
Mais cette révolution ouvre aussi la porte à une nouvelle génération d’arnaques : deepfakes, voix clonées, usurpation d’identité numérique, faux sites se faisant passer pour des plateformes d’IA comme le phénomène des “faux DeepSeek”. Pour des millions d’utilisateurs, notamment sur mobile, le risque n’est plus théorique : il circule déjà sur WhatsApp, TikTok et Facebook.
Deepfakes et faux services IA : une manipulation à portée de smartphone
Les cas se multiplient : vidéos truquées d’hommes politiques annonçant de fausses alliances, appels vocaux de prétendus proches demandant un transfert Mobile Money alors qu’il s’agit d’une voix synthétique, faux sites et fausses applications générant une interface pour collecter identifiants et paiements.
L’illusion est désormais convaincante, et le contexte aide : communication directe sur les réseaux sociaux, confiance communautaire forte, absence de repères face à ces nouveaux codes numériques. Les fraudeurs jouent sur l’émotion, l’urgence, la crédulité face au progrès technologique.
Selon TransUnion Africa, les usurpations vocales via imitation d’IA ont progressé de 37 % à 49 % en un an sur le continent, et les deepfakes vidéo ont doublé sur la même période[1]. Dans certains cas, ces contenus sont utilisés pour extorquer de petites sommes via mobile money ou manipuler des campagnes électorales locales.
Une menace transfrontalière amplifiée par le mobile
Selon Benoît Grunemwald, expert en cybersécurité chez ESET pour l’Afrique francophone, la situation requiert une prise de conscience généralisée : « Tandis que les services cloud continuent de gagner en popularité, l’intérêt que leur portent les attaquants demeure grandit également. Nous voyons émerger une nouvelle forme de fraude, plus crédible et plus rapide, car elle s’appuie sur des outils d’IA accessibles à tous. En Afrique, où le smartphone est la principale porte d’entrée numérique, l’impact peut être massif si la prévention ne suit pas. »
Sur un continent où plus de 60 % de l’accès à Internet se fait via smartphone[2], les attaques progressent plus vite que la prévention.
Le rapport d’INTERPOL sur les menaces cyber en Afrique indique que 34 % des incidents détectés sont liés à des escroqueries en ligne (phishing, usurpation d’identité, fraude via IA)[3]. Les opérations coordonnées, comme Operation Serengeti 2.0 (juin-août 2025), ont conduit à 1 209 arrestations dans 18 pays africains et permis de récupérer 97,4 millions de dollars d’actifs frauduleux, touchant près de 88 000 victimes[4].
En Afrique de l’Ouest, la fraude numérique explose : selon TechCabal Insights, les tentatives de fraude biométrique et documentaire sont passées de 12 % en 2023 à 22 % en 2024[5] — une progression quasi doublée en un an. Dans la région, les escroqueries liées à l’IA se mêlent souvent à des arnaques classiques d’investissement, de recrutement ou de cryptoactifs.
Maghreb : les services financiers en première ligne
Au Maghreb, les autorités multiplient les alertes face aux usurpations d’identité alimentées par l’IA. Le rapport INTERPOL 2025 souligne que l’Égypte et le Maroc figurent parmi les pays les plus ciblés : l’Égypte à elle seule concentre 13 % de l’ensemble des cyberattaques en Afrique[6], tandis que le Maroc connaît une hausse notable des fraudes via faux sites d’investissement IA.
Selon Smile ID, 27 % des fraudes identifiées sur le continent concernent des cartes nationales d’identité, 24 % des permis de conduire et 20 % des passeports[7]. Ces documents sont ensuite utilisés pour créer de faux profils sur des plateformes d’IA ou des services financiers en ligne.
Benoît Grunemwald insiste : « La clé, c’est la solidarité numérique. En matière de cybersécurité, protéger l’autre, c’est aussi se protéger soi-même. L’éducation au numérique et la vérification des sources doivent devenir des réflexes quotidiens. » Ainsi, face à cette nouvelle vague de manipulations numériques, aucune technologie ne suffira à elle seule. L’éducation et la vigilance demeurent les premières lignes de défense : vérifier l’origine d’une vidéo, se méfier des messages d’urgence, ne jamais saisir ses informations bancaires sans certitude sur la source, et transmettre ces réflexes à ses proches.
Si l’Afrique fait de cette crise une opportunité d’éducation numérique, elle pourra non seulement réduire la menace, mais aussi en tirer un bénéfice stratégique en formant un continent connecté et acteur du numérique.
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[1] TransUnion Africa, H1 2025 Digital Fraud Study – Africa, 2025
[2] GSMA, Mobile Economy Africa 2024.
[3] INTERPOL, Africa Cyberthreat Assessment Report 2025, p. 12.
[4] INTERPOL, Operation Serengeti 2.0 Results, communiqué du 23 septembre 2025.
[5] TechCabal Insights, Understanding Digital Identity Fraud in Africa, 2024.
[6] INTERPOL, Africa Cyberthreat Assessment Report 2025, p. 18.
[7] Smile ID, Digital Identity Fraud in Africa 2025 Report, 2025.


