Les réalisateurs et producteurs de cinéma arabes se sont accordés sur le manque d’action collective claire et le besoin de libération d’un financement étranger qui influence. Ce phénomène contraste avec l’émergence de voix individuelles cherchant à s’exprimer librement et à partager leurs expériences personnelles, affranchies des préjugés et des stéréotypes.

Cette situation place les cinéastes face à des questions fondamentales concernant l’indépendance, l’identité et le rôle du cinéma dans la construction de l’histoire et de la mémoire.

Ces réflexions se sont tenues lors de la table ronde organisée mercredi 17 décembre, dans le cadre du 36èmes Journées Cinématographiques de Carthage (13-20 décembre 2025), consacré au “Nouveau cinéma arabe”.

Dans son discours d’ouverture, le directeur des Tarek Ben Chaabane, a souligné que l’idée de cette rencontre puise son inspiration dans son parcours personnel et sa formation cinématographique, ainsi que dans sa profonde admiration pour le cinéma arabe qui a émergé après le Festival international du film de Damas au début des années 70, avec des figures telles que Michel Khleifi, Borhane Alaouié, Merzak Allouache et Nouri Bouzid.

Il a affirmé que cette période était caractérisée par une rupture nette avec le cinéma commercial et un engagement envers les causes arabes, avant que le cinéma arabe ne subisse des transformations majeures, notamment après la chute du mur de Berlin et la fragmentation idéologique qui s’en est suivie, le déclin des valeurs partagées et l’émergence de financements étrangers et de nouvelles technologies.

Ben Chaabane s’est interrogé sur l’existence d’un véritable mouvement cinématographique arabe aujourd’hui, ou si chaque cinéaste travaillait dans l’isolement.

Il a mis en garde contre la prédominance de la fragmentation et les difficultés de financement et contre l’intervention dans l’imagination et l’identité, et appelé à une réflexion sur la place du cinéma arabe dans l’histoire.

De son côté, le réalisateur irakien Mohamed Al-Daradji a présenté une analyse de l’expérience cinématographique irakienne, depuis son histoire liée aux transformations politiques et aux guerres, depuis avant 1958, en passant par l’ère du cinéma d’État pendant la guerre et l’embargo qui a suivi, jusqu’à la période postérieure à 2003. Il a expliqué que la nouvelle génération de cinéastes irakiens est née du besoin d’exprimer l’expérience personnelle et la souffrance quotidienne, comme en témoignent ses films ” Rêves ” et “Le Fils de Babylone”, et son nouveau film ” Rakala : Le Rêve de Gilgamesh “, qui soulève des questions sur la transformation de la victime en oppresseur et sur le soulèvement de 2019. Al-Daradji a souligné qu’il ne s’agissait pas tant d’une “nouvelle vague” que d’authenticité et de transmission de l’expérience d’une génération à l’autre, considérant cela comme l’essence même de la continuité cinématographique.

Dans le même contexte, le réalisateur égyptien Mohamed Siam a évoqué les pressions auxquelles sont soumis les cinéastes arabes, notamment de la part des bailleurs de fonds et des festivals occidentaux qui attendent toujours des films sur les guerres, les révolutions et les réfugiés, considérés comme des ” thèmes à la mode “.

Il a estimé que le cinéma arabe est parfois poussé à ressembler à un bulletin d’information au détriment des récits personnels et humains. Il a également souligné que la coproduction est devenue une nécessité dans des pays comme l’Égypte en raison de l’insuffisance de la production nationale, mais qu’elle pose en même temps des défis en matière d’image, de distribution, de représentation internationale et d’avenir de l’industrie dans son ensemble.

Pour sa part, la réalisatrice palestinienne Najwa Najjar, présidente du jury de la compétition des longs métrages de fiction, a exprimé ses réserves quant au concept de ” nouveau cinéma arabe”, estimant que le cinéma palestinien est depuis 1948 en lutte permanente pour faire entendre sa voix.

Elle a souligné que les cinéastes des zones de conflit subissent la pression du “devoir national”, qui limite parfois leur liberté d’expérimenter et de travailler sur de nouveaux genres cinématographiques. Elle a appelé à briser ce cadre et à reconnaître la diversité linguistique du cinéma arabe et son droit à se renouveler, loin de la réduction à la guerre et à la destruction.

De son côté, la réalisatrice jordanienne Zain Duraie a raconté son expérience avec son film ” Gharq” (Naufrage), évoquant ses difficultés avec la coproduction européenne qui a rejeté son projet au motif qu’il n’était “pas suffisamment jordanien “, car il traitait du thème de la santé mentale au sein d’une famille ordinaire. Elle a souligné sa fierté de présenter une image différente de la société jordanienne, loin du” cinéma de carte postale” et de la pauvreté imaginaire, et insisté sur le fait que son objectif en tant qu’artiste est de transmettre un sentiment humain sincère et non de mettre en œuvre des agendas extérieurs.

Le réalisateur et producteur tunisien Ibrahim Letaïef a conclu les discussions en soulignant que le concept de “nouvelle vague” n’était pas nouveau en soi vu des expériences antérieures dans le domaine.