Partis d’un projet de fin d’études, voilà que Moez Lachneb et Ahmed Nabli lancent la start-up Next Gen, spécialisée dans les applications destinées aux dyslexiques et aux autistes et d’autres applications éducatives en direction des enfants. Next Gen est un cas d’école. Un cas d’école parce que ses fondateurs sont toujours dans la solution, rien ne les démoralise. C’est l’histoire du courage et de l’audace de deux jeunes hommes qui se sont mis à leur propre compte à la sortie de l’université. Ils n’ont pas contracté de prêts pour démarrer et n’ont pas ambitionné de parcours professionnels ailleurs. Entretien avec Moez Lachneb.

WMC : Racontez-nous le lancement.

Moez Lachneb : Nous avons commencé par des applications mobiles thérapeutiques destinées aux enfants autistes et dyslexiques. Ahmed est un thérapeute et a une idée sur les thérapies traditionnelles pour les petits. Nous avons intégré les nouvelles thérapies dans les hautes technologies et nous les avons traduites en applications soft.

Au démarrage, nous n’avions pas postulé pour un prêt bancaire, nous disposions d’un petit montant gagné en travaillant l’été (5 000 dinars tunisiens), et nous nous sommes installés à la pépinière d’entreprises de l’ISET Radès où nous avions déposé un plan d’affaires avec comme seul moyen de production deux ordinateurs et quelques poufs.

Le Loyer était symbolique et nous y avons passé une année et demie avant de déménager au Centre urbain Nord. Et depuis, notre équipe est devenue plus nombreuse.

Nextgen est donc née d’un concours de circonstances ?

Et surtout de la volonté d’entreprendre et de l’audace de braver tous les obstacles pour réussir. Nous ne cherchions pas la sécurité de la fonction publique. Nous voulions nous réaliser par nous-mêmes.

Il y a eu plusieurs déclics dans la vie de l’entreprise. J’ai toujours en tête l’image des escaliers qu’on monte pour atteindre un étage, nous montons les marches les unes après les autres et nous reprenons notre souffle sur le palier pour de nouveau reprendre l’escalade vers un autre étage, et ainsi de suite. Le plus important est de persévérer et de ne pas prendre l’essoufflement pour prétexte et abandonner.

Et vous avez persévéré…

La preuve, nous réussissons et nous nous internationalisons. Cela n’a pas été facile. Au début, pour collecter les fonds, nous avons commencé par travailler sur des sites web. Il nous fallait juste un ordinateur et un utilisateur pour élaborer un produit qui, à son tour, génère des revenus à l’entreprise. La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) cherchait des entreprises consultantes, nous avons postulé et nous avons été acceptés.

Grâce à l’accès à la banque de données de la BIRD, nous avons commencé à offrir nos services aux entreprises tout en les édifiant sur les financements.

La BIRD met à disposition une ligne de financement pour les entreprises qui vendent des services IT. Nous développons les services pour ces entreprises et nous faisons le plaidoyer des financements en les éclairant sur la ligne de financement qui ne profite qu’aux entreprises référencées à la BIRD.

La vente de nos services nous a permis de nous procurer l’argent nécessaire pour la recherche et développement. Nous avons ainsi pu créer nos premiers produits. Le département IT alimente la section R&D, laquelle a généré des produits BtoC. Nous construisons à ce jour des sites web même hors du cadre BIRD parce que nous avons acquis une expertise, et nos clients nous envoient également d’autres clients.

Le marché était-il prêt à accueillir vos propres produits thérapeutiques et éducatifs ?

Le premier obstacle que nous avons rencontré est celui de la monétisation des applications mobiles. C’est un grand problème parce que nous ne disposons pas de moyens de paiement sur le marché local. Si nous installons nos applications sur le Play store, comment assurer leur commercialisation lorsque le dinar tunisien ne peut pas les acheter ?

Nous avons donc créé un système basé sur des cartes à gratter comme les cartes qu’on utilise pour les téléchargements téléphoniques. Ce fut notre première innovation.

Le code qui se trouve sur les cartes donne accès aux applications, via un downloader sis à Play store ; c’est notre down loader et c’est une application gratuite.

Comment y procède-t-on ?

Pour les cartes à gratter, si c’est une carte éducative, vous allez trouver une application éducative, dans les librairies, dans les magasins de jouets, ou dans les associations spécialisées. C’est à partir de 3 ans et jusqu’à 12 ans. Nous avons conçu plus d’une centaine d’applications. La carte est à 10 dinars et elle donne droit à 10 applications. Le contenu est fait in situ, avec les éducateurs, les pédagogues, les designers et les développeurs.

Même démarche pour les applications thérapeutiques, nous avons signé des conventions avec les cabinets de thérapeutes qui utilisent nos cartes pour leurs patients. Si le parent est intéressé, il les achète parce que nos applications sont dans la continuité de la thérapie, et les parents en usent pour assurer à l’enfant un suivi chez lui.

Comment le marché vous a accueilli ?

C’est comme s’il nous attendait. Nous avons rapidement atteint le pic grâce aux applications thérapeutiques. Entre applications thérapeutiques et éducatives, nous avons vendu plus de 120 mille cartes à gratter dans un premier temps. Nous avons convaincu les thérapeutes résistants de la pertinence de notre démarche et de l’efficience de notre produit avec force démonstrations et arguments.

Vous êtes persévérants…

C’est une qualité indispensable si on veut réussir. Aujourd’hui, nous commercialisons des tablettes et des smartphones pour enfants. Ils comprennent des jeux et des applications éducatives en 3 langues. Le stock des tablettes est épuisé et nous devons le rééditer.

Nous n’aurions pas réussi si nous n’avions pas résisté. Et je profite de l’occasion pour m’adresser aux entrepreneurs et les inciter à la curiosité. Oui, oui moi je suis un entrepreneur, et pour cette raison, je dois toujours avoir les yeux sur tout ce qui m’entoure et un regard toujours renouvelé suivant les tendances et interceptant les attentes portées sur le changement.

Pour que je puisse innover et intéresser un marché, il faut toujours être à l’écoute des autres, et profiter de leurs expériences, qu’ils soient plus anciens dans le secteur ou nouveau. Il y a malheureusement des entrepreneurs qui, eux-mêmes, font de la résistance au changement et sont victimes de leur résistance. Quand le marché vous appelle, il faut avoir l’intelligence d’y répondre comme il se doit.

Combien de levées de fonds avez-vous fait ?

Nous avons commencé par Intilak For Growth en 2016, ensuite Impact Partner. Intilak est un fonds qui appartient au QFF (Qatar Frendship Found), qui finançait la BFPME (Banque de financement des petites et moyennes entreprises, ndtr). Il a depuis résilié son partenariat avec elle.

Impact Partner, qui portait le nom de Younes Social Business, est un fonds créé par Mohamed Younes, le prix Nobel de la paix qui a migré pour devenir Impact Partner. C’est un fonds spécialisé dans les startups à impact social.

La première levée de fonds a été de 250 mille de dinars. La deuxième levée de fonds a été à hauteur de 350 mille dinars, et c’est à ce moment-là que nous nous sommes rendu compte qu’il fallait conquérir d’autres marchés car le marché tunisien est devenu trop exigu pour nous.

Nous devions aller plus loin, et aujourd’hui, nous nous sommes installés au Maroc, nous préparons notre implantation à Mascate (Oman) et ambitionnons la conquête de l’Algérie.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali