«Sex & the City», les marques, le tourisme et moi


Par Amel Djait Belkaid


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Mon
boulot m’oblige à passer beaucoup de temps sur le web. Trouver des news
insolites, décoder les modes, être à la page, analyser les tendances et
comportements pour vous les livrer, dilués à la sauce sarcastique,
interrogative ou analytique dont j’ai le secret. Voilà mon job.

 

J’ai passé le week-end
accrochée à mon écran, connecté au «nec plus ultra» de ce qui se fait en
termes d’innovations et de modes en matière de tourisme dans le monde. Je
regrette, mais c’est à chaudes larmes que je vous la livre, cette chronique.

 

Alors que nous continuons
à nous débattre avec notre tourisme culturel, ne le voyant toujours ni
décoller ni même s’enclencher, dans le monde, l’heure n’est plus au tourisme
culturel. Elle est au mieux disant culturel, voire carrément au Tourisme
Evénement.

 

Notre tourisme continue
de céder des parts de marché, Tripadvisor
continue d’être rempli de témoignages époustouflants d’expériences très
malheureuses dans nos structures hôtelières (j’y reviendrais dans un papier
prochain) et moi, je suis carrément prise d’une soudaine tristesse.

 

Nos chiffres sont en
baisse, le produit dégringole, la qualité de service s’effondre et l’image
de marque du tourisme tunisien se ternit un peu plus, tous les jours.
Pourquoi les marques hôtelières internationales ne s’installent-elle pas en
Tunisie ? Quelques noms ont fait la démarche, elles se sont rapidement
retirées –quelques-unes en tout cas, du circuit. Pourquoi ?

 

Plongée dans mes
interrogations, un ami justement professionnel du tourisme me téléphone vert
de colère : «Tu te rends compte Amel, le serveur est venu cigarette au bec,
accroché à son portable pour prendre la commande, mais est-ce que tu
réalises?». J’ai imaginé toute seule le reste. Il devait être pas très
frais, mal rasé, les ongles pas très propres…

Finalement, sans avoir à
chercher bien loin, voilà très probablement le premier élément de réponse à
mon interrogation.

 

Entre temps, dans à peu
près toutes les destinations du monde on peut choisir une chambre d’hôtel
selon sa thématique (couleur, période ou personnage historique), en souvenir
d’un grand philosophe, peintre ou poète. On peut partir en voyage sur les
pas de tel savant, refaire le circuit de tel peintre, réveiller ses 5 sens,…

 

L’offre hôtelière
classique a certes toujours sa place dans l’hôtellerie mondiale, mais de
nombreux autres modèles tiennent le haut du tableau et s’approprient de plus
en plus des parts de marché. Les nouveaux voyageurs sont plus jeunes et plus
exigeants. Ils sont à la recherche d’expériences nouvelles et insolites et
on leur offre une panoplie de nouvelles formes d’hébergement.

 

Le net les noie dans une
offre séduisante et ils ont désormais le choix entre des hôtels boutiques,
charme, design, bijoux,…Des roulottes, des cabanes dans les arbres, des
tentes de Laurence d’Arabie ou de Marajah, des Igloo,…  les structures
offrent tous les conforts et services à une clientèle avide de nouveautés
qui devient témoin et porte-parole de toute expérience heureuse sur le net.

 

Au bord de la crise de
nerfs, j’ai mal de constater que même les cartes magnétiques des chambres
d’hôtels sont dessinées par des sommités de la peinture contemporaine ou des
reprises de tableaux de maître. Que voulez vous, les hôtels, restaurants et
bars sont désormais dessinés par Bulgari, Starck, Armani, Lacroix… ?

 

Cette dernière trouvaille
s’appelle le «branded brands».
Il consiste à marier le produit de deux partenaires commerciaux afin de
créer une expérience et un placement de produit hors du commun. En pratique
et dans le tourisme, ça consiste à voir des mariages d’exception entre des
hôtels et spas, des hôtels et des bijoutiers qui associent leur savoir-faire
pour concocter des produits de niche de très grande qualité et capitalisent
sur leur image de marque.

 

Quand on applique ce
principe, il en résulte des mariages de
Bulgari à Ritz-Carlton Hotel Company
pour donner le
Bulgari
Hotel de Milan (ouvert
en mai 2004, il est la véritable incarnation du luxe et summum de la
tendance du moment). Le succès est immédiat et ce tandem a ouvert, depuis,
un complexe de villégiature à Bali et un restaurant à Tokyo. Giorgio Armani
a annoncé qu’il construira, d’ici une décennie, 14 hôtels dont le design
reflétera la philosophie et le style de son entreprise.

 

Les spas de marque ne
sont pas en reste non plus. Alors que le Maroc regorge déjà de spas
labélisés (notamment Clarins),
les mariages hôtels-spas continuent de bouleverser la donne. Givenchy spas
est jumelé avec les complexes de villégiature «One
& Only
», «Banyan Tree Spa»,
présent dans des hôtels Oberoi, Sheraton et Westin,
«Six Senses
» situés à Dubaï et
l’Hotel Arts de Barcelone, …

 

Et nous, et nous, et
nous?

Que ceux qui pensent que
l’on ne peut faire que dans le luxe, se trompent.

 

Récemment, deux hôtels en
Californie, exclusivement dédiés aux planchistes créent des chambres
adaptées et «signées» pour plaire à cette clientèle particulière. En plus
d’y retrouver des supports de planches à neige, des séchoirs à bottes, des
lecteurs de CD et des consoles de jeux
Xbox
, la chambre a été
aménagée autour des marques les plus populaires auprès de ce segment.

 

Pour me remonter le
moral, je me dis que ce ne sont que de petits établissements indépendants,
situés dans des capitales européennes qui s’adressent à une clientèle, qui
n’est pas forcément la nôtre. Il s’avère que même les grandes chaînes
empruntent cette formule qui sollicite l’art, l’artisanat, la culture locale
et les talents des jeunes, connus ou pas. A quoi servent, donc, nos
universités qui pullulent de jeunes diplômés souffrant de chômage et
bouillonnant d’idées et de talents ? Ne peut-on pas les mettre à
contribution pour donner vie à des structures hôtelières vides, sans cachet
et sans âme ?

 

Plus loin, dans ma balade
dominicale sur le net, je suis mise KO par la sortie du film «Sex
& the city
». Une agence de voyage new-yorkaise propose aux fans
de la série de vivre dans la peau des héroïnes de la série télévisée pour un
forfait de 15.000 euros. Les premiers groupes sont arrivés le 29 mai et la
guide déclare balader plus d’un millier de touristes chaque semaine sur les
traces des héroïnes de la série.

 

Selon Reuters, la sortie
du film “Sex and the City”
a renouvelé l’intérêt pour le programme, explique Joanne Konstantinakos,
fondatrice de l’agence Destination on Location, qui propose ce séjour. Forte de
son succès, l’agence compte développer le concept en proposant bientôt un
séjour “Lord of The Rings
en Nouvelle-Zélande.

 

Et nous qu’avons-nous
fait de «Stars Wars», du «Patient
Anglais»,
des «Aventuriers
de l’arche perdue
», à part quelques séquences vidéos pour
agrémenter notre communication institutionnelle ?

 

En espérant me remonter
le moral, il ne me reste plus qu’à choisir entre un feuilleton de «Sex & the
City» ou «Le Patient Anglais» en DVD, faute de ne pouvoir me payer le
dernier bijou de chez «Bulgari».