« Seulement ceux qui prendront le risque d’aller très loin découvriront jusqu’où on peut aller », disait Thomas Stierns Eliot, poète et dramaturge américain. Olfa Kilani, fondatrice de Kyto Prod, a décidé d’aller loin. Elle avait l’idée, la vision et la détermination. Et elle en a fait une réalité.

Entretien.

WMC : Comment vous est venu l’idée de fonder Kyto Prod ?

Olfa Kilani : J’étais dans la recherche appliquée et dans l’enseignement lorsque la vie m’a donné une terrible claque en 2016 : un très méchant cancer, alors que je venais à peine d’avoir mes 40 ans – j’en ai aujourd’hui 47. En traversant cette épreuve, je me suis jurée que je consacrerais ce qui me reste de ma vie à réaliser mes rêves. Trois ans après le diagnostic et la thérapie, j’ai quitté l’enseignement supérieur, la recherche scientifique, pour réaliser mon rêve.

J’ai repris les bancs de la formation dans des programmes accélérés où j’ai appris la gestion de l’entreprise, la finance, la fiscalité, la gestion de stress, la gestion des ressources humaines, le business plan, la gestion des conflits, la comptabilité et les finances. J’ai fait un peu de tout, j’ai appris un peu de tout. J’étais très studieuse, organisée et très intéressée. Je suis bac +14, et pourtant j’ai appris en deux années plus que je n’imaginais pouvoir apprendre. C’est une expérience de vie très enrichissante avec les coups bas, la déception, le networking, les connaissances, etc.

Comment s’est fait le passage de la recherche à la réalisation sur terrain ?

Beaucoup de personnes me demandent comment j’ai fait pour reprendre à zéro. Je réponds qu’au contraire je continue à faire la même chose mais différemment. Je suis passée de la biotechnologie à la concrétisation. Je manipule des molécules et je valorise de la matière. Je retire de la matière de la carapace du crabe et des déchets de crevettes pour en sortir une molécule qui est le Chitosan. C’est cela la biotech, et c’est à travers cette discipline que nous pouvons apporter des innovations sur le marché.

Si nous voulons avancer, il faut que la recherche sorte des laboratoires et transforme notre réalité.

Qu’en est-il du schéma financier et de la levée des fonds ?

La création de Kyto Prod a été faite suite au programme de formation accélérée que j’ai suivie. J’ai bouclé le schéma financier grâce à mon investisseur, un gestionnaire de fonds des pays du Golfe ; c’est un accélérateur de l’innovation.

Mes investisseurs respectent la recherche et l’innovation, ce sont des gens qui ont cru en moi, ils sont à l’écoute de la science et savent que c’est important. Ils sont toujours au diapason des innovations, donc ils me laissent travailler tranquillement.

J’ai fait avec eux une première levée de fonds : la première était de 150 000 dinars, la deuxième de 800 000 dinars, soit près d’un million de dinars dont nous avons essayé d’user au mieux. Nous ne sommes pas encore dans la série A parce que je juge que nous n’y sommes pas encore prêts. Nous procéderons d’une prochaine levée de fonds en tant que startup série A.

Et vous avez beaucoup fait avec ces 950 mille dinars…

Exactement. Nous avons optimisé. Nous sommes dans la chaîne de valeur de bout en bout. Nous démarrons par les déchets pour aboutir au produit consommable. On nous reproche des produits très diversifiés mais nous l’assumons parce que nous voulons exploiter les bienfaits du Chitosan et chaque activité biologique dans le kitozane au maximum.

Quels sont vos produits ?

Nous sommes sur plusieurs brands, allant de la haute valeur ajoutée à la valeur ajoutée moyenne. Des produits cicatrisants, d’une gamme de produits minceur à base de Chitosan, une gamme de produits cosmétiques à base de Chitosan et ainsi de suite.

Nous avons créé une gamme de bio filtres pour les eaux usées et les eaux colorées de piscine. Nous voulons nous positionner en tant que leader dans les produits à base de Chitosan en Tunisie.

Qu’en est-il de votre gamme produits “minceur“ ?

Cette gamme a été lancée le 3 juillet lors d’une cérémonie à Sousse. Nous nous préparons aussi à exporter nos produits sur le marché libyen avec des produits adaptés à ce marché.

j’espère qu’un jour la Tunisie fera la différence entre une entreprise normale et une startup

Nous sommes très à l’écoute du marché, nous nous adaptons à la culture et au marché parce que nous avons la technologie et le savoir-faire. C’est d’ailleurs grâce à cette agilité-là que nous avons pu gérer les temps difficiles du coronavirus. Aujourd’hui, nous avons trois investisseurs intéressés par nos produits y compris le premier investisseur. Finalement, nous avons choisi de rester avec notre investisseur initial parce qu’il a la vision, nous comprend et nous a donné notre chance quand on avait besoin qu’on croit en nous.

Vous comptez vous exporter en Libye seulement ?

Le marché libyen mais aussi le marché européen et celui des pays du Golfe. Nous sommes très ouverts, nous avons fait une étude de marché et nous avons vu que nous sommes parfaitement éligibles. Nous vendrons nos produits finis et semi-finis.

Marché libyen, pays du Golfe, Europe, le rêve d’Olfa Kilani après avoir conquis le marché national et international ?

J’espère qu’après nous ferons de Kito Prod un holding. Notre firme sera un pôle biotechnologique. Chaque brand qui existe deviendra une société indépendante, gérée de manière autonome. Kito Prod restera l’entreprise mère et le fournisseur de Chitosan sous plusieurs formes. Ceux qui veulent du granulé auront le granulé, d’autres qui préfèrent la poudre aussi, même chose pour le gel.

Quelles sont les entraves que vous avez rencontrées en Tunisie ?

L’administration ! Nous sommes une startup et j’espère qu’un jour la Tunisie fera la différence entre une entreprise normale et une startup. Une startup doit évoluer rapidement. Si pour avoir un produit nous sommes bloqués un mois à la douane ou dans un bureau, nous ne pouvons pas avancer. Les procédures doivent devenir plus souples et plus rapides pour créer un écosystème vertueux pour les start up.

Amel Belhadj Ali