Le bureau de Foued El Kamel, PDG d’Avionav, est d’une simplicité désarmante, un petit salon de fortune et juste ce qu’il faut, soit deux chaises et une table. Le moment n’est pas au luxe, assure, avec un sourire, le PDG, qui ambitionne d’avoir 5 à 10% de part dans le marché mondial de l’aviation légère et de doter ses aéronefs des technologies les plus avancées pour en faire les plus intelligents au monde.

WMC : Dans quelle catégorie pouvons-nous mettre les avions que fabrique Avionav ?

Foued El Kamel : Nous produisons deux types d’avion : un avion en composite de fibre de carbone que nous avons baptisé « Rallye », et un avion en aluminium que nous avons appelé « Storm ». Cette dernière existe en 4 versions : la version trains fixes et la version trains rétractables. Il y en a qui sont de 2 places et d’autres de 4 places.

50 avions légers version Rallye volent seulement de par le monde et des centaines de la version Storm. Les avions Aeronav se vendent aux États-Unis, en Europe (France, Espagne, Allemagne, Italie, Portugal, Ukraine), en Asie, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Argentine et au Brésil. Ils servent au transport, aux loisirs, à l’épandage aérien, à la surveillance, à l’écolage (la formation en pilotage), à l’agriculture et à la cartographie.

Nous comptons développer les solutions aéroportées pour fabriquer des avions de surveillance équipés de caméras et de radars (le Rallye Observer) et d’autres dédiés à la cartographie et équipés d’un radar lidar et un radar laser qui fait le scan du territoire.

Le marché existe pour cette catégorie d’avions ?

C’est un marché de 600 millions de dollars US qui progresse de 15% chaque année. Toutes les entreprises qui opèrent dans le génie civil les convoitent, les gouvernements en ont besoin pour scanner et s’en servent dans l’aménagement du territoire surtout dans les pays africains. Nous sommes décidés à nous tailler une part de lion dans ce marché.

A ce jour, vous n’avez pas procédé à des levées de fonds, vos revenus vous permettent-ils d’investir dans la Recherche & Développement ?

Nous avons, il est vrai, approché quelques fonds d’investissements mais les nationaux sont frileux et ne veulent pas prendre des risques. Nous avons donc préféré compter sur nous-mêmes en réinvestissant nos bénéfices. Notre dernier chiffre d’affaires (2020) s’élève à près de 1 million de dinars. C’est évidemment peu par rapport à nos ambitions, mais entre 2014 et 2021 (Phase 1 d’Avionav), nous avons investi dans la reprise des activités historiques d’Avionav à travers des actions commerciales, de marketing et les programmes de maîtrise technologique.

Nous avons fait notre entrée dans l’industrie 4.0 avec l’ERP (Enterprise Resource Planning), ce qui nous permet de gérer et de suivre au quotidien l’ensemble des informations et des services opérationnels en rapport avec nos activités et de répondre sans délai à l’évolution de la demande de nos clients. Nous avons intégré également les techniques 3 D.

La phase II est celle des grandes réalisations. Le premier axe sera l’extension de l’atelier de Borjine, qui passera de 1 500 m2 à 3 000 m2 pour qu’il puisse abriter notre EM 9100 et 10 aéronefs.

Aujourd’hui, nous ne pouvons pas fabriquer plus de 4 avions en 3 mois, nous voulons passer à la construction de 10 avions en 1 mois et demi. Notre ambition d’ici 2028 est de fabriquer 100 avions par an et de passer à 140 employés.

Le deuxième axe concerne la certification. Nous allons poursuivre le programme de certifications des avions puisque d’un pays à l’autre, les certifications sont différentes.

Pour pouvoir attaquer le troisième axe de notre stratégie de développement, nous serions dans l’obligation de procéder à une levée de fonds. Nous participerons aux foires qui se tiendront dans les pays africains, les pays du Golfe, mais également aux USA et en Europe.

Le marché de l’aviation légère est prometteur, il n’y a pas de monopole. Chaque année 3 000 avions sont vendus. Nous ambitionnons d’avoir entre 5 et 10% du marché.

Garantissez-vous la sécurité à bord de vos avions ?

Nos avions sont équipés d’une sécurité passive dotée d’une finesse de 16. Cela veut dire que si le moteur tombe en panne, ils peuvent planer sur 16 Km, le temps de se poser. Ils sont dotés aussi d’un parachute balistique qui couvre tout l’avion et qui l’aide à se poser en douceur.

Le marché tunisien s’intéresse-t-il à vos avions ?

Les ministres de l’Industrie et du Transport sont intéressés par ce que nous faisons, et il est prévu d’organiser un workshop auquel participeront les opérateurs dans le secteur de l’aviation légère pour lancer les activités de fabrication, de vente et d’exploitation des avions légers dans notre pays.

Quels sont vos projets à court et moyen termes ?

Nous attaquons très bientôt la fabrication des drones. Nous avons lancé, avec les ministères de la Défense et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, le développement de drones de 8 m avec une autonomie de plus de 20 heures. Le but est de droniser l’un de nos avions et faire en sorte que ce soit le drone qui le pilote.

Nous avons aussi lancé le projet d’un hélicoptère sans pilote. Nous avons ouvert à la technopole de Sousse un centre de recherche où nous travaillons sur les solutions aéroportées avancées pour intégrer l’intelligence artificielle dans les avions, et ce au niveau de deux axes. Le premier concerne le pilotage automatique intelligent, et le deuxième le smart cockpit. La technologie adoptée est celle utilisée par Mercedes, Audi et la Lockheed Martin, c’est la NVIDA, c’est la partie smart.

Quelles sont les performances des vos aéronefs ?

Le Rallye et le Storm peuvent faire 1 600 Km avec une autonomie de 8 heures, une vitesse de croisière de 220 Km/heure et une vitesse maximum de 270 Km/heure. Leurs cellules peuvent tenir pendant 50 ans, et ils sont équipés par des moteurs canadiens bombardiers et Rotax. Les instruments sont américains, le reste est Avionav, avec un taux d’intégration de l’ordre de 76% avec plus de 2 000 articles par avion.

Nous sommes aussi en négociations avec des avionneurs suédois, qui ont manifesté leur intérêt à coopérer avec nous pour la construction à Borjine dans nos ateliers de modèles d’avions légers de six et à douze places.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali