Le gouvernement tunisien a profité d’une visite du ministre chinois des Affaires étrangères à la mi-janvier pour solliciter plus d’investissements et de financements chinois. Certes, la Chine a les moyens pour apporter une aide précieuse pour la Tunisie, mais le fera-t-elle, avant que la Tunisie ne procède à des réformes structurelles pour assainir ses finances publiques et restaurer les règles de la bonne gouvernance.

Quelles sont les options et quelles sont les perspectives de la coopération sino-tunisienne ? Éléments de réponses…

1- Les liens économiques entre les deux pays sont limités : le stock d’investissements étrangers chinois en Tunisie est inférieur à 30 millions de dollars américains et les prêts en cours ne sont que de 132 millions de dollars américains.

Le commerce bilatéral est inégal, avec des exportations annuelles de la Tunisie vers la Chine inférieure à 70 millions de dollars américains, tandis qu’elle importe environ 2 milliards de dollars américains de Chine.

2- Cependant, bien que la Tunisie fait partie de l’initiative Belt and Road, nous nous attendons à ce que la Chine soit réticente à augmenter ses investissements en Tunisie, compte tenu de la situation économique et financière difficile du pays, avec des risques élevés de défaut de paiement de la dette.

La Chine a déjà été marquée par les défauts de paiement de la dette et le rééchelonnement dans un certain nombre de pays d’Afrique subsaharienne. La Chine est par ailleurs mal vue par le FMI au sujet de la dette opaque que procure la Chine à certains pays très endettés et devant procéder à un rééchelonnement de leur dette.

3- La Chine a clairement indiqué qu’elle soutenait un programme du FMI pour la Tunisie, ce à quoi le président tunisien résiste. Ce faisant, la Chine appuie toutes ces réformes douloureuses, pour assainir la gouvernance budgétaire et réduire les déficits.

La Chine étant peu susceptible d’être une source majeure de financement, la Tunisie semble manquer d’options pour faire face à ses importants besoins de financement externe, autres que de continuer à presser les importations et à faire face à des pénuries de produits de base importants avec des pressions sur les conditions de vie qui en découlent.

4- Les réserves de change sont suffisantes pour faire face à un important remboursement en attente d’euro-obligations en février, mais les perspectives de financement sont très incertaines (850 millions d’euros-bonds, et une centaine de millions de $ au profit d’auteurs créanciers internationaux).

Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a atterri à Tunis le 14 janvier pour une visite de deux jours pour marquer les 60 ans de relations diplomatiques entre les deux pays. La Tunisie est confrontée à une crise budgétaire et à une économie au point mort, et les autorités espèrent qu’un renforcement des liens avec la Chine pourrait aider à atténuer certaines de ses tensions actuelles.

5- En particulier, le financement chinois pour de grands projets d’infrastructure créant des emplois et peut-être même des prêts directs pour aider à couvrir le budget sont sur la liste de souhaits.

Cependant, aucun d’entre eux ne semble susceptible de se concrétiser pour le moment. La dernière interaction diplomatique entre les deux pays a eu lieu en décembre 2022 lors d’une conférence multilatérale dans la capitale saoudienne, Riyad, où le président tunisien, Kaïs Saïed, a rencontré son homologue chinois, Xi Jinping.

Pour le moment, la Tunisie n’est pas une priorité pour la Chine, et il est peu probable que cela change à court terme. Énergie douce plutôt que projets d’infrastructure

6- Le ministre chinois des Affaires étrangères a été reçu par M. Saïed, et tous deux ont assisté à une cérémonie à la nouvelle Académie diplomatique internationale de Tunis financée par une subvention de 23 millions de dollars américains de la Chine.

Le projet aidera le gouvernement tunisien à former son personnel du service extérieur. Au cours des dernières années, la Chine a contribué à financer un nouvel hôpital universitaire à Sfax, un centre sportif et culturel à Ben Arous et un Institut Confucius à l’Université de Carthage pour augmenter l’accès aux cours de mandarin pour les étudiants tunisiens.

7- Bien que la Chine construise également un barrage sur la rivière Mellegue dans le gouvernorat de Kef, il semble pour l’instant que la Chine soit plus concentrée sur la projection de la production de l’énergie douce dans l’arrière-cour traditionnelle de l’Europe, plutôt que de considérer la Tunisie comme un partenaire économique critique avec des ressources stratégiques qu’elle peut exploiter.

