Lors de sa récente visite en Tunisie, le vice-président de la Banque mondiale, Férid Belhaj, fort de la puissance financière de son institution et de l’apport qu’elle peut apporter au pays en cette période extrêmement difficile,  a été très à l’aise pour sermonner les gouvernants du pays, et surtout pour leur donner deux grandes leçons de philosophie sur la cohérence et le sens de l’essentiel.

Abou Sarra

S’agissant de “la cohérence“, le vice-président de la Banque mondiale a demandé, en substance, aux officiels tunisiens d’en faire preuve. Il les a invités à cesser de solliciter, à tout bout de champ, des bailleurs de fonds de nouveaux crédits pour financer le budget alors qu’ils sont incapables de bien utiliser les prêts mis déjà à leur disposition, depuis des années.

Incohérence des gouvernants tunisiens

« Des financements de 5,2 milliards d’euros ont été alloués par la Banque mondiale et l’Union européenne à la Tunisie, mais celle-ci n’a pas exploité ces fonds qui constituent 15% du PIB », a-t-il martelé lors des nombreuses interviews qu’il a accordées aux médias tunisiens.

Il a ajouté qu’ « en raison de cette capacité d’absorption insuffisante, les bailleurs des fonds ne peuvent plus accorder de nouveaux prêts à la Tunisie ». Le message est désormais clair.

Quand les gouvernants ratent l’essentiel

Concernant le “sens de l’essentiel“, Férid Belhaj a reproché aux gouvernants tunisiens de s’occuper de problèmes périphériques et de ne pas concentrer toutes leurs énergies sur les projets structurants à effet multiplicateur. Ces mêmes projets qui facilitent tout lorsqu’ils sont bien gérés, et bloquent tout lorsqu’ils sont mal gérés.

A ce propos, il a évoqué la déficience de la logistique portuaire, talon d’Achille de l’économie tunisienne, et particulièrement la problématique du port commercial de Radès qui assure à lui seul 70% des échanges extérieurs de la Tunisie.

Pour Férid Belhaj, ce port reflète et centralise tous les maux de l’économie tunisienne. « Le port de Radès est le symbole du blocage, et tant que ce blocage n’est pas surmonté, même si toutes les entreprises sont restructurées rien n’avancera », a-t-il prédit.

Le vice-président de la Banque mondiale a fait ce constat avec beaucoup de dépit et d’amertume dans la mesure où même la solution numérique mise au point pour améliorer le trafic au sein du port de Radès a été « sabotée » et ne serait pas, par conséquent, opérationnelle.

Pour mémoire, cette application, dénommée système de gestion de terminaux portuaires ”TOS” (Terminal Operating System) et réalisée pour un coût global de 76 millions de dinars à la faveur d’un cofinancement de la Banque mondiale, devait favoriser la traçabilité des conteneurs et permettre au client de connaître l’heure de l’arrivée du conteneur outre la possibilité de paiement à distance.

A la faveur d’échanges d’informations précises, le transporteur et les chauffeurs de grues vont travailler en même temps et avec une parfaite coordination. L’avantage de ce système réside dans le fait qu’il permet un gain de temps énorme, soit un quart d’heure pour sortir un conteneur contre une journée auparavant.

Malheureusement, cette application, mise en œuvre à un mauvais timing (décembre 2019), a suscité un tollé auprès des opérateurs (importateurs et exportateurs) et a été très vite abandonnée, sous la pression, sans qu’aucune explication ne soit donnée depuis plus d’une année.

Il y a certes la pandémie du coronavirus qui est venue compliquer les choses, en 2020 et début 2021, mais rien n’explique l’abandon d’un tel système qui pourrait être salutaire.

C’est une autre preuve de l’immobilisme des gouvernants et de leur tendance à laisser les choses pourrir. Le résultat sur le court terme, on peut déjà l’imaginer : ce sera malheureusement les scénarios grec et libanais.

A bon entendeur.