
nous sommes passés d’un million de vacanciers allemands en 2000, à la moitié
en 2008, et ce malgré une récente et timide reprise à applaudir. Qu’allons-nous faire pour gagner des parts de marché et ne pas en perdre
davantage ?.

Les opérateurs allemands appellent à plus de qualité. Ils
estiment que le produit tunisien vieillit mal et n’arrive pas à se
renouveler. Les professionnels tunisiens, pour leur part, dénoncent
d’énormes pressions sur les prix rendant la revalorisation du produit
hôtelier quasiment impossible. La réalité est crue. Il est urgent de casser
le cercle vicieux. La qualité va justifier la reprise de prix et le prix va
permettre le regain de qualité.

AB réceptionne les dernières mesures de l’Etat avec entrain : «La mise à
niveau engagée par le ministère du Tourisme est salutaire d’autant plus
qu’on vient de décider de nouvelles mesures en vue d’une mise à niveau axée
sur l’immatériel
».

Le tourisme émetteur allemand est dominé par 3 sociétés qui détiennent près
de 40% du marché, dont la TUI. Avec 82,5 millions d’habitants, le pays le
plus peuplé de l’Union européenne a longtemps été considéré comme le plus
important pays émetteur de touristes au monde. Selon diverses études, la
tendance du marché allemand va vraisemblablement vers une plus grande
attirance pour le luxe. La frontière avec le discount se creuse de plus en
plus. Les experts prévoient que le segment des voyageurs indépendants (FIT)
devrait, à terme, représenter près de la moitié des touristes. Ces
paramètres changent assurément les donnes. Il convient d’en tirer les
conclusions les meilleures.

Pour l’heure, que ceux qui se cachent derrière
les attentats de Djerba pour expliquer l’échec de la reprise tunisienne sur
le marché allemand se réveillent. Cet épisode est clos. Pour reconquérir le
marché allemand, il est urgent de renouveler et développer de nouvelles
structures, faire revenir les labels qui sont partis, maximiser et cibler
l’impact promotionnel sur les régions allemandes en perte d’intérêt pour
notre pays et à fort potentiel pour nos destinations concurrentes, notamment
l’Egypte et la Turquie.

Selon AB, le développement d’Internet et l’ouverture du ciel «sont des
éléments décisifs à exploiter intelligemment. Ils améliorent notre approche
et augmente notre pouvoir de négociations. Cette ouverture du ciel aura le
mérite, en outre, de changer totalement la facette et la structure actuelle
de notre commercialisation
».

Par ailleurs, AB précise qu’”il est essentiel d’introduire dans notre
stratégie le recours aux technologies nouvelles. Notamment par la
réalisation d’un portail d’informations national ainsi que des Centrales de
réservations par affinité. Il est aussi important de favoriser les
regroupements entre professionnels dans le cadre de chaînes volontaires.

C’est aujourd’hui qu’il est essentiel de trouver des moyens efficaces de
promouvoir la destination, à moindre coût. Avec efficience et inventivité. Pays émetteurs et récepteurs sont en train de subir de profondes turbulences
dues à une crise économique sans précédent. Gageons que ceux qui auront
trouvé les meilleures réponses, auront garanti de belles années en
perspective.