“Les partenaires de la Tunisie sont impressionnés par sa résilience économique, financière et budgétaire. Notre pays est d’ailleurs salué, par la plupart de nos partenaires notamment internationaux à vocation financière et ce, en dépit d’un contexte géopolitique complexe” Une déclaration ? Une annonce ? Une Confirmation ? Y a-t-il eu communiqués de la part des partenaires économiques de la Tunisie pour exprimer leur émerveillement ?

Loin de mettre en doute des déclarations émises par les plus hautes autorités du pays, il faudrait peut-être attirer l’attention sur le fait que le rétablissement de la confiance et la reprise d’une relance économique qui est passée de “souhaitée” à “espérée” et puis à “rêvée” ne se fera pas par des déclarations d’intention mais par des décisions concrètes, réalistes et réalisables.

Dans l’un des communiqués de la présidence du Gouvernement, on parle de “plusieurs grands projets publics débloqués”, de la réhabilitation de certaines entreprises publiques”, de nombreux projets de lois à vocation économique, sociale et autres adoptés, ou encore de “mise à niveau de nos transactions financières avec l’étranger à la faveur de l’institution prochaine d’un véritable code des changes”.

“Difficile, au terme du premier trimestre de l’année, de passer sous silence l’extrême pauvreté́ de l’information statistique afférente à la conjoncture économique du pays qui est désormais mise à la disposition du citoyen.” – Hechmi Alaya, Ecoweek

De quels projets s’agit-il ? Des énergies renouvelables ? Des fossiles ? Du phosphate ? Des eaux usées ? Des infrastructures routières ? Quelles sont les entreprises publiques qui méritent d’être réhabilitées sans vampiriser encore plus les finances publiques ? Qu’en est-il de la digitalisation qui tarde à venir alors que la Tunisie, précurseur dans les années 2000, est à la traîne avec un réseau catastrophique qui ne peut en aucun cas être d’un quelconque apport pour les économies de demain ! Dans le dernier numéro d’Ecoweek Hechmi Alaya parle d’une Tunisie lanterne rouge en matière de développement des TIC. C’est dire !!!

La Tunisie émerveille le monde, oui ! Mais peut-être par la rapidité avec laquelle, elle régresse sur les plans socioéconomiques et humain alors que les informations rassurantes et sécurisantes tardent à venir !

L’information économique ! Où est-elle ? Comment les investisseurs peuvent avoir une idée sur l’environnement économique, le climat d’affaires, les mesures économiques, la réalité économique ainsi que les législations avec une telle rétention ou absence d’information ?

L’information sur l’exécution du budget n’a pas été publiée depuis le mois de novembre 2023, le projet de loi pour un nouveau code de change relèverait presque du secret des Dieux ! Pourquoi ?

“ Une extrême pauvreté de l’information statistique ”

Et parce que les choses doivent être dites, nous reprendrons les propos de Hechmi Alaya publiés dans le numéro Ecoweek du 31 mars 2024 : “Difficile, au terme du premier trimestre de l’année, de passer sous silence l’extrême pauvreté́ de l’information statistique afférente à la conjoncture économique du pays qui est désormais mise à la disposition du citoyen.

La liste des indicateurs statistiques mensuels, qui sont en souffrance ou ont cessé d’être publiés, ne cesse de s’allonger. Pour l’observateur qui s’intéresse à la situation économique et financière du pays, ces informations manquantes, tardives, lacunaires et contradictoires, ne peuvent se justifier que par la nécessité d’occulter des vérités dérangeantes.

“La Tunisie se rapproche périlleusement des États autoritaires qui consacrent des ressources considérables pour manipuler, censurer et modeler le secteur de l’information.” – Rapport 2023 du World Justice Project

Le silence est d’or dit un vieil adage tunisien. Pourtant, jamais dans la situation actuelle de crise que connaît le pays, cette censure n’a paru aussi suspecte et incongrue au regard de ce que révèlent les études comparées publiées cette semaine. Une capacité statistique branlante.

Rappelons pour commencer, que le phénomène n’est pas nouveau. En matière d’adéquation de l’information statistique avec les besoins des utilisateurs (entreprises, analystes, décideurs politiques et autres), de fiabilité́ des données publiées, de ponctualité́ des publications, d’accès à l’information statistique et de continuité́ temporelle, des critères révélateurs de la qualité́ et de la « capacité statistique » d’un pays, la Tunisie est loin d’être bien logée parmi les nations”.

On doit la vérité au “peuple qui veut” !

