Hautement pédagogique fut la conférence-débat organisée par le Forum tunisien des politiques publiques (FTPP), vendredi 28 mai à l’Université MSB, et présentée avec par Hédi Larbi, directeur du programme “Leadership et politiques publiques“ au sein de la SMU autour du thème « La restructuration des entreprises publiques, à la lumière de l’expérience de certains pays asiatiques ».

Hautement pédagogique parce que Hédi Larbi y a parlé de l’expérience chinoise des réformes entamée à la fin des années 70 et que, pour nous autres Tunisiens, son application, même en considérant les différences culturelles, relève de l’impossible au vu de la qualité du leadership en place sauf si par miracle, un autre plus éclairé, plus patriote et moins égoïste vienne le remplacer.
La réforme chinoise fut menée sur des décennies par un leadership visionnaire, patriote et décideur, ce qui est loin d’être le cas de la Tunisie, aujourd’hui.

« Nous avons tendance, en Tunisie, à discuter ou à vouloir imiter des recettes toutes prêtes de “soit disant bonnes pratiques observées dans d’autres pays“ sans pour autant essayer d’analyser la manière dont les réformes sont préparées, les objectifs et les choix et alternatives stratégiques considérés par leurs décideurs, l’environnement d’économie politique prévalent dans ces pays et son impact sur le processus de prise de décision et sur la portée des réformes envisagées », expliquait M. Larbi lors de la conférence.

En 1978, la Chine était l’un des pays les plus pauvres au monde avec un revenu de 187 dollars US par habitant par an et 750 millions de pauvres sur une population de 960 millions. 80% de la population était rurale et le pays était dirigé par un Parti communiste totalitaire.

La première action de Deng Xiaoping, leader suprême de la Chine en décembre 1978, fut de lancer le plan « Réforme et ouverture ». Il voulait corriger les erreurs de la “révolution culturelle chinoise“ – Attention, ne pas comparer avec la révolution tunisienne « sacrée» et intouchable (sic).

Le programme « Réforme et ouverture » qui ne fut pas une grande réussite à ses débuts a repris de plus belle après les manifestations de la place Tiananmen de 1989 et la « Tournée d’inspection de dans le sud » en 1992.

Les deux questions que s’étaient posée à l’époque les dirigeants chinois furent : « pourrions-nous guérir du réflexe d’un secteur public qui fait tout ? Pourrions-nous nous inspirer d’expériences aussi précieuses que celles de Singapour et de la Malaisie ?

Dans un premier temps, relate Hédi Larbi, « les dirigeants chinois ont compris qu’il fallait lâcher du lest, réfléchir, revoir leurs convictions politiques et économiques, se remettre en question et réviser leurs postures ». Leurs discours tenaient un seul refrain : «Ne nous dites plus qu’on ne peut pas faire, il faut faire et réussir ».

Au commencement, il y eut la décentralisation qui a donné aux provinces le pouvoir de décisions pour que l’action soit vite engagée. On a envoyé des cadres chinois à l’étranger pour qu’ils puissent, à leur retour, faire le point sur la situation de leur pays, étudier les différentes approches et choisir la solution pour un socialisme efficace.

Le 2ème élément a consisté en une décision souveraine pour une ouverture économique au national et à l’international en aidant les entreprises à évoluer progressivement par l’adoption de l’approche gradualiste.

Les bureaucrates ne sachant pas gérer les entreprises, il fallait engager des expériences multiples pour voir lesquelles pouvaient être les plus efficaces et les plus porteuses sur le plan économique.

L’Etat ne devait pas financer les entreprises publiques en difficulté

Entre 1978 et 1988, l’objectif principal des dirigeants chinois était de « séparer la gestion de l’État de la gestion de l’entreprise », ce qui a progressivement permis à des entreprises ou des unités de production de se doter de la personnalité comptable, ensuite de la personnalité juridique. Entre 1988 à 2002, la réforme a entrepris de « séparer la gestion de l’État de celle des actifs » pour que les politiques macro-économiques ne soient pas déterminées par des préoccupations court-termistes tenant à la gestion des actifs. Et depuis 2003, on a encouragé la mutation juridique des entreprises publiques pour les conduire aux introductions en bourse.

Une des plus grandes décisions des dirigeants du grand pays communiste qu’est la Chine est que l’Etat ne devait en aucun cas financer les entreprises publiques en difficulté qui doivent elles-mêmes trouver le moyen de s’imposer en tant qu’acteur économique viable ou disparaître.

Utopie, dans un pays comme la Tunisie où les entreprises publiques protégées par les super-syndicats pompent l’Etat pour servir des intérêts très particuliers et dont les réformes relèvent des lignes rouges qui ne doivent pas être franchies.

« C’est ce que nous enseigne les expériences de nombreux pays y compris lorsqu’il s’agit de la réforme du secteur des entreprises publiques dans les pays de l’Asie de l’Est, dont la Chine. L’expérience de cette dernière offre de nombreuses leçons pouvant éclairer les parties prenantes tunisiennes et l’encourager à dépasser les peurs et les diverses contraintes idéologiques que même la Chine communiste, grâce à son pragmatisme et à sa détermination à faire prospérer son peuple, a réussi à faire des réformes audacieuses de ses entreprises publiques. Grace à ces réformes étalées sur plus d’une décade, nombreuses entreprises chinoises sont aujourd’hui parmi les plus compétitives et les plus innovantes du monde. La clé de la réussite réside dans la volonté et le courage politique de la classe dirigeante, la qualité des stratégies et des plans de restructuration et leur adéquation avec le contexte local, et enfin la compétence et l’expérience des équipes chargées de la mise en œuvre et de l’évaluation des réformes retenues. Notre État régule le marché et le marché régule nos entreprises, disait un haut responsable chinois quand il a présenté la dernière étape de la restructuration des entreprises publiques», rappelle Hédi Larbi.

L’expérience chinoise n’a malheureusement aucune chance d’être appliquée en Tunisie.

Amel Belhadj Ali

*South Mediterranean University (Groupe MSB, MedTech, LCI)