La Société d’économie solidaire, une autre vision de l’économie

Par : Tallel
 

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Par
Tristan Valentin*

 


emlpoi150406.jpgLes
nouveaux types de contrats de travail sont destinés à apporter une réponse
aux problèmes de l’emploi en favorisant telle ou telle population, ce qui
revient à créer des dissensions, des discriminations. Ainsi, les «vieux»
sont-ils opposés aux «jeunes», les diplômés aux non-diplômés, le tout pour
jouir de ce qui peut s’assimiler à un droit “constitutionnel” : travailler.
Certains hommes politiques, pour résoudre le chômage, veulent aller plus
loin en réformant le droit du travail en profondeur. D’autres, au contraire,
souhaitent le statu quo, voire un retour en arrière. Pourtant, n’y aurait-il
pas mati&eg rave;re à contenter les uns comme les autres en analysant
objectivement les préoccupations des chefs d’entreprise comme celles de
leurs employés? Une réponse satisfaisante pourrait alors être apportée par
l’introduction d’une nouvelle forme juridique sociétale : la Société
d’économie solidaire.

Tout chef d’entreprise, il ne faut pas l’oublier, est un travailleur
précaire. Cette précarité peut être certes compensée par des revenus
conséquents, mais dans la plupart des cas, elle ne trouve aucune
compensation financière. Ainsi, il n’est pas rare que les salariés d’une
entreprise gagnent plus que leur employeur. Ajoutons à cela de nombreux
sacrifices (vie familiale, responsabilités juridiques et sociales…), et
nous pourrons aisément conclure que le statut de chef d’entreprise n’est pas
si enviable. Le souci du chef d’entreprise peut être réduit à ce que la
somme de ses décisions heureuses dépasse celle de ses choix malheureux, dans
un environnement qu&rsqu o;il est loin de maîtriser.

Tout salarié, il ne faut pas l’oublier non plus, est aussi un travailleur
précaire. Le CDI (Contrat à durée indéterminée) n’est pas un vaccin contre
le chômage. Les procédures de licenciement sont certes complexes et
coûteuses, moins cependant que de conserver un salarié indésirable, quelle
qu’en soit la raison. Seul le fonctionnaire est assuré de son emploi tant
qu’il n’a pas commis d’acte grave dans l’exercice de sa fonction. Le souci
du salarié est d’assurer à son entreprise une position qui lui permette
d’obtenir une rémunération en échange de son travail.

L’actionnaire, quant à lui, a pour souci de valoriser son capital, même si
certains, «les actionnaires engagés», poursuivent en parallèle d’autres
objectifs. L’entreprise, ses dirigeants et les employés sont donc,
aujourd’hui, des produits de placement, alors qu’historiquement
l’actionnariat avait pour objectif premier d’assurer la croissance des
entreprises par l’apport de capitaux externes.

Le statut comme les objectifs de l’entrepreneur et du salarié ne sont pas si
éloignés, ils ont en tout cas plus à gagner en s’accordant. Une partie des
problèmes peut être expliquée par cette incommunicabilité. En effet, un
enrichissement personnel de l’entrepreneur consécutif à des décisions
heureuses peut être jugé indécent par les salariés si ceux-ci ne bénéficient
pas à leur tour du fruit collectif. De même, un salarié qui ne remplit pas
les objectifs qui lui ont été assignés, ou dont le coût rend difficile
l’équilibre de l’entreprise, devient-il une menace pour l’entreprise,
l’entrepreneur et les au tres salariés. L’actionnaire ne s’inscrit pas, en
général, dans la dimension humaine de l’entreprise.

Vivre, c’est risquer, même si l’une de nos préoccupations nous conduit à
limiter le potentiel négatif du risque. Certains ont un attrait pour le
risque quand d’autres y sont confrontés par obligation. Ainsi, les
employeurs qui appartiennent à la première catégorie demandent aux employés
-la seconde catégorie- de partager leur vision du risque en introduisant
plus de souplesse dans le droit du travail. Un partenariat clair, honnête et
équitable pourrait concilier les besoins de chacune des parties et redéfinir
la dimension sociale de l’entreprise : une aventure humaine collective. La
création d’une nouvelle forme sociétale, la SES (Société d’économie solida
ire), pourrait répondre à cette définition. Cette société serait mue non par
une recherche immodérée du profit au service de quelques-uns, mais par la
recherche d’un réel équilibre qui satisfasse toutes ses composantes. Cela
reposerait sur un certain nombre d’avantages assujettis à autant de
garanties.

