La villa romaine dite de La Volière, l’un des édifices des plus importants du site de Carthage, accueille pour la première fois une exposition d’art contemporain de l’artiste plasticienne et visuelle protéiforme, Mouna Jemal Siala, et ce du 10 novembre jusqu’à fin décembre 2021.

L’exposition pluridisciplinaire intitulée “Khoudha sur la route quotidienne” va du dessin à la vidéo, en passant par la photographie et même à la musique dans le volet “3rubi”, en collaboration avec l’artiste compositeur et violoniste Zied Zouari.

Son projet d’exposition personnelle d’art visuel contemporain autour du thème ” La Tunisie de nos jours ” explique l’artiste s’inscrit dans “ma démarche d’artiste engagée. L’idée de le concevoir et de le concrétiser m’est venue subitement lorsque j’ai constaté que, dans mon pays, l’environnement, la propreté, le savoir vivre et le respect de l’autre, ont pris un coup ces dernières années. Elle m’est venue aussi lorsque j’ai découvert que le mot “Khoudha”, que j’ai choisi pour intituler ce projet, a curieusement deux significations contradictoires dans le dialecte tunisien et dans l’arabe littéral”.

Dans la terminologie populaire, il signifie “gabegie, désordre, manque d’harmonie”. En langue arabe écrite, il signifie entre autres “perle”. Dans “mon œuvre, j’ai tenté de démystifier ce paradoxe et de l’exploiter pour montrer que, en fin de compte, les deux vocables sont intimement liés, voire complémentaires ; ce qui me permet, de tenter de transformer le laid matériel en beau plastique” a-t-elle précisé.

Entamé depuis 2018, son projet est guidé par son vécu, par son quotidien, mais aussi par une profondeur liée à l’histoire de son pays, la Tunisie. Il est articulé autour de deux grands axes logiques bien que l’espace et le temps diffèrent : “la photographie du vif au vive” et “Les Mosaïques des tesselles aux pixels”

La photographie du vif au vive

Intriguée par ce qui se passe dans son environnement proche et lointain, elle s’est mise à prendre des photographies ” sur ma route quotidienne; sur le chemin que je prends tous les jours pour aller en ville, au travail, au marché, ou ailleurs, et à des moments différents de la journée et de l’année”.

Ces photos sont à l’image d’une Tunisie peu à peu défigurée par l’incivisme de ses habitants, la cupidité des promoteurs et l’impuissance de la société civile et de l’Etat, ces grands absents. Le fait est là : la Tunisie n’est plus éclatante de blancheur et ses ocres disparaissent peu à peu pour laisser place à des gris, des rouges, synonymes d’inachevés, et des papiers gras ou des plastiques qui volètent au milieu de ce paysage de désolation.

Ce glissement de regard vers ce banal quotidien semble augurer d’une nouvelle époque, d’une nouvelle ère ; ère que je saisis au jour le jour et que j’essaie d’enjoliver à travers mes filtres colorés.

Ces photographies sont tirées sur du papier ou du plexi transparents selon les formats, et j’y rajoute du collage et des filtres dorés. Une des principales présentations de cette série est une installation de plus de 200 photos qui s’intitule “Entrée dans la Tunisie” – “ÇáÎæÖ Ýí ÊæäÓ “.

Il faut signaler au passage que “Khaoudh”, est le masculin de “Khoudha”, tout en signifiant ” parler de “, et même ” patauger “. L’installation prend la forme d’un labyrinthe de taille importante, lisible, représentant le mot “Tunisie” en calligraphie koufie. Les labyrinthes existent dans les mosaïques romaines. “Celle que j’ai vue au Musée du Bardo m’a particulièrement interpellée et ébranlée. (Mosaïque de combat de Thésée et du Minotaure de Thuburbo Majus)”.

Et d’ajouter “Mon attachement et mon amour à la Tunisie se sont paradoxalement accentués avec détérioration de son paysage ces dix dernières années suite aux événements politiques, et à la mauvaise gouvernance de ses dirigeants. La Tunisie, je l’aime, et donc, je la ” dore “. Mon installation labyrinthique invitera le visiteur à déambuler visuellement dans la Tunisie dorée.

Les Mosaïques des tesselles aux pixels

” Sur la route quotidienne ” l’a amenée, a précisé Mouna, à penser à un autre quotidien : celui d’une grande époque, celle de la civilisation romaine dont la Tunisie était la province ” Afrique “.

Du IIIème au Vème siècle, l’empire romain se disloquait lui aussi, de l’intérieur comme de l’extérieur : l’empire romain d’occident disparaissait et ne subsistait que l’empire romain d’orient avec ses cités byzantines. ” A des siècles éloignés, l’histoire se répète ” comme le dit si bien Ibn Khaldoun.

Les mosaïques* que je présente font remonter l’histoire du quotidien en surface et comme l’apparition de l’image sur écran digital, le tesselle est remplacé par le pixel et le pixel numérique, en matière palpable (du grillage, du tissu, du métal ou aussi du dessin. Ainsi, l’historique et le contemporain se rejoignent.

“La période du confinement (2020 – 2021) m’a permis de m’approfondir encore plus dans la Tunisie à travers les âges et a suscité en moi beaucoup de questionnements, surtout par rapport à la femme qui, en Tunisie, a toujours eu une place spéciale”.

A titre d’exemple, “j’ai réalisé au premier confinement une série de 21 dessins format A4 qui mettent en valeur les femmes chanteuses du début du 20ème siècle.

A cette série, répond en musique l’artiste compositeur tunisien Zied Zouari avec le BeatBoxer TWINLO en interprétant douze morceaux des différentes divas d’époque. C’est un volet entre art visuel et musique, une recherche sur la mémoire collective entre le passé et le présent.

Cette époque du début du 20ème siècle fût celle des premiers enregistrements de chansons tunisiennes. Ces chansons sont souvent celles de jeunes femmes juives tunisiennes telles que les sœurs Shemmema, Habiba Msika, ou Fritna Darmon, et j’ai voulu les mettre en exergue et leur rendre hommage par le dessin et la musique. Le nom de La Rachidia en 1934 a été choisi en référence à Mohamed Rachid Bey, troisième souverain de la dynastie husseinite, grand amateur de musique, ce qui a suscité ma curiosité pour découvrir cette période de l’histoire de la Tunisie. Cela m’a amenée à réaliser les 19 portraits des Beys Huseynites, en technique mixte entre pixels et broderie, comme pour remonter en surface l’histoire, pour comprendre le présent…

“Ne dit-ont pas que la musique adoucit les mœurs ? c’est ce qui “m’a amenée à monter une vidéo de 30 minutes que j’ai intitulé ” Sur ma route une musique ” de différentes séquences filmées en voiture” a-t-elle expliqué. Cette vidéo montre “ce que je vois sans choisir et ce que j’écoute avec plaisir. Finalement, à tous les questionnements qui m’intriguent, je réponds par une mosaïque de techniques, entre photos, vidéos, broderies, dessins…”.