Lorsque nous voyons la fièvre acheteuse de nos compatriotes dans les grandes surfaces et les centres commerciaux, la question que nous nous posons automatiquement est : est-ce que le coût de la vie et l’inflation ont réellement atteint le pouvoir d’achat de nos compatriotes ? Oui, certainement pour les classes souffrant d’une grande précarité, mais pas pour les seules raisons que ne cesse de répéter notre cher président dans ses discours hargneux et populistes à souhait.

Et nous ne cesserons jamais de répéter à un président qui n’écoute que sa propre voix : l’inflation, laquelle, bon gré mal gré, est contenue en Tunisie, n’est pas seulement le fait de facteurs endogènes, telle la spéculation ou les circuits de distributions, mais de facteurs exogènes qui ont commencé avec la pandémie de Covid-19 dont l’impact a touché l’économie mondiale dans son ensemble et qui a atteint son paroxysme avec la guerre russo-ukrainienne.

Donc monsieur le président, il y en a qui peuvent dire et redire indéfiniment que les difficultés à approvisionner le marché national de produits de base viennent du fait de “riches“ concitoyens qui dépensent des milliers de dinars dans leur nourriture au lieu de distribuer leurs fortunes aux pauvres, ils ne pourraient convaincre que les populistes haineux et obtus. Car, figurez-vous monsieur, au cours des huit mois de 2022, de nombreux pays par le monde ont subi des pressions inflationnistes continues en raison de la guerre russo-ukrainienne. Une guerre qui a profondément impacté les marchés mondiaux de l’approvisionnement en matières premières et aliments de consommation, y compris industriels et énergétiques.

Dans la Zone euro par exemple, monsieur le président, l’inflation a enregistré son taux le plus élevé depuis 1997 pour s’établir dans une moyenne de 9,1% au mois d’août 2022. Les taux ont doublé dans la plupart des pays du continent européen à un rythme inaccoutumé par rapport à la même période de l’année précédente pour atteindre 2 chiffres. En Grèce, l’inflation au mois d’août était de 11,4%, en Hollande de 12%, en Espagne de 10,4%, en Angleterre de 10,1%.

Dans des pays proches de nous, l’inflation en Egypte a grimpé à 14,6%, et on ne s’attend pas à ce que cela s’améliore ; en Algérie, elle est à 11,7% et au Nigéria à 19,6%.

Nous ne pouvons pas dire que dans tous ces pays les riches ont volé leur nourriture aux pauvres, et les spéculateurs ont dissimulé les marchandises pour les vendre plus cher causant une inflation intolérable.

Pour rappel, monsieur le président, nous attendons impatiemment que vous preniez des sanctions contre les contrebandiers qui sévissent sur les frontières en toute impunité ou, comme le défend Ahmed Chaftar, que vous les incluiez dans le tissu économique formel.

Comment ? Le génial Ahmed Chaftar et beaucoup de fans qui lui ressemblent trouveront des solutions et surtout un argumentaire fort qui convaincra ceux qui gagnent un argent fou on ne payant ni fisc ni CNSS, ceux qui vendent leurs marchandises sur les bords des routes de rejoindre les rangs des réguliers qui s’acquittent de leurs devoirs fiscaux et essuient systématiquement des insultes venant de tous bords.

Taux d’inflation en Tunisie, entre produits compensés et produits libres

Monsieur le président, savez-vous que le meilleur moyen de lutter contre la spéculation et la contrebande est celui d’imposer la vérité des prix, tout en mettant en place un fonds pour protéger les populations vulnérables ? Bien sûr, vous le savez, c’est même dans le programme du gouvernement. Comme ça, les riches qui disposent de moyens ne profiteront pas de la protection de l’Etat via la Caisse de compensation.

Et pour rappel, en Tunisie, le taux d’inflation sur les huit premier mois de 2022 a enregistré une hausse de 6,7% en janvier pour atteindre les 8,6% à fin août. Ce taux est le plus élevé depuis les années quatre-vingt. A l’époque, la Tunisie traversait une grave crise économique, le taux d’inflation avait alors atteint les 14,1% en 1982.

Bourguiba, pourtant fatigué, malade et en perte de ses moyens, n’avait pas stigmatisé tout un pan de la population et divisé le pays entre riches et pauvres. Quitte à changer de ministres tous les mois, Bourguiba voulait des solutions et ne s’adonnait pas à un “sport“ où beaucoup de politiciens excellent de nos jours : le populisme à outrance et des manœuvres de diversion empêchant les électeurs de voir où réside vraiment le mal, ce qui n’augure pas de solutions immédiates pouvant alléger le poids de la crise sur eux.