Des aides à la création d’abord. Le créateur lambda est confronté à deux
problèmes majeurs : trésorerie (les banques ne prêtent qu’en échange de
garanties) et formation insuffisantes. Ainsi, de nombreuses entreprises sont
conduites à la faillite avant leurs cinq premières années d’existence. Les
dirigeants issus des grandes écoles ainsi que ceux qui disposent d’un
capital suffisamment important (ce sont souvent les mêmes) ont un taux de
réussite supérieur aux autres. Voici donc quelques idées, pour garantir
«l’égalité des chances»:

– Gratuité des formalités administratives, et formation continue gratuite du
gérant pendant un an.
– Prêt de 50.000 euros (maximum) au gérant, attribution d’une sorte de RMI
et suspension des charges sociales du gérant. Ces aides seraient accordées
sous conditions, et remboursables sur cinq ans, à partir de la troisième
année d’existence.

Des avantages sociaux ensuite. L’importance des charges sociales garantit
certes une protection sociale importante -et c’est heureux-, cependant elles
sont un frein au développement des entreprises, surtout quand le monde se
rétrécit (mise en concurrence, dans certains secteurs, de nos entreprises
avec les entreprises étrangères). Voici donc quelques «idées» pour baisser
le coût social du travail :

– Suspension des cotisations URSSAF, qui ne seraient dues qu’en cas de
licenciement.
– Création de caisses sociales autonomes.
– Allègement des autres cotisations sociales.

Des avantages fiscaux pour les dirigeants et les employés de ces SES:
exonération de l’impôt sur le revenu pour les uns comme pour les autres.
D’ailleurs l’impôt sur le revenu n’est guère productif, d’autant plus que
les contribuables informés, en général les plus importants, y échappent
partiellement, voire totalement.

La SES serait également la seule entreprise à bénéficier des aides publiques
comme à accéder aux marchés publics. L’octroi des aides publiques fausse
l’économie de marché car, limitées, elles profitent à certains secteurs, à
certaines entreprises, au détriment d’autres. Pourquoi en effet privilégier
le vigneron, au mépris de l’artisan ou du boutiquier? L’expérience nous a
également montré que les aides publiques accordées aux entreprises en
échange de leur implantation n’a pas toujours vu pérenniser l’emploi ni
contribuer aux richesses locales. Même si l’accès aux marchés publics a
gagné en tran sparence au cours des dernières années, le chemin est encore
long pour abolir la corruption.

La SES serait également la seule entreprise à recourir aux contrats aidés
et, pourquoi pas, à assouplir la procédure de licenciement.

On peut enfin imaginer que certains secteurs (banques, assurances,
industries alimentaire et culturelle, bref, tous les producteurs de biens et
services indispensables) ne puissent se constituer qu’en SES.

Si les avantages octroyés à cette entreprise paraissent conséquents, les
garanties le sont aussi.

D’abord, tout licenciement devrait être approuvé par la majorité des
employés, et les cotisations URSSAF seraient dues.

Ensuite, la SES n’aurait droit ni d’entrer en Bourse, ni de muter en un
autre type de société.

De même, tout bénéfice non réinvesti serait versé à l’Etat.

Enfin, le salaire (qui inclut les primes) deviendrait la seule forme de
rémunération, aussi bien pour les employés que pour les dirigeants. Le
salaire le plus haut ne pourrait pas dépasser de trois à cinq fois le
salaire le plus bas. La cohésion sociale serait renforcée tout en
garantissant une discrimination des revenus, moteur de performance.
L’instauration d’un salaire maximal – on n’en parle jamais quand le salaire
minimal existe- pourrait venir compléter cette mesure.

En résumé, la SES s’inscrit parfaitement dans une logique capitalistique,
productrice de richesse, tout en écartant ses excès, à savoir la recherche
immodérée du profit au service exclusif d’une minorité. Celle-ci s’établit
au détriment du salarié, du consommateur et des écosystèmes. Les effets
bénéfiques, au contraire, il convient d’en poursuivre l’analyse, ce qui ne
peut être l’objet d’une telle synthèse, pourraient être multiples.


(Source :

www.agoravox.fr
du 14 avril 2006)

* Professeur de français, histoire, philosophie et culture générale dans un
établissement d’enseignement supérieur privé en France.