LogementEn principe un Etat dont le système économique est considéré comme tenable, voire  acceptable doit prouver sa capacité à fournir à sa population, de manière durable et régulière, les biens de première nécessité : nourriture, logement, éducation, soins de santé…Si on s’amuse à appliquer cette règle basique à la Tunisie, « l’Etat tunisien » est totalement défaillant. Les fondamentaux précités sont tous en crise.  

La crise du logement est particulièrement grave en Tunisie. Elle est même très grave. Les tunisiens n’arrivent ni à acheter ni à louer un logement décent parce que les prix sont trop élevés par le triple effet de la baisse de l’offre, du blocage des salaires et de la situation des entreprises du secteur.

La crise du logement est très grave

A titre indicatif, pour trouver un loyer adapté à son pouvoir d’achat, il faut le chercher à 60 kms de Tunis, dans les régions de Bizerte,  du Cap Bon et de Zaghouan, et même plus loin lorsque le transport est disponible. Il va de même pour les grandes villes du pays.

Morale de l’histoire : pour le tunisien moyen, les loyers ne cessent d’exploser au fil des années tandis que les salaires ne suivent pas. Pis, l’augmentation annuelle, conformément à la loi, de 5 à 10% des  loyers a exacerbé la situation. Elle lui a conféré parfois une situation dramatique en raison de la baisse du pouvoir d’achat (estimé à 50%) du citoyen moyen depuis plus d’une décennie et en raison de la paupérisation criante de la classe moyenne qui était jusqu’aux années 90 le fer de lance de l’économie du pays.

« Il n’est plus possible de consacrer moins de 25 % de son salaire au logement : pour des millions de Tunisiens, cette règle d’or est devenue un luxe inaccessible. »

 

Actuellement, la pénurie multiforme qui étouffe le marché foncier, la flambée des prix du logement et l’absence de financements bancaires adaptés et diversifiés ont pratiquement exclu les classes moyennes du marché du logement formel, surtout dans les grandes villes, où se concentrent plus de 60% de la demande.

Des loyers qui explosent et des salaires qui ne suivent pas

Mention spéciale pour les loyers. La règle d’or selon laquelle on ne doit pas consacrer plus de 25% de ses revenus au logement est aujourd’hui hors d’atteinte pour la majorité des tunisiens particulièrement pour le jeunes.

Une telle situation, qui  aurait été considérée, autrefois, comme abusive est devenue,  hélas la norme.

« Face à l’explosion des loyers et à la stagnation des salaires, la classe moyenne tunisienne est en train de décrocher : elle est exclue du marché formel de l’immobilier et bascule peu à peu dans la précarité. »

 

Dans les années 60 et 70, face à de telles situations, l’Etat n’hésitait pas, une seconde, pour bloquer les loyers et permettre à la communauté des locataires de respirer. Parallèlement aux mesures de blocage des loyers, l’Etat encourageait les tunisiens moyennant des primes à acquérir des logements décents selon la technique « location vente ».

Restauration de l’habitat social et du mécanisme location –vente

De nos jours, au niveau officiel, le gouvernement a pris conscience de la situation. Il a décidé de reprendre en charge un secteur en pleine crise. A cette, fin il a mis au point deux stratégies cohérentes pour remédier à la situation. Les promoteurs publics, la Société nationale immobilière de Tunisie (Snit), la Société de promotion des logements sociaux (Sprols) et l’Agence foncière d’habitation (AFH) sont chargées, comme c’était le cas antérieurement, de la mise en œuvre de ces stratégies.

« Dans les années 60 et 70, l’État intervenait pour bloquer les loyers et permettre aux citoyens de respirer. Aujourd’hui, cette mesure de bon sens devrait redevenir une urgence sociale. »

 

La première porte sur la réhabilitation de l’habitat social abandonné depuis de longues années. Concrètement, de nouveaux mécanismes permettant aux personnes à revenus modestes d’accéder à la propriété, notamment via le logement social et les lots sociaux. Cela va consister à céder symboliquement à un dinar des terrains domaniaux à des établissements publics, afin qu’ils puissent réaliser des unités de logements sociaux.

La deuxième stratégie a trait à la réinstauration du mécanisme de « location-vente ». Ce mécanisme aura pour avantage de pallier le manque d’offres de financement adaptées aux couches sociales moyennes et aux revenus modestes.

Parer au plus urgent, bloquer les loyers

Néanmoins, en attendant la mise en œuvre de ces stratégies salutaires laquelle va demander, au moins cinq ans, pour leur concrétisation sur le terrain, nous pensons que l’Etat serait bien inspiré de parer au plus urgent et de bloquer les loyers qui sont devenus suffocants pour d’importants pans de la population.

Abou SARRA

EN BREF

  • La Tunisie traverse une crise aiguë du logement : loyers en hausse, salaires bloqués, offre insuffisante.
  • La classe moyenne est la plus touchée, exclue du marché formel et en voie de paupérisation.
  • Le gouvernement mise sur la réhabilitation de l’habitat social et le retour à la location-vente.
  • Les solutions structurelles sont là, mais leur mise en œuvre prendra plusieurs années.
  • D’ici là, un blocage temporaire des loyers est jugé essentiel pour éviter une fracture sociale.