Au regard de sa portée hautement stratégique, l’ouvrage intitulé «l’agriculture tunisienne à la croisée des chemins, quelle vision pour une agriculture durable?» de Ali M’hiri, ancien professeur à l’Institut national agronomique de Tunisie (INAT), mérite d’être médiatisé et vulgarisé.

Abou SARRA

Cet ouvrage propose une vision innovante pour relancer l’agriculture tunisienne sur la voie de la durabilité et de l’adaptation aux réchauffements climatiques avec comme ultime objectif la réalisation, dans des conditions pérennes, la sécurité alimentaire du pays.

De prime abord, contrairement aux nombreux think tank officiels et indépendants qui ont traité du devenir de l’agriculture tunisienne, Ali M’hiri commence par un diagnostic objectif que toute personne peut constater : « l’agriculture souffre d’une déficience létale majeure, celle de sa non-durabilité».

Le talon d’Achille de l’agriculture tunisienne

En d’autres termes, «notre agriculture actuelle, de par son incapacité à assurer les fonctions qui sont les siennes, dit-il, est actuellement inapte, par l’effet de la surexploitation des ressources mobilisées (humaines, naturelles, hydriques et du sol), à produire plus et mieux pour augmenter sa part dans le développement du pays et de l’approvisionnement régulier du marché national en denrées alimentaires de base».

A partir de ce diagnostic, il énumère les contraintes et les défis à surmonter pour aider le secteur à se restructurer en profondeur et à réunir les conditions de sa durabilité.

Au nombre de ces défis, il cite deux risques principaux interdépendants liés au changement climatique et le stress hydrique.

Pour les relever, l’ancien professeur de l’INAT propose une vision de long terme, à l’horizon de 2050. Cette vision propose un nouveau profil d’agriculture durable dotée des aptitudes à satisfaire les demandes de toutes les parties prenantes.

Responsabiliser l’exploitant et intensifier le rendement

Présentée avec des objectifs chiffrés et réalisables, cette vision, dont le coût global avoisinerait les 40 milliards de dinars sur trente ans, est basée, selon le professeur, sur deux principes.

Le premier place l’exploitation agricole comme centre de décision final pour l’adoption et la diffusion du progrès technique visant l’amélioration de ses performances, l’augmentation des revenus de l’exploitant, de ses salariés et leur professionnalisation, donc leur stabilisation dans leur terroir.

Elle est la cellule élémentaire du redéploiement de l’économie rurale et, par voie de conséquence, de l’amélioration et la consolidation de l’économie nationale. En conséquence, tout le changement devrait se faire, d’abord au niveau de l’exploitation, considérée comme une entreprise à part entière, ou appelée à le devenir.

Le deuxième principe découle du premier : l’action de transformation prend en compte toutes les contraintes potentielles à l’intensification au niveau des parcelles de culture, les hiérarchise et identifie le levier le plus efficace au changement des performances voulues, conformément à la loi agronomique dite “loi du minimum“. Cette approche intègre, autant que faire se peut, l’élevage aux systèmes de culture et remonte au niveau des systèmes de production agricoles, dans leurs fonctionnements, leurs performances et leurs efficacités respectives.

Dans cette vision, l’analyse de la fonction de productivité des facteurs de production au niveau de la parcelle montre que le facteur le plus efficient en zones arides est l’eau. Une approche de changement de paradigme visant la transformation des systèmes de production en vigueur par leur intensification raisonnée à travers une adaptation à la principale contrainte actuelle et en cours d’exacerbation sous l’effet du changement climatique, à savoir le déficit hydrique.

Injecter des compléments d’eau pour transcender le stress hydrique

Il s’agit d’apporter, selon le degré de vulnérabilité de ce qu’il appelle “les écorégions“ du pays, du sud au nord, des compléments hydriques à travers une bonne exploitation des eaux verte (pluviale), bleue (dessalée) et eau grise (usée traitée).

L’objectif étant d’augmenter et de stabiliser les rendements, et de rendre toutes les années de bonnes années agricoles au sens local pour les cultures pluviales.

Parmi les scénarios possibles envisagés, le Tunisien pourrait, un jour, consommer régulièrement de l’huile d’olive et se passer de l’huile de soja importée.

In fine, nous pensons que, abstraction faite de ces extraits de l’ouvrage, on ne peut pas nous interdire de saluer cette vision innovante et structurelle qui, par sa multidisciplinarité, réalisabilité et son souci constant du rapport «Cost benefit», peut être assimilée, sans exagération aucune, à une véritable réforme agraire. L’ouvrage mérite tout simplement qu’on s’y attarde.