La majorité de nos vendeurs apprennent à vendre en vendant. Ils apprennent par l’expérience, dit-on. Mais il y a «expérience» et «expérience» comme il y a, du reste, «pratique» et «pratique».

Au cours de ma carrière de formateur, j’ai entendu dire un nombre incalculable de fois que «l’essentiel, c’est la pratique». Mais personne ne m’a précisé, à ce jour, de quelle pratique il s’agit. Car, dans le domaine de la vente, il n’y a pas une pratique, mais des pratiques. J’en connais personnellement une demi douzaine dans chacune des branches de la vente.

Alors, à quelle pratique fait-on allusion, au juste, lorsqu’on tient ce type de propos ? Fait-on allusion, par exemple, à la pratique de la vente sédentaire telle qu’elle est observée dans les magasins «Le Printemps» ou à celle qui est actuellement en vigueur dans nos Grandes Surfaces ? Fait-on allusion à la pratique de la vente itinérante de Joe Girard qui, régulièrement et pendant des années, a vendu «plus de véhicules que toute autre personne dans le monde» ou à celle de ces vendeurs qui n’arrivent même pas à maintenir le niveau de leurs ventes d’une année à une autre ?

Pour ma part, j’ai dû constater non sans amertume l’énorme «gâchis» causé par une certaine pratique de la vente dans un grand nombre de nos entreprises : des millions de dinars se sont engloutis chaque année dans des recrutements inappropriés, des ventes ratées et des formations stériles !

Considérant la vente beaucoup plus comme un «don» que comme «un métier», la plupart de nos entreprises, par nécessité ou par imprudence, ont souvent confié la vente de leurs produits à des personnes n’ayant ni le profil ni la qualification nécessaires. Il n’est pas en effet rare de voir aujourd’hui des personnes, dont la formation de base est très éloignée du commerce et de la vente, exercer sous des appellations différentes le métier de «vendeur» dans des secteurs aussi bien nombreux que variés !

Surestimant ensuite les effets bénéfiques de la «formation sur le tas», ces entreprises n’ont pas hésité à livrer leurs vendeurs à eux-mêmes sur des secteurs de vente peu porteurs, saturés ou tout simplement difficiles à exploiter par des vendeurs peu ou non qualifiés. Elles ont pensé qu’il suffisait de leur proposer des incitations financières alléchantes pour qu’ils deviennent, un jour, d’excellents vendeurs !

Résultat : La plupart de nos vendeurs ont pris l’habitude d’utiliser à la perfection des méthodes de vente devenues parfaitement défectueuses ! Ils ont perdu ainsi des années en efforts qui auraient pu être plus fructueux s’ils avaient acquis au départ de bons principes et une adéquate méthode d’apprentissage.

D’aucuns peuvent rétorquer que, dans le domaine de la vente, l’expérience est une excellente méthode d’apprentissage. Ils oublient cependant que l’expérience n’est pas à confondre avec l’ancienneté : un vendeur ayant adopté la même méthode pour effecteur le même travail pendant 30 ans n’a pas trente ans d’expérience. Il en a, en fait, une année d’expérience qui s’est répétée 30 fois ! Car l’expérience se mesure essentiellement par le nombre et la diversité des problèmes rencontrés dans l’exécution d’une tâche donnée. Elle se mesure ensuite par le degré de prise de conscience de ces problèmes et la volonté de les résoudre. Elle se mesure enfin et surtout par la capacité à améliorer les méthodes ayant servi à la résolution de ces problèmes. C’est dire donc qu’un vendeur expérimenté évolue et fait évoluer avec lui ses méthodes de travail, c’est-à-dire sa pratique. De ce point de vue, l’expérience devient non seulement une source incontournable de l’apprentissage mais aussi un moyen privilégié d’amélioration de la pratique.

Moralité : L’ancienneté n’est pas suffisante à l’amélioration des pratiques. Encore faut-il consacrer une bonne partie du temps de travail à la réflexion à leur sujet.

On ne répétera jamais assez que c’est la réflexion au sujet de la pratique et non la pratique elle-même qui assure le progrès. Un exemple simple nous fera percevoir cette importante idée : Imaginons que l’on confie à un groupe de personnes la charge de faire des opérations arithmétiques telles que des additions, des soustractions, des multiplications, des divisions, etc. Ce travail doit être fait à longueur de journées pendant 30 ans. Que peut-on espérer comme résultat probable de ce travail à l’issue de cette longue période ? Tout au plus, on aurait des personnes très fortes en calcul mental et particulièrement rapides pour exécuter des opérations arithmétiques. Or, ce savoir-faire ne doit pas être considéré comme un progrès pour une double raison :

– le savoir-faire issu de cette pratique n’est pas transmissible : il disparaîtra avec la propre disparition de ce groupe ;

– cette pratique est peu performante par rapport à celle qui, dans l’intervalle, a été inventée par un autre groupe de personnes : ce dernier s’est abstenu, pour un moment, de «faire» ces opérations pour réfléchir à leur sujet en se posant notamment des questions du type : Qu’est-ce qu’une addition ? Qu’est-ce qu’une multiplication ? Etc.

Le résultat de cette réflexion a été l’invention de la machine à calculer qui, mise entre les mains d’un gamin de 10 ans, lui permet, à tout moment, de faire ces opérations à un rythme 10 fois plus rapide que le plus rapide du groupe précédemment cité !

Moralité : La réflexion au sujet de la pratique aboutit le plus souvent à la découverte d’une pratique plus performante et transmissible. Elle peut se faire avec ou sans l’aide d’un formateur.

On comprend alors la pertinence de ce fameux adage qui dit : «l’expérience n’est pas tant ce qui vous arrive que ce que vous faites de ce qui vous arrive». Autrement dit, la bonne démarche consiste à prendre du recul par rapport à ce que l’on fait pour se poser systématiquement des questions du type : «Ce que je suis en train de faire est-il encore utile pour l’entreprise ?» Si oui, est-il intéressant de continuer de le faire comme je le fais maintenant ?». «Puis-je le faire plus économiquement ?

«Puis-je le faire plus rapidement ?». «Puis-je le faire plus efficacement?», etc.

C’est cette démarche qui est adoptée dans nos séminaires de formation. La réflexion au sujet de la pratique n’a donc rien à voir avec la théorie. Celle-ci peut néanmoins guider cette réflexion. Car toute théorie est basée sur une pratique et, qu’inversement, toute pratique est basée sur une théorie. J’aimerais ajouter enfin que la réflexion sans pratique est un leurre et, inversement, la pratique sans réflexion est aveugle.

Par Mohamed Moncef KACHOURI