
Si les pratiques administratives se digitalisent progressivement — 67 % des entreprises ont automatisé certains processus — la fonction demeure largement cantonnée à un rôle opérationnel classique qui reste limité à la planification annuelle des effectifs, les formations réactives et une gestion de courts termes.
La situation qui révèle une tension profonde estime Ernest and Young. Les RH perçoivent clairement l’accélération des mutations du travail, mais n’arrivent pas encore à concevoir une vision stratégique capable d’anticiper les compétences, les métiers et les modèles organisationnels de demain.
Résultat : la fonction reste souvent en retrait des décisions structurantes, alors même que le capital humain devient le principal levier de compétitivité.
L’IA, catalyseur d’un changement de posture
Dans pareil contexte, l’intelligence artificielle devient un accélérateur potentiel de maturité RH. Elle permettrait de transformer en profondeur la manière de gérer les talents par l’automatisation des tâches répétitives à faible valeur ajoutée, l’optimisation du recrutement grâce à l’analyse de données et la personnalisation des parcours de formation et de carrière via l’anticipation des besoins en compétences.
Mais l’IA est jusqu’à présent un outil, elle ne crée de valeur que si elle est intégrée dans une vision RH claire, alignée sur les priorités business. Sans gouvernance ni cap, elle risque de rester un instrument technologique isolé, incapable de faire évoluer le rôle des RH vers celui de véritable partenaire stratégique.
Préserver l’emploi en le réinventant et en l’adaptant
Les chiffres sont sans appel : 70 % des employeurs déclarent un besoin urgent de nouvelles compétences, et le déficit mondial de talents pourrait atteindre 85 millions de personnes d’ici 2030. Cette tension sur les compétences redéfinit le débat autour de l’IA.
L’enjeu n’est pas la disparition de l’emploi, mais sa transformation. Les algorithmes absorbent les tâches standardisées ; les femmes et les hommes se recentrent sur ce qui fait la valeur durable du travail : créativité, intelligence émotionnelle, leadership, capacité à donner du sens et à fédérer.
Préserver l’emploi, dans ce contexte, signifie investir massivement dans la montée en compétences, encourager la mobilité interne et installer une logique d’apprentissage continu. La RH devient alors l’architecte des trajectoires professionnelles, plutôt que la simple gestionnaire des effectifs.
Dans son ouvrage 21 leçons pour le 21ème siècle Noah Harari parle de machines qui remplacerait la force physique, mécanique, de l’homme. Avec l’Intelligence Artificielle (IA), c’est la force cognitive qui est également remplacée.
Pour lui, échapper aux algorithmes artificiels serait difficile, dans la mesure où il suffit aux ingénieurs de comprendre et copier les propres comportements des hommes, qui sont eux-mêmes considérés par la science comme des algorithmes biochimiques.
“C’est ainsi que les IA peuvent désormais faire preuve “d’intuition » et prédire les comportements d’autrui. Mais il y a plus. Les IA se connectent plus facilement et sont régulièrement mises à jour. Cela leur offre un avantage sur les humains”.
Les risques à ne pas sous-estimer
L’étude EY met toutefois en garde contre plusieurs dérives potentielles dont l’usage des biais algorithmiques dans le recrutement, susceptibles de renforcer les inégalités existantes, la tentation d’une surveillance excessive des collaborateurs au nom de la performance, la perte de confiance lorsque les décisions RH apparaissent déshumanisées,
Ces risques sonnent comme un signal d’alarme : l’IA n’est jamais neutre. Elle reflète les choix, les valeurs et les biais de ceux qui la conçoivent et l’utilisent. D’où la nécessité de garde-fous éthiques, juridiques et managériaux, et du maintien d’une gouvernance humaine sur toutes les décisions sensibles.
Œuvrer pour une fonction RH stratégique et responsable
Pour 89 % des dirigeants interrogés par EY, une fonction RH stratégique sera déterminante pour le succès des entreprises dans les cinq prochaines années. Cette ambition suppose un changement de posture clair pour formaliser une stratégie RH alignée sur la vision de la direction générale, passer à une organisation centrée sur les compétences plutôt que sur les postes, développer une culture inclusive et diversifiée, encore insuffisamment concrétisée en Tunisie et assumer un rôle de leader technologique, capable d’orchestrer l’intégration de l’IA avec discernement et responsabilité.
Quand l’atout RH vacille
Les enquêtes de l’ITCEQ ont longtemps identifié les ressources humaines comme un pilier majeur du climat des affaires en Tunisie, perçu positivement par les chefs d’entreprise.
Mais le constat de 2022 marque un tournant préoccupant : l’indice RH chute à 68,7/100, son plus bas niveau depuis sa création. Ce recul traduit une fragilisation de la fonction RH, qui peine à maintenir son rôle d’atout stratégique dans un environnement de plus en plus exigeant.
Une alerte qui appelle la transition
Ce déclin n’est pas anodin : il signale que les pratiques RH, encore trop centrées sur l’opérationnel, ne suffisent plus à répondre aux attentes des talents et aux mutations du marché. La fonction RH doit donc amorcer une transition profonde, passant d’un rôle administratif à une autorité stratégique du capital humain. C’est là que l’intelligence artificielle entre en scène.
L’IA, levier de redressement
L’intégration de l’IA peut contribuer à inverser la tendance baissière des hautes compétences en Tunisie en en automatisant les tâches répétitives, en redonnant du temps aux équipes pour l’accompagnement humain et en anticipant les besoins en compétences grâce à l’analyse prédictive. L’IA peut être une opportunité pour repositionner la fonction RH comme pilier stratégique du climat des affaires, capable de regagner son indice de confiance et de redevenir un moteur de croissance.
Le déclin mesuré par l’ITCEQ agit comme un signal d’alarme : sans transformation, la fonction RH risque de perdre son statut d’atout majeur. Mais en embrassant l’IA avec discernement, elle peut redevenir un levier central de compétitivité et de stabilité, en Tunisie comme ailleurs. La transition vers une RH augmentée par l’intelligence artificielle est donc moins une option qu’une nécessité stratégique.
Pour Ernest and Young, la révolution de l’intelligence artificielle n’oppose pas l’homme à la machine. Elle interroge la capacité des organisations à créer une complémentarité féconde entre efficacité technologique et intelligence humaine.
Amel Belhadj Ali
CHIFFRES CLES
- 67 % : La digitalisation progresse, mais reste majoritairement administrative. Elle ne s’accompagne pas encore d’un repositionnement stratégique de la fonction RH.
- 70 % : La pénurie de compétences devient structurelle. Elle impose une refonte des politiques de formation et de mobilité interne.
- 85 millions : Ce déficit mondial accentue la concurrence entre économies pour attirer et retenir les talents.
- 89 % : Les dirigeants placent la RH au cœur de la performance future, soulignant l’urgence du changement de posture.
- 68,7/100 : La baisse de l’indice RH traduit une perte de confiance dans la capacité actuelle des RH à soutenir le climat des affaires.


