Il y avait consensus sur le rôle de l’amnistie de change en tant que détonateur de la reprise économique. Et, dans le même temps, de digue de sécurité pour la bonne tenue du dinar tunisien. Voilà que le projet est aux oubliettes. S’agit-il d’une manœuvre fortuite ?

Par Ali Abdessalam

« Il y a un but, mais pas de chemin ; ce que nous nommons chemin est hésitation ». Cette citation de Franz Kafka décrit bien la situation où le pays s’est embourbé.

Quelques années auparavant, en réaction à la panne de développement, laquelle sévit toujours du reste, on a opté pour la relance. Faute de ressources, le chemin le plus court passait par l’amnistie de change. La recette a bien marché, partout ou presque. Cela est plus impérieux aujourd’hui que la rumeur sur le stress de solvabilité du pays devient insistante.

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Pourquoi le projet de loi n’est pas allé jusqu’au bout de son chemin, pourtant unanimement validé ?

Nous avons oublié l’économie…      

L’euphorie “révolutionnaire“ nous a poussés à négliger l’économie. En réalité, dans son insouciance révolutionnaire, le pays se mettait en mode cigale, se contentant de dévorer ses réserves. Et on a fini par tout ronger jusqu’au sabot de sécurité de 1,5 milliard de dinars issus de l’ouverture du capital de Tunisie Telecom. Une poire qu’on gardait pour la soif. Tout s’est volatilisé par l’“enchantement révolutionnaire“.

Bien entendu, dur a été le réveil. Le pays a usé et abusé des déficits jumeaux et s’est laissé prendre dans leur effet de ciseaux. Dans l’intervalle, l’informel a pris ses quartiers et le champ des transferts sociaux s’est étendu.

La nécessité rend ingénieux, dit-on. Et dans ces conditions nécessiteuses, le pays a tout de même fait un choix technique de raison. Hop ! Cap sur l’amnistie de change. Elle mettrait fin à cette dualité malfaisante d’un secteur informel qui regorge de devises et un circuit officiel en manque.

… Et négligé les finances

Le projet d’amnistie de change avait tout pour plaire. C’était un jeu à somme positive pour tous. Et quand bien même les réserves de change, à l’heure actuelle, caracolent à plus de 150 jours d’importation, le poids du service de la dette donne à craindre. En situation d’urgence, il convient d’actionner les leviers de sécurité. Et l’amnistie servirait d’airbag d’appoint.

Pour comparaison, le Maroc, en instituant l’amnistie, tablait sur un effet en retour de l’ordre de 1,2 milliard de dirhams. Et à l’arrivée, le jackpot était au double, dépassant même la somme de 2,4 milliards de dirhams.

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Chez nous, cette solution était portée par tous. Et l’Etat avait joué le jeu. L’informel ferait pénitence contre le paiement libératoire et sans poursuite de 10% sur toute déclaration. Le taux était bien entendu laissé à l’appréciation des représentants du peuple.

Hélas les appels d’urgence pour l’amnistie sont restés sans réponse. Et voilà qu’intervient un tiers opérateur, à savoir le Conseil des chambres mixtes tant l’affaire paraissait d’importance.

Nous étions en mai 2018 et à son séminaire réuni pour le sujet,  le président de la Commission des finances dans la précédente législature, Mongi Rahoui, ne s’est pas présenté. Et Slim Besbes, son vice-président, donnait les plus larges promesses pour faire aboutir l’initiative. Le gouverneur de la BCT expliquait qu’il y avait un effet Momentum, propice. En filigrane, il fallait comprendre que l’adoption de l’amnistie n’était pas un coup de pouce en faveur du gouvernement de Youssef Chahed mais un troisième poumon pour l’économie du pays, laquelle économie manquait et manque aujourd‘hui  encore de souffle.

Le scénario Frisson

L’initiative d’amnistie en son temps avait été débattue à l’extrême et discutée à l’envie. Les arguments en sa faveur sont encore plus valables aujourd’hui que nos ressources sont à leur étiage saturant notre capacité de remboursement.

Les agences de rating nous le rappellent avec une certaine sévérité assortissant leur sentence de perspective négative. Le marché international nous tourne le dos. On peut regretter que le pays n’ait pas cultivé une diplomatie financière active. On peut penser que la contre-garantie de gouvernements de pays amis, comme c’est arrivé une première fois avec les USA, serait propice. Nous voilà donc dans la nasse de la dette odieuse.

Cette dernière, pour avoir été mal allouée, nous a mis dans l’embarras. Dans ces circonstances, l’amnistie prend un tout autre relief car elle devient notre planche de salut. Ce qui nous préviendrait des affres de l’austérité ou pire encore du rééchelonnement.

Imaginez le pays convoqué à la barre du Club de Paris* ou de Londres**. Comment repêcher le projet d’amnistie dans le labyrinthe du Bardo ? A moins que par instinct de survie la BCT y trouverait un raccourci, hypothèse plausible.

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* Le Club de Paris est un cadre pour négocier avec les créanciers publics.

** Le Club de Londres est un cadre pour négocier avec les créanciers privés.