Dix ans après le changement du régime politique, la Tunisie n’arrive pas à se réaffirmer économiquement et à assurer le bien-être et la qualité de vie que le peuple attendait de l’instauration d’un régime démocratique garant des droits et des libertés.

Aux dernières nouvelles, il paraît que la reprise des négociations entre le gouvernement tunisien et le FMI ne se soit pas déroulée sous les meilleurs hospices. Et pour cause ! Le FMI ne croit plus en la crédibilité de l’Etat tunisien qui ne fait que promettre des réformes qu’il ne réalise pas par lâcheté ou par ambition électorale.

Nous en avons vécu la parfaite illustration avec tous les gouvernements sauf celui des technocrates (2013/2014) depuis 2011.

Pour se réengager avec la Tunisie, le FMI a besoin de garanties.

«Sans un pacte national auquel s’engageraient l’Etat, l’UGTT et l’UTICA, il serait difficile de sauver le pays. Aujourd’hui, le gouvernement est en train de négocier tout seul avec le FMI et est, par conséquent, en situation de faiblesse. Les négociations risquent d’être à son désavantage et le FMI pourrait lui imposer des mesures draconiennes. Les bailleurs de fonds internationaux tels que le Fonds monétaire international ont besoin de visibilité avant de s’engager. Se présenter avec les partenaires sociaux garants de paix et de stabilité sociales et munis d’un plan triennal ou quinquennal serait de nature à rassurer nos interlocuteurs et à baisser leur niveau d’exigence ou du moins le lisser dans le temps », explique Afif Chelbi, ancien ministre de l’Industrie de Ben Ali.

La Tunisie a aujourd’hui besoin -et plus qu’à tout autre moment- d’une stabilité politique et d’un gouvernement qu’on ne change pas au bout de trois mois pour discuter dans la sérénité et la continuité avec ses interlocuteurs internationaux. Les indicateurs économiques du pays sont au plus mal. Les échanges commerciaux avec l’extérieur aux prix courants durant l’ensemble de l’année 2020 sont négatifs. Les exportations affichent une baisse de 11,7% et les importations une baisse de 18,7% par rapport à l’année précédente.

Des indicateurs économiques alarmants, une dette publique insoutenable

Au mois de décembre 2020, les prix à la consommation ont augmenté de 0,3% après une stagnation en novembre, une augmentation principalement liée à la hausse des prix des articles d’habillement de 1,5%, des produits et services de santé de 1,2%.

Le taux d’inflation en décembre 2020 s’est stabilisé à 4,9%, il était de 6,7 en 2019 et de 7,3% en 2018. La production industrielle du mois d’octobre 2020 a enregistré une baisse de 3,8%.

Outre les baisses dans les secteurs des industries mécaniques et électriques (-4,0%), du textile/habillement et cuirs (-1,1%) et de l’industrie chimique (-11,2%), le recul de la production dans les secteurs de l’énergie (-18,7%) et des mines (-29,8%), reste le plus frappant !

Ces indicateurs économiques ont été fortement impactés par la pandémie Covid-19, et ce malgré le soutien à la Tunisie des bailleurs de fonds internationaux, notamment du FMI, dans le cadre d’un programme de Mécanisme élargi de crédit (MEDC) et celui de l’Union européenne, mais la Tunisie n’arrive pas  assurer sa relance.

« Même si le FMI et la Banque mondiale promettent que s’il y a un plan d’ajustement et de restructuration ils accorderont des aides aux classes les plus vulnérables, il n’est pas sûr que les réformes attendues ne soient pas douloureuses, surtout pour les classes moyennes d’ores et déjà affaiblies », explique Slim Tlatli, ancien ministre du Tourisme de Ben Ali et expert international dans la mise à niveau et la modernisation industrielle.

La dette publique, estime Tlatli, est devenue insoutenable, et l’Etat tunisien devra trancher dans le vif pour rétablir l’équilibre financier et budgétaire du pays. « D’ores et déjà, il faut oser la réforme de la compensation et sa rationalisation, assurer une meilleure gouvernance des caisses sociales et mettre fin à l’hémorragie financière des entreprises publiques, mais aucune relance ne sera possible sans la maîtrise de la pandémie du nouveau coronavirus ».

Les investissements publics et privés ne seront pas au rendez-vous

Afif Chelbi abonde dans le sens, lequel vient de déclarer qu’une situation sanitaire dégradée ferait perdre au pays environ 10% de son PIB. Et par conséquent, un mois de retard dans la vaccination coûte au pays plus d’un milliard de PIB et près de 40% de ce montant en pertes de prélèvements obligatoires (recettes fiscales et cotisations sociales).

Du coup, et au vu du grand retard pris par le gouvernement tunisien dans la commande du vaccin, il ne faut surtout pas s’attendre à une relance économique au premier semestre 2021.

Les investissements publics et privés ne seront pas au rendez-vous. « L’instabilité sociale associée à l’instabilité politique et un climat d’affaires peu encourageant ne sont pas pour rassurer les investisseurs locaux et encore moins internationaux, commente Slim Tlatli. Les moteurs de relance sont en panne. Qu’il s’agisse d’exportation ou de consommation. Il suffit de voir la baisse affichée par un grand nombre de magasins de prêt-à-porter et qui est de l’ordre de 50% pour réaliser qu’il ne faut pas compter sur la consommation en tant que facteur de relance ».

Il ne faut pas non plus compter sur le secteur du tourisme en l’absence de mesures strictes qui puissent assurer la sécurité sanitaire des visiteurs de la Tunisie. Reste les transferts des TRE qui ont considérablement progressé en 2020 et que nous espérons plus importants en 2021. Mais suffiront-ils en l’absence de réformes structurelles et du redémarrage effectif des sites de production énergétique menacés de blocage par des contestataires hors la loi ainsi que de la relance économique de nos partenaires européens?

Reste que malgré les difficultés que traverse aujourd’hui le pays, il garde son attractivité. L’économie tunisienne évolue rapidement tout en se diversifiant, elle est proche du marché européen et pourrait profiter de la manne de délocalisation des entreprises européennes de Chine, la main-d’œuvre nationale est qualifiée et les Tunisiens ont une grande capacité de résilience.

Le gouvernement Mechichi aura la lourde responsabilité de mettre fin aux abus sociaux qui menacent la sécurité économique du pays. Il est aujourd’hui, impératif de juguler les mouvements sociaux en mettant en place un plan de relance économique et un programme ambitieux et réalisable de soutien aux populations vulnérables sans fausses promesses, sans faux projets et sans maquillage des chiffres.

Hichem Mechichi et son (nouveau) gouvernement y parviendront-ils ?

That’s the question !

Amel Belhadj Ali