Après des années de croissance atone de la filière des énergies renouvelables (ER) en Tunisie, les autorités, qui semblent comprendre enfin l’enjeu qu’implique leur promotion, ont décidé de simplifier les procédures pour accélérer le rythme d’une transition énergétique.

Destinée à rattraper le retard pris dans ce domaine, cette mesure suscite pour le moment peu d’enthousiasme auprès des entrepreneurs du secteur.

Le 1er avril 2022, le ministère de l’Industrie, de l’Energie et des Mines a décidé de supprimer le système des autorisations pour la production de l’électricité à partir des ER.

“Nous allons supprimer le système des autorisations pour la production de moins d’un mégawatt. Le producteur n’a qu’à se rendre à la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (STEG) et à procéder à une simple déclaration”, avait déclaré la ministre de l’Energie, Neila Gonji, lors d’une conférence consacrée aux mesures urgentes pour la relance de l’économie nationale.

D’ici le mois de juin 2022, la Tunisie envisage de lancer des appels d’offres pour la production de 1 500 mégawatts d’énergie renouvelable, avait également annoncé la ministre, reconnaissant le retard pris par le pays en matière de transition énergétique.

A noter que 100 mégawatts pourraient alimenter 100 000 foyers tunisiens.

Trop de procédures tue l’ambition

En effet, les projets de production des ER d’autoconsommation, haute et moyenne tensions, sont assujettis à une autorisation préalable, par décision du ministre chargé de l’Energie prise sur avis d’une commission technique, conformément à l’article 12 de la loi de 2015 relative à la production d’électricité à partir des énergies renouvelables.

Des autorisations sont également, exigées après l’achèvement de la réalisation de l’unité de production de l’électricité à partir des énergies renouvelables et son raccordement au réseau électrique national ne se fait qu’après la vérification de sa conformité aux conditions requises alors que sa mise en exploitation exige aussi une démarche de réception de la part des experts de la STEG.

L’annulation du système d’autorisation va alléger, à cet effet, les procédures et mettra fin à une bureaucratie qui ralentit le rythme de la transition énergétique dans un pays ou la sécurité énergétique risque d’être encore plus fragilisée au cours des prochaines années, selon une récente étude de l’ITES (Institut Tunisien des Etudes Stratégiques), intitulée “la sécurité énergétique de la Tunisie à l’horizon 2030”. https://www.leaders.com.tn/uploads/FCK_files/ITES,%20secu-nrj%202030,%2014%20fev%202022.pdf.

La Tunisie pourrait ainsi aller au-delà d’une production de seulement 500 mégawatts, sachant que 46 projets de production d’énergie renouvelable sont actuellement en cours.

Selon la ministre de l’Industrie, la suppression des autorisations pourrait encourager l’investissement et la production des énergies face à la hausse des prix et à l’impact du conflit russo-ukrainien sur ce secteur.

“Nous comptons créer une instance de régulation de l’énergie verte… Nous allons soumettre cette proposition à une consultation publique d’ici le troisième trimestre”, a-t-elle annoncé.

L’énergie au cœur des engagements de la Tunisie à l’international

Dans le cadre de sa Contribution déterminée au niveau national (CDN), mise à jour et soumise en 2021 à la Convention-cadre des Nations unies sur le Changement climatique, la Tunisie a rehaussé ses ambitions d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et s’est fixée pour objectif de réduire l’intensité carbone nationale à 45% à l’horizon 2030 par rapport à son niveau de 2010.

Le secteur de l’énergie se place au cœur de ces ambitions. Car, la Tunisie prévoit de développer davantage la production et l’accès aux énergies renouvelables, améliorer son efficacité énergétique, maîtriser les émissions dues aux procédés industriels.

Le scénario du secteur de l’énergie dans le cadre du plan climat de la Tunisie est basé sur la mise en œuvre de programmes ambitieux de développement de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables.

Il (le scénario) prévoit de réduire les émissions du secteur de l’énergie de 9% à l’horizon 2030, par rapport aux émissions de 2010. Les émissions évitées sont estimées à 63 MteCO2 cumulées sur la période 2021-2030.

Une capacité de seulement 500 MW installés

Grâce à de tels résultats d’atténuation des GES (gaz à effet de serre) induits par la politique de transition énergétique, le secteur de l’énergie réduirait son intensité carbone en 2030 de 44%, par rapport à l’année 2010, soit une baisse annuelle moyenne de 4,7%.

Dans le cadre du Plan solaire tunisien (PST), la Tunisie ambitionne de produire 3 815 mégawatts (MW) d’électricité, à partir des énergies renouvelles et, partant, d’augmenter la part de ces énergies dans la production globale à 30% en 2030. A moins de 10 ans de cette échéance, le pays n’a installé qu’une capacité de 400 à 500 MW, soit l’équivalent de 3 % d’ER dans le mix énergétique, un retard très critiqué par les experts et les entrepreneurs de la filière.

Interrogé par TAP sur l’impact de cette annulation du système d’autorisation sur la promotion des ER en Tunisie, le président de Groupement professionnel des énergies renouvelables à la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (CONECT), Ahmed Abid, n’a pas été très enthousiaste.

Pour lui, il n’y a pas meilleure incitation à la promotion des énergies renouvelables en Tunisie que de “laisser les 450 entreprises du secteur privé travailler dans un cadre clair et équitable, sans chercher constamment, à calquer des modèles de grands projets qui ne sont pas adaptés à la réalité tunisienne”.

Perte d’environ 80% du CA des sociétés installatrices des ER

Selon Abid, ces grands projets faits sur mesure ne profitent pas à l’ensemble de la filière et ne servent que les intérêts des grands entrepreneurs de la filière, proche des cercles de décision.

Les sociétés installatrices qui déploient des systèmes d’ER de basse tension, au profit des foyers et des commerces sont aujourd’hui, menacées de faillite et elles ont perdu environ 80% de leur chiffre d’affaires. “Si les autorités avaient réellement soutenu la filière et n’ont pas procédé à des changements brusques, dont la suppression des subventions, on aurait pu atteindre aujourd’hui 20% énergie renouvelable”.

La profession pas trop convaincue

La solution pour accélérer le rythme de la transition énergétique réside, d’après le responsable patronal, dans la mise en place d’un système décentralisé de production d’énergie renouvelable et de faire profiter les 3 millions de foyers en Tunisie de panneaux solaires gratuitement “un panneau à chaque foyer”.

“Le panneau solaire doit se vendre comme se vendaient les paraboles, c’est la seule condition de réussir la transition énergétique. Il faut subvenir aux besoins basiques des citoyens en énergie, et le reste, soit ” l’énergie de confort “, doit être payé à sa juste valeur par ces citoyens, estime Abid.

Sans les industriels tunisiens et sans un modèle purement tunisien, la transition énergétique n’aura pas lieu, souligne-t-il.

Pour un pays doté d’un potentiel énorme de promotion des ER, en particulier l’énergie solaire et encore accablé par un arsenal juridique dense et peu efficace, l’annulation des procédures administratives n’est qu’un premier pas sur la voie de l’accélération de la transition énergétique espérée.

Car, le contexte mondial actuel et l’état de forte dépendance du pays des importations d’énergies fossiles (plus de 80%) exigent un surcroît d’efforts pour atteindre la vitesse de croisière en matière de déploiement des ER et réunir tous les acteurs concernés (développeurs, transporteurs d’électricité, syndicats…), autour d’une seule ambition nationale: assurer la sécurité énergétique de la Tunisie.