Interpellé, dernièrement, par un média de la place, sur la qualité de la logistique portuaire en Tunisie, Taieb Bayahi, président de l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE), a révélé que notre pays détient le sinistre record de la logistique portuaire la plus faible d’Afrique.

Abou SARRA

Son constat est clair. Les six ports commerciaux que compte la Tunisie sont, aujourd’hui, incapables de booster le transport maritime puisqu’ils ne peuvent accueillir que les navires dont la charge ne dépasse pas les 1 500 conteneurs.

Pis, les navires construits il y a cinq ans ne peuvent plus entrer dans les ports commerciaux de Tunisie. D’où la nécessité d’accélérer la construction de nouveaux ports qui répondent aux exigences du commerce international.

Cette incapacité logistique coûte à l’économie tunisienne des pertes estimées à 20% du PIB (chiffre de la Banque mondiale). Selon l’Indice de performance logistique de la Banque mondiale de 2018, la Tunisie se positionne au 105ème rang (60ème rang en 2010).

Origines de la contre-performance

Cette baisse de la performance logistique est due au retard pris dans le démarrage des investissements (quais 8 et 9 au port de Radès, construction du port d’Enfidha, zones logistiques…), l’inefficacité des services portuaires, le cadre réglementaire non encore finalisé, ainsi que le manque de coordination entre les structures. Tous ces facteurs ont négativement impacté le secteur du transport censé soutenir les autres secteurs.

Concrètement, pour les experts ce manque à gagner provient des pertes générées au triple niveau des économies d’échelle, de la taxe de congestion et des surestaries des conteneurs.

Pour distinguer entre la modicité et la performance d’une logistique portuaire des pays, les responsables de l’Office de la marine marchande et des ports (OMMP) relèvent, au cours des nombreux séminaires sur la logistique portuaire, que le développement des ports dans le monde entier est tributaire de trois paramètres.

Le premier concerne la taille des navires. A titre indicatif, pour le cas du plus grand port commercial de Tunisie, en l’occurrence le port de Radès, la charge des navires doit être de 3 500 conteneurs, car l’infrastructure de ce port et sa profondeur (neuf mètres) ne permettent d’accueillir que des navires de 1 500 conteneurs au maximum. Ce qui provoque une perte d’économies d’échelle de plus de 1 500 dinars par conteneur (chiffres de 2015).

Le deuxième paramètre porte sur la taxe de congestion. Les navires d’une capacité pareille (3 500 conteneurs) ne doivent pas dépasser les deux jours d’escale dans le port, alors qu’à Radès ils restent neuf jours et plus. Cette différence enregistrée au niveau des jours d’escale provoque une perte estimée à plus 500 dinars pour chaque conteneur.

Le troisième a trait aux surestaries, c’est-à-dire des indemnités que l’affréteur doit payer au propriétaire du navire, dans un affrètement au voyage, quand le temps de chargement et/ou de déchargement dépasse le temps de planche prévu dans le contrat de voyage.

En moyenne, les conteneurs doivent effectuer les opérations douanières dans les sept jours, mais au port de Radès ces opérations exigent entre 25 et 30 jours. Il en résulte au total plus de 1 milliard de dinars environ de pertes par an.

Le salut serait le port en eaux profondes d’Enfidha

D’où l’enjeu du projet du port en eaux profondes d’Enfidha lequel, une fois réalisé avec une profondeur de plus de 15 mètres, sera à même d’accueillir une nouvelle génération de navires capables de transporter jusqu’à 20 000 conteneurs.

Pour le moment, ce projet serait aux mains d’une banque d’affaires chargée de définir les conditions et cadres réglementaires devant régir son exploitation, de l’ouverture des plis en avril 2021 pour connaître, en principe, le concessionnaire qui sera retenu pour construire ledit port, et le démarrage, vers fin 2022, des travaux de réalisation de l’ouvrage. C’est du moins ce qu’a promis le PDG de la Société de gestion du port Enfidha, Chokri Laamari.

Au plan institutionnel, cette non-compétitivité de la logistique est due, d’après les experts, à la centralisation et à la focalisation sur le port de Radès. Il faut dire que ce port demeure le poumon du commerce extérieur du pays avec 98% des opérations d’exportation, 70% du total des échanges extérieurs du pays, ainsi que 90% des mouvements de containers et de tracteurs-remorques.

C’est dire le rôle stratégique assumé par ce port, sachant que les entreprises offshores qui importent des matières premières et exportent des produits finis travaillent avec zéro stock « en flux tendus », d’où l’ultra-sensibilité de la chaîne logistique aux impératifs du temps.

Vers la résolution de la problématique de la STAM

Cette contre-performance logistique a, également, pour origine l’insuffisance de productivité des agents de la Société tunisienne d’acconage et de manutention (STAM).

Pour donner une idée du rôle que joue cette entreprise publique, il faut savoir qu’elle traite environ les deux tiers du trafic total tunisien (hors liquides), a le monopole de la manutention dans le port de Radès et opère en compétition avec des opérateurs privés dans les autres ports commerciaux.

Cette entreprise est diabolisée par les opérateurs économiques qui ont appelé, à maintes reprises, à sa privatisation. Ces mêmes opérateurs font assumer à cette société un tas de problèmes : encombrement du port de Radès devenu un lieu de stockage des conteneurs vides, lenteur désespérante des opérations d’embarquement-débarquement des containers et remorques, attentes allant de cinq à dix jours en rade des bateaux avant d’accoster, ce qui coûte à l’Etat plus d’un milliard de dinars en devises chaque année pour dédommager les armateurs, coût élevé et faible compétitivité des opérations d’importation-exportation, séjour moyen de 11 jours des containers au port avant enlèvement. Mais aussi, taux élevé de vols et pertes de marchandises, suspicions d’opérations de corruption, multiplicité de formalités administratives complexes auprès d’institutions différentes lors des opérations d’import-export…

Toutefois, des améliorations conjoncturelles, semble-t-il, commencent à se manifester avec l’acquisition de nouveaux équipements et la digitalisation des prestations portuaires.

Selon des statistiques fournies le 16 février 2021, à l’occasion de la célébration de son 60ème anniversaire, la STAM a fait état de beaucoup de progrès en 2020. La durée moyenne d’escale des navires au port de Radès a été réduite à trois jours durant le dernier trimestre 2020 contre 15 jours au cours de la même période de 2019, les conteneurs sont enlevés au rythme de 12 conteurs par heure et zéro surestarie (aucun navire en rade).

Espérons seulement que cette performance ne serait pas due à la réduction du trafic maritime générée par l’effet du coronavirus.