Bien garder à l’esprit que le plan reste le meilleur miroir des réformes. C’est lui qui reflète les choix économiques nationaux. Sans plan, point de vision … et gare aux mauvaises surprises.

Par Ali Abdessalem

Sous la pression du déficit, le budget s’impose comme repère unique de la politique économique, à la place du plan –comprenez “Plan de développement économique et social“. Et c’est là une déviation de vocation pour cet instrument qui sert uniquement de cadre à la gestion des finances publiques. Et ce n’est pas sans conséquence sur le reste.

De la nécessité de référer à un plan d’action

Dans le brouhaha ambiant, cette permutation de rôle passe inaperçue. Il serait d’un bon effet si à l’Assemblée on instituait, à l’instar de ce que fait le Sénat américain avec chaque nouvelle administration, le principe de l’audition pour chaque nouveau gouvernement.

Ainsi, les nouveaux postulants auront à valider un plan d’action avant de se mettre aux affaires. De la sorte, l’opinion saura à quoi s’en tenir quant au contenu et la politique économique et de ses perspectives quinquennales et de son étendue décennale. Et cela donne du champ.

Se contenter du discours de politique générale du CDG (chef de gouvernement), forcément générique, est insuffisant. Le propos reste trop vague pour contraindre le gouvernement et cela ouvre la voie à tous les dérapages. Et le premier d’entre tous est que le budget, avec son cadre annuel trop restreint, devient le premier instrument de référence.

Nous rappelons qu’un plan c’est d’abord un contrat de confiance entre l’opinion et le gouvernement lequel s’engage sur un certain nombre de réalisations, de chiffres et de réformes. D’ailleurs, il induit un certain nombre de repères de suivi, tel le “bilan des 100 premiers jours“.

Le plan, une grille de lecture des réformes

Disons-le tout de go, un plan c’est avant tout une feuille de route pour réaliser les réformes. Ces dernières sont toutes éprouvantes et, naturellement impopulaires.

D’ailleurs, on les insère dans un planning contraignant. Les plus structurantes sont en général entreprises lors du premier semestre qui suit l’investiture. Au-delà de cet horizon, la fin de l’état de grâce crispe la tolérance au changement, chez le bon peuple.

Jean-Pierre Raffarin, lors d’une édition des Journées de l’entreprise de l’IACE (Institut arabe des chefs d’entreprise), évoquait la question et rappelait que son homologue canadien lui avouait se conformer à un calendrier précis. Les plus contestables doivent être menées d’entrée de jeu et de préférence, en plein hiver, car les rigueurs de la météo démobilisent le bon peuple. Et le Premier ministre français admet qu’en France cela survient au courant de l’été quand les citoyens s’éparpillent et que les esprits se relâchent par l’air de vacances. Il faut surprendre l’opinion au moment où elle est la moins incisive.

Rappelons donc que le plan présente les réformes de fond qui vont soutenir, sur une période moyenne de cinq ans selon les cas, le redressement, la reprise ou carrément le changement de modèle de développement.

Comment défendre des hypothèses de croissance sans prévisions de moyen et long terme, adossées à des changements impactants ? Il serait malaisé à nos négociateurs d’expliquer une hypothèse de croissance de 4 % retenue pour l’élaboration du budget 2021 alors que l’on commence par un premier trimestre à taux négatif.

Si le plan 2021-25 avait été élaboré, peut-être qu’il aurait contribué à dissiper le doute en présentant les conditions du retournement de trend de croissance.

Comment tenir tête aux experts du FMI et par-delà de tous les bailleurs de fonds internationaux faute des prévisions réalistes de la planification ? Les investisseurs locaux et internationaux demandent une trêve fiscale. On leur répond que la fiscalité est à son plafond et que l’on va vers la décrue. Il aurait été plus simple, au lieu de l’affirmer verbalement, de pouvoir le démontrer par des prévisions planifiées.

Le plan versus le budget

Les données de la préparation du budget ont peu d’impact et sont de portée limitée, étant ponctuelles. Elles ne sont pas assorties d’une orientation et ne révèlent pas de vision d’ensemble. Comment interpréter des augmentations de prix furtives sur certains produits de base s’il n’existe pas une orientation démocratiquement débattue pour aller vers la vérité des prix de manière progressive ? Et à l’effet d’instaurer davantage de concurrence et de lutter contre l’économie de la rente. Quand une telle option n’est pas clairement annoncée et ouvertement acceptée, sa portée ne produira pas l’impact attendu.

Naguère le pays était comme l’élève modèle, disait-on du FMI, car il se prévalait d’une politique adossée à une planification. A l’heure actuelle et faute d’un plan rigoureux, il apparaît dans la posture peu enviable de contre-exemple. Le pays est en mal de gouvernance. Son administration ne délivre plus. Elle est à bout de souffle. Et on sait qu’il faut aller vers un nouveau modèle de développement, et ce ne sont pas les rafistolages de l’arithmétique budgétaire qui amélioreront les choses.

On a bien voté un budget avec une impasse de 18,6 milliards de dinars tunisiens. La parade était que l’on préparerait dans l’intervalle une loi de finances complémentaire. Au lieu de cela, ne fallait-il pas activer l’élaboration du plan quinquennal 2021-25 ?

Même les investisseurs étrangers se retrouvent déroutés. Ils demandent une prévisibilité sur le taux de change du dinar. La réponse que l’on peut trouver dans le budget est déconcertante. Sans programmation du redressement du secteur exportateur, comment convaincre que le dinar serait amené à se saisir ? Faute de choix forts, le court terme tétanise les esprits et tous parieront sur la déconfiture (Ellatkha) contre laquelle prévient le gouverneur de la BCT.

Et après le remboursement des tombées de la dette extérieure des mois de juillet et août, l’on ne s’attend pas au meilleur. Gérer ou subir, il faut choisir. Sans plan, tout s’achète et tout se vend.