La pandémie de Covid-19 a engendré une récession mondiale sans précédent depuis la crise de 1929, avec une perte du PIB mondial estimée à 4,4% par le FMI en 2020. L’Afrique du Nord (hors Libye) devrait enregistrer une croissance négative de 3,6%, contre +1,9% en 2019.

Sur le front de l’emploi, cet impact est d’autant plus significatif que la sous-région souffre d’un chômage endémique (12% en 2019), notamment chez les jeunes (30%), et d’une croissance qui ne crée pas suffisamment d’emplois. Les projections pour 2020 sont variables selon les pays, mais le taux de chômage devrait dépasser les 15% en moyenne dans la sous-région.

L’impact socio-économique sera d’autant plus important que la crise sanitaire semble se poursuivre, et que les économies d’Afrique du Nord sont tributaires de secteurs, comme le tourisme (Egypte, Maroc et Tunisie), ou les hydrocarbures (Algérie, Soudan), qui risquent d’être durablement affectés par la crise sanitaire. Celle-ci met à mal des finances publiques déjà fragiles, avec des déficits budgétaires importants dans certains pays (-9,6% en Algérie, – 8,1% en Egypte et -10,8% au Soudan en 2019), et une dette en forte croissance.

Vers une transformation structurelle forcée

Au-delà de son impact à court terme, la crise aura des conséquences à moyen et long terme qui seront d’autant plus difficiles à gérer que la sous-région souffrait déjà d’un ralentissement de la croissance du PIB par tête et d’une transformation structurelle en berne, celle-ci contribuant trop peu à la croissance de la productivité et à la création d’emplois. La crise, avec son impact asymétrique et durable sur certains secteurs, engendre aujourd’hui une « transformation structurelle forcée » qui est compliquée par les faiblesses structurelles de la sous-région.

Par ailleurs, les Etats sont soumis à la tyrannie de l’urgence, pour faire face aux conséquences économiques et sociales à court terme, alors qu’ils doivent également penser le rebond à moyen terme dans un monde plus incertain et subissant des changements, comme l’accélération du digital ou le changement climatique, qui appellent à une profonde refonte des modèles de développement.

Une révolution numérique à ne pas manquer

Le digital est à la fois une menace et une opportunité pour les pays d’Afrique du Nord, et plus généralement les pays en développement : Une menace parce que le potentiel de destruction d’emplois est très élevé, certaines études sur des pays africains l’estimant à près de 50% des postes existants. Une opportunité parce que le digital est aussi source de création d’emplois, de modernisation de l’Etat et d’efficacité accrue des politiques publiques. Il offre également de multiples applications qui permettent de résoudre plus efficacement les problèmes liés au développement économique et atteindre les ODD (voir par exemple TWI2050 – The World in 2050 (2019)).

L’Afrique du Nord ne doit pas rater la révolution numérique au risque d’accuser un retard qui sera très difficile à combler. La sous-région doit massivement investir dans les infrastructures numériques, renforcer ses capacités technologiques et libérer son potentiel d’innovation.

Nous saisissons là la complexité de la situation à laquelle font face les gouvernements. Il faut à la fois permettre une absorption des chocs à court terme, limiter les pertes d’acquis de développement, réduire leurs vulnérabilités et préparer les pays pour « l’après-Covid-19 ». Ceci est compliqué d’une part par l’ampleur du choc qui rend nécessaires de mener de front des réformes de court et moyen terme, dans de nombreux domaines, et de mobiliser des ressources importantes.

Par ailleurs, la sortie de crise est étroitement liée à une vision de moyen long terme, et il faut donc concevoir des politiques publiques qui mettent en cohérence à la fois les réponses aux défis de court et à ceux de moyen terme. En effet, il ne s’agit pas d’un simple choc conjoncturel, mais d’une crise profonde qui va engendrer une transformation profonde des modes de production et de consommation.

Face à cette situation, la Commission économique pour l’Afrique se tient aux côtés de ses Etats membres.

Financement, médicaments et digitalisation : trois initiatives phares de la CEA

La CEA a lancé trois initiatives clés pour accompagner la relance économique en Afrique. La première est la création d’un fonds spécialisé appelé “facilité de liquidité et de soutenabilité”, notamment pour soutenir les marchés émergents vulnérables et d’autres souverains vulnérables qui ne favorisent pas les initiatives de développement durable et, plus immédiatement, faciliter l’accès aux liquidités, aux prêts et aux investissements dans ces pays.

La seconde se situe sur le plan sanitaire, avec un appel à manifestation d’intérêt auprès des fabricants pharmaceutiques africains pour la production de 107 produits de santé maternelle et infantile (SMI) et de produits de santé essentiels afin de contribuer à accroître l’accès à des approvisionnements abordables et fiables de médicaments de qualité assurée. Cet effort devrait accroître le pouvoir de négociation du continent grâce à des économies d’échelle tout en centralisant l’assurance qualité, une caractéristique nécessaire puisque 42% des faux médicaments saisis par l’OMS chaque année à travers le monde sont découverts en Afrique.

Enfin, la troisième concerne le numérique avec le Centre d’excellence de la CEA pour l’identité numérique, le commerce et l’économie numériques. Celui-ci travaille d’arrache-pied pour aider les pays africains à relever les défis auxquels ils sont confrontés, et œuvre au développement du numérique en vue d’une croissance inclusive et durable et pour transformer nos économies et nos sociétés.

Le 35ème Comité Intergouvernemental des Hauts Fonctionnaires et Experts pour l’Afrique du Nord, que nous organiserons le mardi 17 novembre, sous le thème : « Covid19 : politiques et stratégies de relance pour l’Afrique du Nord » sera l’occasion pour les équipes de la CEA et nos partenaires nationaux d’identifier les priorités des pays membres pour une reprise économique rapide, et sur des bases saines et durables en Afrique du Nord. 

*Secrétaire générale adjointe de l’ONU – Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Afrique