Des entreprises européennes ont notifié avoir exporté, au cours du deuxième semestre 2022, plus de 380 tonnes d’insecticides à base de chlorpyrifos – interdits sur le territoire européen – vers des pays dont la Tunisie, l’Algérie, le Kazakhstan, le Bangladesh, le Pakistan et le Costa Rica. C’est ce que révèle une récente enquête d’Unearthed, une entité de Greenpeace et Public Eye, une ONG suisse.

Ces mêmes entreprises prévoient d’expédier des quantités similaires cette année (2023), soulignent les deux ONG, affirmant avoir obtenu des documents qui prouvent ces faits conformément aux lois sur la liberté d’information.

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L’enquête révèle pour la première fois que l’Europe continue d’exporter du chlorpyrifos depuis que son utilisation a été interdite dans l’UE en 2020, après des années de campagne menée par des groupes de défense de la santé et de l’environnement.

D’après Unearthed, la Tunisie était, en 2022, le deuxième marché en volume pour les exportations de chlorpyrifos de l’UE. “Le pays était la destination prévue de 70 tonnes d’insecticides à base de chlorpyrifos et de Pyrical 480 (insecticide qui agit par contact et ingestion), exportés de Belgique”.

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La société belge, Arysta LifeScience Benelux, filiale du géant des pesticides UPL, prévoit d’envoyer à nouveau la même quantité en Tunisie cette année, selon la même source.

Le chlorpyrifos a été interdit dans les champs de l’UE en raison de preuves scientifiques indiquant qu’il provoquait des “effets néfastes sur le développement neurologique des enfants”. L’exposition à ce pesticide nuit aux jeunes enfants et aux bébés dans l’utérus, selon des recherches. Un lien a été également, établi entre l’exposition au produit chimique avant la naissance et les retards de développement, l’autisme et la réduction du quotient intellectuel, selon unearthed.greenpeace.org.

Quand l’Europe refoule des oranges tunisiennes traitées par ses propres pesticides interdits

En effet, le 3 mars 2023, une alerte a été publiée par le site gouvernemental français “Rappel Conso”, pour le retrait de certains lots d’oranges maltaises tunisiennes du marché français, car elles contenaient des nivaux élevés de limite maximale de résidus.

Le Groupement interprofessionnel des fruits (GIFruits) en Tunisie avait indiqué, en réaction, qu’une seule remorque d’oranges maltaises de 20 tonnes a été refoulée du marché français (…), en raison de la détection d’une maladie des taches noires des agrumes, appelée “Citrus Black Spot CBS”… “Seulement 10 palettes de calibre 8 ont été retirées par certaines enseignes, suite à des analyses réalisées par leur services de contrôle de la qualité qui ont détecté des taux considérés importants de limite maximale de résidus (LMR)”, avait précisé le groupement.

En réalité, la cargaison d’oranges tunisiennes a été refoulée, “car elle contenait des résidus de chlorpyrifos”, a toutefois déclaré à Unearthed et Public Eye, l’experte en sciences de l’environnement et présidente de l’Association pour l’éducation environnementale des générations futures (AEEGF), Semia Gharbi.

La Commission européenne a promis, en 2020, de présenter cette année des propositions législatives visant à garantir que les substances chimiques interdites dans l’UE ne soient pas produites ou exportées.

Le commissaire européen à l’Environnement, Virginijus Sinkevičius, a récemment rassuré la société civile, dans une correspondance dont une copie est parvenue à TAP, que la Commission était ” pleinement engagée” à le faire et prévoyait de “présenter une proposition au Parlement européen et au Conseil dans le courant de l’année 2023”.

Cependant, le plan se heurte à une opposition féroce du lobby des produits chimiques, et les militants craignent que la proposition n’arrive trop tard pour apporter un changement à la loi avant les prochaines élections parlementaires européennes en 2024.

Une consultation publique sur le plan devait débuter au premier trimestre 2023, mais elle n’a pas encore été lancée.