Relation commerciale inégale et faible investissement

8- Bien que la Tunisie fasse partie de l’initiative de la ceinture et de la route de la Chine depuis juillet 2018, les projets à grande échelle que la Chine a soutenus dans d’autres pays ne se sont pas concrétisés en Tunisie.

Le commerce bilatéral reste également bien en dessous de son potentiel. Selon l’Institut national de la statistique de Tunisie, les exportations tunisiennes vers la Chine sont tombées de TD209 millions (67,1 millions de dollars américains) en 2021 à 65,6 millions de TD en 2023.

Les exportations chinoises vers la Tunisie, en revanche, sont passées de 6,5 milliards de dollars australiens (2 milliards de dollars américains) à 8,5 milliards de dollars australiens au cours de la même période.

9- Il est possible d’augmenter les exportations tunisiennes vers la Chine, en particulier de produits agricoles tels que l’huile d’olive, mais ce processus sera progressif et sera freiné par les limitations de la production nationale.

Pendant ce temps, sur les 3 700 entreprises étrangères opérant en Tunisie en 2023, seules 19 avaient des capitaux chinois, et le stock total d’investissements directs étrangers chinois en Tunisie est passé de 36,6 millions de dollars américains en 2019 à 26,2 millions de dollars américains en 2022.

10- Les prêts chinois à la Tunisie restent faibles, à seulement 132 millions de dollars américains, et nous nous attendons à ce que la Chine ne soit pas disposée à élargir considérablement son portefeuille de prêts dans un avenir prévisible.

La Chine fait déjà face à des restructurations complexes de la dette avec un certain nombre de pays africains et est préoccupée par la situation économique et financière fragile de la Tunisie, avec des risques élevés de défaut de paiement de la dette.

Lors d’une conférence de presse lors de sa visite, M. Wang a souligné le soutien de la Chine à M. Saïed, mais a ajouté que les réformes aideraient à améliorer la situation économique de la Tunisie. Cela fait suite à une déclaration faite en mars 2023 par l’ambassadeur de Chine en Tunisie soutenant un programme du FMI alors proposé (que M. Saïed a par la suite rejeté).

11– Nous voyons cela comme un signe clair que bien que la Chine veuille que la situation économique de la Tunisie se stabilise, elle ne cherche pas à fournir un soutien sans l’assurance d’un programme financé par le FMI.

Comme nous ne nous attendons pas à ce qu’un programme du FMI soit réalisable en 2024, nous doutons donc que la Chine ait le moindre appétit pour investir dans certains des projets d’infrastructure que le gouvernement pousse. Il s’agit notamment d’investissements dans le transport ferroviaire, de l’expansion de l’aéroport international de Tunis-Carthage et de nouveaux ports maritimes.

12– Sans financement externe sécurisé et sans stabilisation économique en Tunisie, la Chine aura des réserves sur la façon dont ces projets généreraient des rendements financiers suffisants pour le remboursement des prêts. Nous nous attendons donc à ce que les investissements chinois en Tunisie restent largement symboliques.

La Chine étant peu susceptible d’être une source majeure de financement, la Tunisie semble manquer d’options pour faire face à ses importants besoins de financement externe, autres que de continuer à presser les importations et à faire face à des pénuries de produits de base importants avec des pressions sur les conditions de vie qui en découlent.

13- Les plans visant à augmenter les revenus du phosphate et à récupérer les actifs spoliés par la corruption ont très peu donné. Il n’y a toujours pas de visibilité sur la façon dont le gouvernement couvrira les besoins de financement externe de 5 milliards de dollars américains identifiés dans le budget de 2024.

Les réserves de change sont suffisantes pour garantir qu’un remboursement en attente de l’euro-obligation de 850 millions d’euros (925 millions de dollars américains) soit atteint en février, mais par la suite, le pays s’appuiera en grande partie sur la générosité des donateurs bilatéraux comme l’Arabie saoudite et peut-être l’Algérie, pour éviter de glisser plus profondément dans la crise financière.

14- Tous ces paramètres font que la Chine ou autres pays approchés par la diplomatie tunisienne ne prendront pas de risques en investissant ou en prêtant intensément en Tunisie. Tous attendent la mise en œuvre des réformes structurelles proposées entre autres par les institutions des accords du Bretton Woods. Le Comité du FMI compte 20 membres, dont la Chine…et l’Arabie Saoudite.

Source : Economics for Tunisie, Moktar Lamari