Vous qui adorez les plus démunis de notre peuple -parce qu’un peuple n’est pas composé que de démunis- savez-vous monsieur le président que les prix des produits agricoles ont connu un taux d’évolution de 16,1% contre 9,5% au cours de l’année 2021 ? Savez-vous que les produits avicoles, les céréales et la viande dont la production a fortement baissé ont fait face à une forte demande coïncidant avec la haute saison touristique et l’Aïd al-Idha ?

Mais on pourrait donner le meilleur des éclairages et les informations les plus fiables du monde, pour certains, l’inflation, le déficit commercial et la cherté de la vie ne peuvent être expliqués que par la spéculation, les riches qui engloutissent la nourriture des pauvres et les hauts commis de l’Etat corrompus soudoyés pour le faire.

Vous-même monsieur le président, vous avez jugé que l’importation des produits cosmétiques, les parfums et la nourriture pour animaux considérés comme superflus sont la cause du déficit de la balance commerciale. Comment, partant de là, convaincre les personnes édifiées sur la chose économique que parfums et cosmétiques sont derrière 16,8 milliards de dinars de déficit en seulement 8 mois alors que le déficit de toute l’année 2021 était de 16,2 milliards de dinars seulement ?

Monsieur le président, auriez-vous oublié le rôle de la Turquie (mais aussi de la Chine) dans le déficit commercial, concurrençant nos industries agroalimentaires, usant à souhait de la technique de dumping* et causant la faillite de nombre d’usines de cuir et chaussures et menaçant d’autres secteurs d’activités dont celui de la menuiserie et du bois ?

Réguler le marché et lutter contre les pratiques monopolistiques ne riment pas avec accuser toutes les entreprises de tous les maux !

Quoi de plus normal que de s’insurger contre les pratiques monopolistiques et les abus de certains industriels dans le secteur de l’agroalimentaire qui exportent des pâtes alimentaires subventionnées à des pays voisins aux dépens des nationaux. Mais réguler le marché et lutter contre les pratiques monopolistique ne riment pas avec accuser toutes les entreprises de tous les maux. D’ailleurs, le ministère du Commerce a pris nombre de mesures pour juguler les effets de la spéculation et mettre fin aux mauvaises pratiques de certains opérateurs économiques.

Un cadre législatif anti-monopole a été mis en place à travers le décret-loi n°2022-14 du 20 mars 2022 relatif à la spéculation illicite, et le décret-loi n° 2022-47 du 04 juillet 2022 modifiant la loi n° 86-94 relative à la distribution des produits de l’agriculture et de la pêche.

Les décrets-lois en question ont été renforcés par des circulaires administratives pour l’organisation des opérations de production et d’approvisionnement du marché en produits subventionnés, y compris farine, semoule et pâte alimentaire.

2021 a été l’année où l’Etat a pris le plus grand nombre de mesures coercitives à l’encontre des opérateurs opérant dans l’alimentaire et l’agroalimentaires. Ces mesures ont parfois été à l’origine de beaucoup de pénuries qui ont lésé le marché et privé les consommateurs de produits alimentaires de base.

En Tunisie, il y a de l’inflation et des produits de base qu’on peine à importer et pas uniquement à cause de la spéculation mais à cause des difficultés que trouve l’Etat à payer ses fournisseurs.

En Tunisie, il y a de la pauvreté, une pauvreté extrême, et dans certaines régions du nord-ouest, nombreuses sont les familles qui ne dépensent pas plus de 1 à 2 dinars/jour pour survivre.

Mais monsieur le président, vos discours et vos invectives n’aideront pas les pauvres à trouver de la nourriture et les jeunes à trouver de l’emploi.

L’économie est presqu’une science exacte, c’est une vision, des plans réfléchis et bien pensés et beaucoup de confiance et de sérénité.

Vos discours, monsieur le président, sont la plus grande atteinte au climat d’affaires dans le pays.

Amel Belhadj Ali

*Le dumping consiste à vendre un produit, généralement à l’exportation, à un prix anormalement bas, souvent aux dépens de la plus élémentaire rentabilité, pour conquérir rapidement son marché