Le déficit réel de la balance commerciale de la Tunisie s’est élevé à 21,5 milliards de dinars, à fin novembre 2020, alors que les statistiques officielles publiées par l’INS font état d’un déficit de 11,7 milliards de dinars, a affirmé Jamel Aouididi, économiste et expert en développement, dans une interview accordée à l’agence TAP.

Un problème de méthodologie de calcul du déficit commercial

Selon l’économiste, le problème réside en la méthodologie de calcul du déficit, laquelle prend en considération les résultats des transactions effectuées sous les deux régimes, à savoir le régime général appliqué aux sociétés résidentes et le régime off shore appliqué à celles non résidentes et totalement exportatrices.

“Or, à l’échelle internationale, il est recommandé, depuis 2008 par le FMI, de se contenter des résultats du régime général uniquement, dans le calcul du résultat de la balance commerciale et ce, dans la mesure où les sociétés exerçant sous le régime off shore, ne sont tenues ni de rapatrier ni de céder les recettes de leurs exportations, et donc, n’impactent pas les réserves en devises. Une mesure qui a été appliquée, officiellement, depuis 2010, par les pays de l’Union Européenne”.

En revanche, “les sociétés résidentes sont appelées, selon la règlementation de change en vigueur, à rapatrier les recettes de leurs exportations par transfert de devises, ce qui affecte directement le niveau des avoirs en devises”.

D’après l’expert, “ce subterfuge sert à maquiller une réalité désastreuse de notre économie nationale, puisqu’il permet de sous-estimer le déficit réel du pays”.

31 milliards de dinars de déficit commercial en 2019

En fait, “la balance du régime off shore affiche des importations de l’ordre de 17,9 milliards de dinars contre des exportations à hauteur de 27,1 milliards de dinars, ce qui représente un solde excédentaire de 9,8 milliards de dinars (soit un taux de couverture de 163,5%)”.

Ainsi, “si on exceptait les transactions réalisées dans le cadre du régime off shore, le déficit commercial de la Tunisie passerait de 28 milliards de dinars, en 2018, à 31 milliards de dinars, en 2019, ce qui représente un record qui n’a jamais été enregistré durant toute l’histoire de la Tunisie”, souligne l’économiste.

A fin novembre 2020, nos exportations dans le régime général n’ont pas dépassé les 9,7 milliards de dinars, alors que les importations se sont élevées à 31,2 milliards de dinars. “Par conséquent, le taux de couverture s’est limité à 31,2%, ce qui reflète un immense déséquilibre”.

Et de préciser “autrement dit, 69% des importations tunisiennes ne sont pas couvertes par nos exportations, mais plutôt pas des emprunts. Le pire c’est que ces emprunts ne sont pas comptabilisés dans la dette publique de l’Etat, mais sous forme de crédits revolving (il s’agit d’un crédit renouvelable qui est une forme de crédit consistant à mettre à disposition d’un emprunteur une somme d’argent réutilisable au fur et à mesure de son remboursement, pour financer des achats non prédéfinis)”.

Le volume réel de la dette publique est de 140 milliards de dinars 

“Si nous prenons en considération ces crédits, le volume de la dette publique dépasse les 120 milliards de dinars. A cela, s’ajoute la dette des entreprises publiques (qui ne figure pas dans la dette publique), portant le volume global réel de la dette de notre pays à 140 milliards de dinars, ce qui dépasse de loin la valeur du PIB”, relève Aouididi.

Et d’affirmer que “dans le même contexte, le cumul des déficits annuels de notre balance commerciale, durant ces trois dernières années (de 2018 à 2020), dépassera les 80 milliards de dinars, soit le double du budget de l’Etat pour 2019 (40,8 milliards de dinars)”.

La Tunisie est déficitaire vis-à-vis de la France

Revenant à la balance commerciale, Aouididi a fait savoir que “le fait d’additionner les transactions off shore, a servi à présenter un bilan qui cache la réalité catastrophique de nos relations commerciales avec notre partenaire stratégique, l’Union européenne, et notamment avec la France. En fait, les chiffres officiels publiés par l’INS prétendent fallacieusement que nous réalisons un excédent avec ce pays, alors qu’en réalité nous sommes déficitaires d’au moins 4 milliards de dinars en 2019. Notre pays a d’ailleurs été toujours déficitaire vis-à-vis de l’UE. En 2019, ce déficit s’est élevé à 14 milliards de dinars, soit 45% du total de déficit”.

Il explique que “ce déséquilibre de la balance commerciale est le résultat des importations massives tous azimuts, et de toute provenance: européenne, turque et chinoise, qui sont ruineuses pour notre pays, puisqu’il s’endette pour financer essentiellement des biens de consommation”.

L’expert cite à titre d’exemple la valeur des importations de voitures touristiques qui a dépassé, durant les 11 premiers mois de 2020, le 1,250 milliard de dinars, alors que les importations des tracteurs, indispensables pour le secteur agricole, ne représentent que 111 MDT.

Vivement l’application de la clause de sauvegarde de l’OMC

A noter que les importations de la Tunisie, sous le régime général, ont régressé, passant de 38,9 milliards de dinars, en novembre 2019, à 31,2 milliards de dinars, en novembre 2020, sous l’effet surtout de la baisse de la facture énergétique (-3,3 milliards de dinars), en raison de la chute du prix de l’énergie et de la baisse de la consommation, résultant de la crise de la pandémie du coronavirus.

En conclusion, l’expert en développement appelle à mettre fin à ce dérapage infernal pour notre économie, en veillant à rationaliser nos importations et à appliquer les clauses de sauvegarde approuvées par l’OMC et le Fonds monétaire international (FMI).