Mme Amina Najar Baccouri : ‘’ Nécessité d’organiser les agriculteurs … et trouver des systèmes de production performants adaptés’’

Par : Tallel
 


najar90.jpgDans le cadre de la Journée de l’agriculture qui
sera célébrée le samedi 12 mai2007, nous avons voulu faire un focus sur des
femmes agricultrices en Tunisie. C’est ainsi que nous avons rencontré Mme
Amina Najar, épouse Baccouri, ingénieur agronome, diplômé de l’Institut
National Agronomique de Tunisie et de l’Université du Wisconsin aux
Etats-Unis. Elle nous parle de son parcours…

Webmanagercenter : Comment vous avez commencé votre carrière ?

Amina Najar Baccouri : A mon retour en Tunisie en 1987, j’ai
travaillé au ministère de l’Agriculture, mais au bout de 3 ans, je me suis
rendue compte que ma place était sur le terrain. C’est ainsi que j’ai loué
des terres à mi chemin entre Mateur et Sejnène -un coup de cœur il faut
l’avouer- dans les grandes cultures, mais cela aurait pu être une autre
région et d’autres cultures.

En effet, j’ai loué 110 Ha que j’ai travaillé pendant une dizaine d’années,
dans le domaine des grandes cultures (céréales, légumineuses, fourrages) et
de l’élevage ovin. Il faut dire que c’est une région très pluvieuse, là où
l’agriculture est assez difficile : des pentes qui favorisent naturellement
l’érosion. Ceci dit, c’était très intéressant en ce sens que c’était un
défi, et que par-dessus tout, c’était une région où il n’existait pas
beaucoup d’encadrement technique des agriculteurs ; et, sans me rendre
compte au fil des années, j’ai constaté que, en tant qu’ingénieur, arrivée
dans une zone pareil! le, mon activité contribuait au développement agricole
de la zone.

Donc, d’une année à l’autre, je voyais des agriculteurs qui venaient acheter
chez moi qui de la semence, qui pour demander tel ou tel produit de
traitement, qui pour louer du matériel etc. Tout ceci était finalement
valorisant pour l’ingénieur que je suis. En un mot, j’ai introduit de
nouvelles variétés de blé, contribuer à la gestion des mauvaises herbes et
des maladies fongiques dans les cultures, …

Est-ce qu’on peut dire que vous avez introduit de nouvelles techniques
dans le domaine agricole dans la région ?

Certainement, mais à mon insu, car les agriculteurs m’observaient et
constataient les différences de rendement à la récolte, du coup ils se sont
intéressés et ont cherché à faire pareil.

Dans cette région montagneuse et très pluvieuse, les glissements de terrain
sont fréquents et l’érosion condamne des milliers d’hectares. J’ai eu la
chance de collaborer dans un programme expérimental de non labour et les
résultats sont spectaculaires. Timidement au départ avec 2 ha de culture en
non labour, je suis passée à 100% des parcelles aujourd’hui.

Aujourd’hui, vous continuez toujours les mêmes activités ?

Depuis, j’ai eu la chance de postuler pour une terre de l’Etat dans le cadre
de la session des terres domaniales sous forme de location. Depuis, je gère
un lot technicien de 48 ha avec des potentialités plus intéressantes par
rapport à celle que j’avais à Sejnène. Cela m’a permis de passer d’un niveau
où j’étais limitée dans mon action à un autre où mes interventions pouvaient
être plus précises et le niveau de production plus satisfaisant.

Je suis toujours dans les grandes cultures, je fais du blé, du fourrage, des
légumineuses (pois chiche, fève, féverole, etc.), et j’ai opté pour de
nouvelles techniques culturales : le semis direct ou encore le non labour.
Quant à l’intégration de l’élevage, j’ai opté pour le bovin et j’ai choisi
la race tarentaise, race mixte, pour ses qualités diverses (rustique,
adaptable, valorisant les sous-produits de la ferme, tolérant les fortes
chaleurs de l’été, supportant des périodes de vache maigre, bonne fertilité
et bonne longévité…)

Combien de quintaux de blé produisez-vous par an ?

Ecoutez, je ne pense pas que cela soit pertinent de parler de rendements.
Dans un système agricole extensif, les rendements fluctuent d’une année à
l’autre. Ce que je peux vous dire, c’est que cela fait 8 ans que je
travaille cette terre de l’Etat, certes le chiffre d’affaires reste le même
ou augmente quelque peu, mais les frais ont doublé. Autrement dit, ça
devient de plus en plus dur.

Cela me pousse à vous demander comment vous voyez les perspectives de
l’agriculture tunisienne ?

Comme je viens de le souligner, je vois que l’agriculture est devenue de
plus en plus dure, surtout avec la déferlante mondialisation… Mais face à
cela, je pense qu’il faut agir, ne pas rester les bras croisés. Car
l’agriculteur tunisien doit se rendre compte de cette réalité et
s’organiser. C’est ce que nous essayons de faire d’ailleurs en rejoignant
les structures professionnelles, en créant des coopératives et des
associations.

Je puis vous dire que j’étais heureuse en travaillant dans ma montagne à
faire de la vulgarisation de techniques agricoles; que par la suite, j’ai
trouvé la performance en travaillant la terre de l’Etat, et en atteignant
des rendements remarquables. Aujourd’hui, c’est la rentabilité qui me
préoccupe. Je vois mes bénéfices diminuer tous les ans. Les coûts de
production sont de plus en plus importants. C’était le moment de rentrer
dans des structures organisées, et de chercher à faire bouger les choses
ailleurs.

La première structure à laquelle j’ai adhéré fut l’UTAP (Union Tunisienne
de l’Agriculture et de la Pêche) ; ensuite, le GERT (Groupement des Eleveurs
de la Race Tarentaise) et l’APAD (Association pour l’Agriculture durable)

Le gouvernement encourage les agriculteurs à s’organiser en coopératives,
associations, groupements professionnels; et nous sommes parmi les premiers
groupements d’éleveurs à travailler avec l’Etat et à contribuer au
développement de la race tarentaise en Tunisie. De même, notre association
pour l’agriculture durable a vu le jour grâce à la prise de conscience d’un
groupe de céréaliers convaincus qu’il est impératif de protéger nos sols et
que la technique du semis direct pourrait contribuer à diminuer notamment
l’érosion.

Vous savez, les gens me demandent souvent quelles sont les performances du
semis direct. Je réponds toujours en disant que cette pratique culturale m’a
permis de faire une économie en carburant, une économie en temps, de
réaliser une précision dans les interventions, les sols sont mieux drainés
et l’accès aux parcelles est plus facile.

Mais est-ce que le rendement a augmenté ?

Il n’y a pas de différence significative pour les rendements, mais il est
certain que les frais diminuent.

Qu’attendent les agriculteurs de la part de l’Etat ?

Si mes chiffres sont exacts, je crois que 80% des cultivateurs possèdent
moins de 50 ha, que 80% des éleveurs bovins possèdent moins de 20 bêtes. Ces
catégories de petits et moyens agriculteurs fournissent plus de 80% de la
production en céréales, fruits, légumes viande et lait. Ces gens doivent
continuer à produire. Ils doivent s’organiser, et avec les encouragements de
l’Etat, chercher à trouver des systèmes de production performants mais
adaptés à leurs conditions et à leur région.

 

Propos recueillis par

Tallel BAHOURY