À l’ouverture du colloque « Le théâtre tunisien : questions d’identité, d’altérité et de représentations de la subjectivité – Vers une école théâtrale tunisienne ? », organisé à Tozeur les 25 et 26 octobre 2025 dans le cadre du Festival national du théâtre tunisien « Saisons de la Création », Abderraouf Basti a rappelé que la dialectique identité–subjectivité accompagne le théâtre tunisien depuis ses origines. Selon lui, l’action théâtrale est née dans un contexte de résistance culturelle sous le protectorat français, marquée par la volonté de préserver les composantes civilisationnelles nationales.
Aux origines d’un théâtre enraciné
Il a souligné que dès la fin du XIXᵉ siècle, une élite réformatrice concevait le théâtre comme un outil de progrès social. La première pièce tunisienne, Sultan entre les murs de Yıldız, présentée en 1910 et écrite par Mohamed Jaïbi, illustre cette prise de conscience.
[réécriture de clarté] L’œuvre marque l’émergence d’un théâtre ancré dans la réalité locale et engagé dans le mouvement national visant à consolider l’identité tunisienne à travers la scène.
Institutionnalisation et modernisation
Abderraouf Basti est revenu sur la période post-Première Guerre mondiale, décrite par Mohamed Mediouni comme une phase de « théâtralisation de l’action dramatique ». L’élite tunisienne y œuvre pour institutionnaliser le théâtre, avec notamment la création, en 1945, de la Commission pour la défense du théâtre tunisien, chargée de poser les fondations d’un théâtre enraciné dans son environnement social et culturel.
Avec la construction de l’État national, la modernisation culturelle menée sous Habib Bourguiba renforce cet élan : le théâtre devient un outil d’éveil et un espace de diffusion des valeurs de modernité.
Nouvelles générations et espaces d’expérimentation
Les années 1960 voient l’essor des écoles et instituts artistiques et la formation d’une nouvelle génération de praticiens. Inspirés par les expériences internationales, ils développent le théâtre universitaire et régional, transformant ces espaces en laboratoires d’expérimentation sur les questions sociétales, et renouvelant la langue, le jeu et la scénographie.
Contestation, esthétique populaire et renouvellement
Basti a rappelé l’importance du « Manifeste des Onze », publié dans les années 1970, qui exprime le rejet de l’immobilisme et appelle à une écriture théâtrale tunisienne ouverte sur le monde mais fidèle à sa spécificité culturelle.
Il a également cité le théâtre nouveau, qui puise dans le patrimoine populaire et renouvelle le lien avec le public grâce à un style simple, abstrait et traversé par la langue dialectale.
L’œuvre de Taoufik Jebali, avec des pièces comme La Chaîne, illustre cette continuité qualitative entre artiste et public, mêlant satire, caricature et questionnement social.
Une quête d’équilibre toujours vivante
Abderraouf Basti a affirmé que ces expériences ont façonné un théâtre tunisien unique, nourri à la fois de subjectivité locale et de références universelles. Il a rappelé que la question identitaire ne se limite pas à un thème académique : elle guide la création depuis les premiers travaux de chercheurs comme Mohamed Mediouni, Belgacem Ben Nsiri, Mohamed Messaoud Driss ou Fethi Haddaoui.
En conclusion, il a présenté ce colloque comme un moment de conscience critique, invitant à repenser la spécificité théâtrale tunisienne à l’ère de la mondialisation : « L’identité n’est pas une donnée fixe, mais un processus permanent d’interaction et de renouvellement. »
CHIFFRES CLÉS
- 1910 — La première pièce tunisienne marque l’apparition d’une scène attentive à la réalité sociale et culturelle du pays.
- 1945 — La Commission pour la défense du théâtre tunisien constitue une étape majeure dans l’institutionnalisation de la scène nationale.
- 1960s — Les écoles artistiques et la nouvelle génération de praticiens contribuent à moderniser le langage théâtral.
- 1970s — Le « Manifeste des Onze » ouvre un débat sur le renouvellement des formes et des discours.
- 2025 — Le colloque de Tozeur relance la réflexion identitaire à l’heure de la mondialisation.



