intelligence artificielleLa compétition mondiale pour dominer l’intelligence artificielle (IA) est devenue une des lignes de fracture stratégiques du XXIᵉ siècle. Alors que Washington concentre d’énormes ressources sur la supériorité technologique, certains experts s’interrogent : les États-Unis pourraient-ils « gagner » le front de l’IA mais perdre le combat plus large pour l’influence économique et géopolitique ?

Une stratégie américaine tous azimuts sur l’IA

Les États-Unis ont misé massivement sur l’IA comme moteur principal de la croissance et de l’avantage stratégique. En 2025, les entreprises technologiques américaines ont investi des centaines de milliards de dollars dans les infrastructures, les centres de données, les puces et la recherche de pointe, créant un écosystème dynamique autour de la recherche fondamentale et des applications avancées. Cette stratégie est dominée par une vision d’intelligence artificielle générale (AGI) — une IA capable d’égaler ou de surpasser les capacités cognitives humaines — qui sert désormais de symbole de supériorité technologique.

Cette approche magnifie l’image de la Silicon Valley comme moteur de l’innovation, mais elle repose aussi sur une certaine vision idéologique selon laquelle l’IA serait le seul moyen d’assurer l’hégémonie technologique américaine. Or, cette focalisation exclusive pourrait s’avérer une faiblesse stratégique.

« La suprématie technologique en intelligence artificielle ne se traduit pas automatiquement par une domination économique et géopolitique durable. »

La stratégie chinoise : pragmatisme et diversification

Contrairement aux États-Unis, la Chine ne parie pas tout sur une seule technologie ou une même vision. L’investissement chinois s’étend à l’IA appliquée, aux technologies industrielles, à l’énergie propre, aux véhicules électriques, aux batteries et à l’automatisation et robotisation des usines. L’objectif n’est pas seulement de produire la IA la plus puissante, mais de rendre l’IA omniprésente dans tous les secteurs de l’économie.

Cette stratégie pragmatique, centrée sur l’adoption massive et la capacité productive, permet à Pékin de renforcer son secteur manufacturier, de réduire sa dépendance aux importations clés, et d’intégrer l’IA dans la transformation de l’ensemble de son économie. Cette approche pourrait s’avérer plus résistante à long terme que la stratégie américaine axée sur les grandes percées technologiques.

« Pékin mise moins sur la percée spectaculaire que sur le déploiement massif de l’IA dans l’industrie, l’énergie et les infrastructures. »

Gagner la course ≠ gagner la guerre

Le cœur de l’argument développé dans le FT et repris par plusieurs analystes est simple : l’IA seule ne détermine pas la puissance globale d’une nation. Les États-Unis peuvent conserver leur supériorité dans certains domaines de l’IA (comme les modèles de langage ou les architectures d’apprentissage profond), mais cela ne garantit pas qu’ils conserveront un leadership durable dans l’économie mondiale ou dans l’application stratégique de ces technologies.

Par exemple, la capacité à intégrer l’IA dans les industries traditionnelles — fabrication, énergie, transport — pourrait déterminer l’évolution productive des économies à long terme. La Chine s’y concentre notamment avec un déploiement rapide de solutions d’IA industrielles et un soutien massif des autorités publiques.

Risques structurels pour les États-Unis

Cette concentration sur l’IA soulève plusieurs préoccupations critiques :

  • Dépendance économique excessive à une technologie qui peut ne pas générer les retombées escomptées en termes de création d’emplois ou de transformation industrielle.
  • Vulnérabilité stratégique, si l’IA ne constitue pas le facteur décisif attendu dans les conflits futurs.
  • Compétition inégale, car la Chine combine industrie, financement étatique et déploiement de masse.

Enfin, la compétition ne se limite pas simplement à produire le meilleur modèle d’IA ou le plus puissant. Elle inclut aussi le contrôle des chaînes d’approvisionnement, la souveraineté des technologies clés comme les semiconducteurs et la capacité à les utiliser de manière intégrée dans des systèmes économiques complets.

« Le contrôle des semi-conducteurs, de l’énergie et des capacités productives pèse autant que la performance algorithmique. »

Vers une nouvelle logique stratégique

Ce débat met en lumière une réalité : la notion même de “gagner la course” est trompeuse. Dans un monde interdépendant, la domination technologique ne suffit pas à elle seule. La capacité d’un pays à transformer son avance technologique en avantage économique durable, à sécuriser ses chaînes de valeurs et à intégrer ces technologies dans tous les secteurs sera peut-être plus déterminante que la simple conquête d’un jalon technologique.

Ainsi, pour les États-Unis, la victoire ne se mesure pas seulement en capacités de calcul ou en modèles d’IA, mais en influence structurelle sur le monde de demain — une influence qui dépend autant de l’industrialisation, de l’éducation, de la modernisation des infrastructures et de la cohésion sociopolitique que des prouesses scientifiques.

EN BREF

  • Les États-Unis dominent la course mondiale à l’intelligence artificielle sur le plan technologique et financier.
  • Washington mise principalement sur l’IA de rupture et la supériorité des modèles et des capacités de calcul.
  • La Chine adopte une stratégie différente, centrée sur la diffusion massive de l’IA dans l’industrie et l’économie réelle.
  • La domination technologique ne garantit pas automatiquement une victoire économique et géopolitique durable.
  • L’enjeu central réside dans la capacité à transformer l’IA en puissance industrielle, productive et stratégique.