Parce que ce que l’on doit au “peuple qui veut”, c’est de dire les choses même crûment afin que toute action gouvernementale soit crédible. La réalité socioéconomique n’est pas des plus reluisantes et assurer son redémarrage ne passe pas uniquement par des lois ou des décrets mais par une remise en question totale de l’exercice et des pratiques de l’Etat s’agissant de l’économie.

Dans la réalité, en 2023, puisque nous avons toutes les statistiques de l’année, la croissance économique a été de 0,2% et presque tous les secteurs ont été touchés par la décroissance.

Ainsi, dans le secteur de l’agriculture et des pêches, la croissance négative a été de 16,4%.

Dans le raffinage de pétrole de -41,1%, l’extraction des produits miniers (-8%) et pourquoi?

Parce que le souverainisme économique prôné par les illuminés de 2011 a décrété que ce qui existe sous terre ne doit pas être exploité par les étrangers ! Du coup, il a été laissé sous terre et nous importons du gaz de l’Algérie et du pétrole de l’international !

Mais il y a aussi le secteur de la construction qui a reculé de 5,1% et le commerce de 1,3%.

La production du phosphate a été de l’ordre de 1,5 million tonnes, au cours du premier semestre de 2023, nettement en deçà des prévisions de la Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG) qui sont de 2,8 million tonnes. En juin 2023 la production n’a pas dépassé les 210 mille tonnes, soit une baisse de 54% par rapport aux prévisions de la CPG.

S’agissant des investissement déclarés en 2023, on relève une baisse de 5,2% dans l’Industrie, selon l’API. En 2023, l’investissement déclaré dans le secteur industriel a été de 2291,6 MD, contre 2417,4 MD lors de l’année 2022.

Les investissements déclarés dans le cadre des projets ont été de l’ordre de 1246,8 MD contre 1306,6 MD lors de l’année 2022.

Les investissements déclarés dans le cadre des projets de création sont passés de 1110,8 MD durant l’année 2022 à 1044,8 MD en 2023. Les investissements déclarés dans les industries totalement exportatrices sont passé de 1074,3 MD en 2022 à 985,0 MD en 2023.

Les investissements Tunisiens déclarés, qui croient encore en leur pays, dans le secteur industriel a atteint le montant de 1822,9 MD, contre 1548,0 MD en 2022, soit une augmentation de 17,8%.

Cela dit les projets déclarés ne rime pas automatiquement avec projets réalisés parce qu’un investisseur qui rencontre beaucoup d’embûches sur la route de son projet, peut rapidement réviser sa posture. La preuve, beaucoup d’investisseurs préfèrent investir ailleurs tels le groupe Elloumi qui a ouvert deux unités au Maroc préférant créer là-bas des emplois. Les exemples en la matière sont légion !

L’Etat de droit : une condition sine qua none pour une économie prospère

Ceci sans oublier, et nous revenons à Hechmi Alaya dans le dernier numéro d’Ecoweek, qui insiste sur l’importance d’un Etat de droit pour encourager l’investissement : “La condition et garantie d’une société démocratique, la transparence et l’accès à l’information sont des marqueurs d’un Etat qui respecte les droits et les libertés individuelles.

Pour l’ONG, « Projet de justice mondial » (World Justice Project ou WJP) qui vient de publier son rapport annuel, le respect de l’Etat de droit est de moins en moins observé dans notre pays. Au classement 2023 selon l’indice de l’Etat de droit, la Tunisie a été rangée à la 72ème place (sur 142 pays), en régression de sept places par rapport au classement de 2021 et de 31 places par rapport à son classement de l’année 2014.

“Un Etat de droit est une condition sine qua none pour une économie prospère.” – Hechmi Alaya, Ecoweek

Hormis l’ordre et la sécurité́, la Tunisie est en recul depuis 2021 en matière d’ouverture du gouvernement, de respect des droits fondamentaux, d’application de la réglementation, de justice civile et pénale. En bref, la Tunisie se rapproche périlleusement des États autoritaires qui consacrent des ressources considérables pour manipuler, censurer et modeler le secteur de l’information.”

A voir tous ces indicateurs et toutes ces défaillances, pouvons nous encore dire que nous émerveillons le monde ? Et pour reprendre le titre d’un article publié du temps de celui qui gouvernait la Tunisie en 2010, qui n’a pas suscité son gourou ou le gourou de ses ministres de l’Intérieur ou de la Justice : “L’information économique aujourd’hui en Tunisie, est-elle un droit ou une faveur” ?

Une autre question : la rétention de l’information peut-elle émerveiller le monde ? Et qui peut prétendre ignorer qu’un Etat de droit est une condition sine qua none pour une économie prospère ?

Sources : Ecoweek, ITCEQ, API