« Populisme et institutions sont a priori contradictoires, en position paradoxale… Les institutions, dans la conception populiste, sont tout au plus des modalités d’organisation purement techniques, sans valeur politique dans l’organisation de la Cité. Elles ne sont que des instruments, elles n’ont pas de signification politique par elles-mêmes », c’est ainsi que Gustave Peiser, professeur émérite de droit public à l’université Pierre Mendès de Grenoble, décrit les dérives populistes des leaders politiques européens dans une étude intitulée « La tentation populiste au cœur de l’Europe ».

Sans prétendre être des spécialistes dans le droit constitutionnel, une expertise ou une spécialité que vous nous citez à tour de bras, nous relevons en tant qu’observateurs profanes de la chose constitutionnelle, attirer votre attention sur le fait que vous êtes en plein dans les agissements et discours populistes.

Des pratiques qui vous desservent ainsi que les institutions de l’Etat, monsieur le président.

Autant vos décisions en rapport avec un péril imminent menaçant le pays ont été d’un grand soulagement pour le peuple étouffé par un parti tentaculaire mafieux aux ramifications dangereuses pour le pays, autant vos déclarations populistes à propos des créateurs de richesses et des hauts responsables de l’Etat, ou encore votre posture en tant que professeur enseignant les règles de droit à tous ceux que vous « convoquez » au Palais, sont inquiétantes pour nombre de Tunisiens avisés.

Monsieur le président, vous êtes le gardien des institutions, alors ne les diminuez pas plus qu’elles ne le sont déjà après le passage dévastateur d’Ennahdha et de ses alliés !

Mercredi 29 juillet « comparaissait » devant vous Samir Majoul, président de l’UTICA. Et comme cela fait 10 ans que vous en parlez, vous avez retiré un dossier complètement dépassé par force de loi mais aussi dans la réalité pour nombre de considérations, et vous l’avez brandi affirmant que les 460 entreprises et personnes citées par la “Commission Abdelfattah Amor” de 2011 devaient payer pour leur « spoliation » des biens du peuple.

Avez-vous une idée, monsieur le président, sur l’évolution des choses depuis 2011 en ce qui concerne les dossiers cités ?

Une grande partie des concernés (les Ben Ali et les Trabelsi) a été dépossédée de tous ses biens confisqués et vendus pour une bouchée de pain après le passage des mandataires judiciaires et suite au trafic auquel s’est adonné la classe politique, Ennahdha en tête. L’autre partie a été rackettée et a subi des chantages infectes de la part de la nouvelle classe gouvernante.

Il y en a, dans cette partie, qui se sont soumis et sont devenus les plus fervents défenseurs d’Ennahdha, le finançant et en cash; et il y en a qui ont résisté et ont subi le joug d’une justice à la solde. Les autres ont fait faillite, aussi simple que cela.

Donc, si des 13 500 millions de dinars (entendez 13,5 milliards de dinars) vous pouvez avoir quelques centaines de millions de dinars dont il est prouvé qu’ils ont été mal acquis, on pourra considérer cela comme une réussite.

Ezzeddine Saïdane, lui-même membre de la Commission Abdelfattah Amor, a déclaré que ce qui était « valable en 2011, ne l’est plus autant aujourd’hui ».

Monsieur le président, le saviez-vous ?

Ce n’est pas parce que vous avez fait des promesses en 2019 qu’elles sont forcément réalisables. Vos promesses ne doivent pas tourner à l’idée fixe, d’autant plus que vous dites être le gardien des droits de tout Tunisien à une justice équitable et non partisane.

Vous êtes le gardien des institutions, monsieur le président, et à ce titre, il est de votre devoir et de votre responsabilité de les protéger. Ces institutions sont dirigées par des compétences, et vous, enseignant de droit constitutionnel, n’avez pas le droit de les amoindrir ou de les humilier publiquement dans une attitude de donneur de leçon.

Même un ministre des Finances dans un pays au bord de la faillite a le droit (les avertis diraient le devoir) de recharger un tant soit peu ses batteries

Vos déclarations lors de votre entrevue du lundi 2 août 2021 avec Sihem Boughdiri, que vous avez chargée de diriger le ministère des Finances, sont choquantes, monsieur le président !

Car parler du ministre des Finances limogé par vos soins en citant les noms de Mustapha Khaznadar et de Mahmoud Ben Ayed – qui a mis en faillite la Tunisie pré-indépendance – implique des accusations gravissimes à l’encontre d’un haut commis de l’Etat, un commis sur lequel vous n’avez pas émis de réserves lorsqu’il avait été nommé dans le gouvernement Mechichi.

Mieux encore, monsieur l’enseignant de droit, il est une règle de droit fondamentale : tout accusé est innocent jusqu’à preuve du contraire ! Votre logique à vous – et elle ne date pas d’aujourd’hui – serait, d’après vos actes, que tout accusé est coupable jusqu’à preuve du contraire !

Vos déclarations en cette soirée du 2 août ont suscité deux réactions révélatrices de l’état d’esprit de la classe avisée dans notre pays rejetant toute forme de populisme s’agissant de l’Etat.

Lotfi Saibi, président de 4D Leaderchip House, a commenté ainsi : «Un principe fondamental du leadership est de ne jamais humilier vos collaborateurs en public ou en présence d’autres personnes. Hormis le fait que vous perdez le respect, c’est une façon de garantir qu’aucune personne compétente ou entreprenante ne viendra travailler avec vous… A moins bien sûr qu’abaisser quelqu’un nourrisse votre ego et vous fasse croire que vous êtes supérieur. Je n’ai presque jamais été d’accord avec ce qu’Ali Kooli a fait l’année dernière comme ministre (pas de doute qu’il aurait dû être viré), mais je ne suis pas du tout d’accord avec la façon dont KS s’est comporté la nuit dernière envers lui ».

Est-ce que vos déclarations ont suivi ou précédé la diffusion d’une vidéo à propos d’Ali Kooli en Italie ? Nous ne le savons pas. N’empêche, Nafaa Ennaifer, membre du bureau exécutif de l’Institut arabe des chefs d’entreprise, a exprimé son dégoût dans un post sur sa page FB : « Je ne défendrai pas Ali Kooli. Je ne défendrai pas son bilan (discutable). Il le fera certainement lui-même. Je porterai seulement un témoignage sur la personne : compétent, intelligent, patriote, calme, éduqué et affable. Le gars qui se la coule douce en Italie et qui a pris le temps de suivre A.K dans son intimité, de le filmer et de partager la vidéo, est d’une grande bassesse ! Ceux qui partagent la vidéo et se plaisent à donner des leçons, dans leur posture habituelle de spectateurs, devraient avoir honte. Même un ministre des Finances dans un pays au bord de la faillite a le droit (les avertis diraient le devoir) de recharger un tant soit peu ses batteries. Se promener le soir, après une journée de travail lors d’une mission, n’est pas un crime. Tout le monde le fait. Quelle hypocrisie on vit dans ce pays ! On continue à broyer nos compétences, à les salir, à toucher à leur intimité. Est-ce ainsi qu’on va encourager les meilleurs parmi nous à s’engager pour le pays et assumer les responsabilités ? Il faut être fou ou suicidaire de nos jours pour accepter.

Monsieur, en tant que président de la Tunisie, vous devez donner l’exemple et ce n’est pas en vous adonnant à l’exercice quotidien d’avilissement des compétences que vous pourrez y parvenir et sauver les 87% de Tunisiens qui vous font confiance.

A bon entendeur.