Nabeul a peur pour sa poterie-céramique

Nabeul a peur pour sa poterie-céramique

Par Mohamed BOUAMOUD

poteries180.gifQuiconque,
autochtone ou étranger, se balade à travers Nabeul ne peut ne pas être
frappé par le nombre incalculable des potiers et céramistes. C’est à croire
que c’est la seule activité qui anime la ville. Mais ce qui est sûr, c’est
que c’est la vocation même de la capitale du Cap Bon. Il semble que ce
soient les Andalous qui y aient enraciné la profession depuis la nuit du
temps. D’aucuns ajoutent que les Français, trouvant le secteur en ce milieu
des années 1890 assez primitif et négligé, avaient mis un peu d’ordre et
encouragé cet artisanat en le dotant de moyens plus ou moins modernes
(moules, art de la décoration…) sans toucher à sa nature et sa spécificité.

 

Il y a donc fort à parier que Nabeul a toujours vécu de et avec la poterie.
Ce qui explique un peu l’importance de cet artisanat ancestral et séculaire.
A défaut, donc, de calculer le nombre des professionnels de la poterie et de
la céramique à Nabeul, on apprend en revanche que les entreprises les plus
importantes sont aujourd’hui au nombre d’une bonne cinquantaine.

 

Notre visite nous a amenés chez deux d’entre elles. La Société Céramique
Lakhal, du nom de son propriétaire Fethi, existe depuis 35 ans. Le maître
des lieux nous reçoit non pas à l’usine mère, mais au Musée, un nouvel
espace, non encore ouvert officiellement, qu’il s’est construit il y a trois
ans pour en faire un point d’exposition-vente. Il a même failli l’appeler
‘‘Palais Lakhal’’ et il n’aurait pas eu tort. C’est que la beauté et la
diversité des articles relèvent tout simplement de la très haute gamme.

 

La céramique, à Nabeul, a atteint des niveaux de qualité (plus que)
supérieure. Ce ne sont pas des articles, ce sont des merveilles qui
rivalisent de couleurs, de beauté, d’éclat, de conception, de formes, de
création et de finition. Impossible de citer toute la gamme : cela va des
services de table aux objets de décoration, en passant par les gadgets, les
bacs à fleurs multiformes, les abat-jour, la vaisselle, les cadres, les
veilleuses, les cendriers, les instruments de percussion, les services de
thé et de café, tout. Tout. Au rythme de 3.000 à 5.000 pièces par semaine
(selon la taille et la nature des produits), l’entreprise Lakhal exporte
jusqu’à 70 % de sa production vers les USA, la France, l’Allemagne,
l’Algérie et la Libye.

 

Relativement récente, la Société Houcine Arfaoui existe depuis 1989 et fait
de la poterie artisanale pour la décoration et les couverts de table.
Lui-même incapable d’estimer sa production en termes de nombre de pièces sur
telle périodicité, M. Arfaoui évalue la production en termes financiers. Sa
société produit donc pour 350 mille dinars par an, dont 50% sont destinés à
l’export. Mieux : il s’estime être le plus grand pourvoyeur en devises de
toute la ville de Nabeul. Ses clients permanents sont les USA et la France,
alors que ses clients temporaires ou occasionnels restent les Italiens et
les Belges. Dans sa globalité, la ville de Nabeul a exporté, jusqu’à fin
septembre 2007, pour 4.372.759 MD, et ambitionne d’atteindre les 6 milliards
au terme de l’exercice en cours. Cette réalité chiffrée est d’autant plus
réelle que les 50 entreprises exportatrices passent nécessairement par la
Délégation régionale de l’Office national de l’artisanat.

 

Il paraît même que Nabeul est la seule ville qui observe strictement cette
loi née en 1996 précisément pour protéger la profession et parer à tout
dérapage. Sauf qu’il y a deux problèmes à Nabeul, et autant de soucis. A la
question de savoir combien d’ouvriers emploie telle ou telle entreprise, il
n’y a pas de réponse claire. Explication de l’un de nos interlocuteurs :
«Mais je ne peux pas vous dire combien d’ouvriers j’emploie. Aujourd’hui,
ils sont 40, demain ils ne seront plus que 13 ou 17. Vous savez ce qui se
passe chez nous ? Quand un patron décide de remercier l’un de ses employés,
toute la machine nous tombe sur la tête : le droit des employés, la CNSS, le
motif du renvoi, etc. Mais quand c’est l’ouvrier qui, sur un coup de tête,
décide de partir de son propre chef, eh bien nous ne pouvons rien contre
lui. C’est lui qui devient le maître de la situation».

 

Ce même problème nous est expliqué différemment par M. Khalil Chatti,
Délégué régional à Nabeul, qui, lui, tient à tirer la sonnette d’alarme.
Effectivement, Nabeul connaît un gros problème. Les jeunes apprentis
s’imaginent être devenus de grands artisans au bout de trois ou quatre mois.
Du coup, ils se lancent sur leurs propres comptes dans de petits magasins
insignifiants. Or, pour se faire une petite clientèle, ils se trouvent
obligés de brader les prix. Mais en bradant les prix, ils font fi de la
qualité. Un phénomène de concurrence injuste et déloyale qui a fait que
beaucoup de potiers et de céramistes se sont retrouvés dans la même
situation les obligeant à leur tour de négliger la qualité de leurs
produits.

 

A plus ou moins brève échéance, c’est l’exportation qui va battre de l’aile.
Et c’est grave ! M. Khélil Chatti a une idée. Il pense que la réalisation de
ce qu’il appelle ‘‘La Maison de la Céramique’’ va pouvoir résoudre le
problème. Il s’agira d’une maison regroupant trois centres : un centre
technique, un centre de formation des compétences, et un Musée de la
céramique en vue de garder la tradition dans la région. Autrement dit, les
jeunes artisans ne pourront plus s’installer à leurs propres comptes s’ils
ne sont pas dits qualifiés et, donc, ressortissants de la Maison avec
diplôme ou autre reconnaissance du genre.

 

De toute manière, une solution se doit d’être trouvée quand on pense que
l’artisanat voudrait compter pour 8 % de l’ensemble des exportations
artisanales du pays à l’horizon 2016. L’on ne saurait progresser quand,
quelque part, l’on ne fait que toucher au cœur même de la qualité.