Tunis, Alger et Rabat pavoisent, ces derniers temps, pour avoir repris en main le dossier du conflit inter-libyen avec l’appui de deux puissances qui ont perdu l’initiative en Libye, en l’occurrence la France et des Etats-Unis. Les indices de cette tendance des Maghrébins à se réapproprier le dossier sont nombreux.

L’indice le plus récent remonte au 12 octobre 2020 lorsque la représentante spéciale et cheffe par intérim de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (MANUL), Stéphanie Williams, s’est déplacée à Tunis pour informer le chef d’Etat tunisien, Kaïs Saïed, de la tenue, au début du mois de novembre prochain, en Tunisie, du dialogue politique inter-libyen.

Selon Mme Williams, cette session de dialogue, recommandée par la Conférence de Berlin sur la Libye (janvier 2020) à laquelle la Tunisie n’avait pas été invitée, a pour objectif de jeter les bases de prochaines élections et d’ouvrir la voie à la démocratie en Libye.

Le Maghreb, pour une solution politique sous l’égide de l’ONU

Pour la cheffe de la mission de soutien de l’ONU en Libye, la rencontre de Tunis va établir les dispositions pour tenir ces élections, le plus rapidement possible. Et la principale de ces dispositions, c’est d’installer un pouvoir exécutif garantissant les services vitaux au peuple libyen et préparant, en même temps, les élections.

Concrètement, «la rencontre de Tunis pourrait élaborer une organisation provisoire des pouvoirs, qui servirait de références constitutionnelles, en attendant d’adopter une Constitution», a indiqué le président Saïed à Stéphanie Williams.

Informé par le chef d’Etat tunisien des détails des préparatifs de cette réunion comme l’exige l’étroite coopération bilatérale en la matière, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a salué, selon une dépêche de l’APS, l’organisation par la Tunisie du dialogue inter-libyen sous l’égide de l’ONU.

Le Maroc est également pour un encadrement onusien du conflit. Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a appelé, lors de la tenue d’un dialogue au Maroc entre parlementaires libyens, à une « solution par les Libyens, sous l’égide des Nations unies ».

A rappeler que la réunion de Tunis intervient après les sessions de dialogue qui ont eu lieu en Egypte et au Maroc au mois de septembre dernier, après l’élan de consensus en Libye, suite à plusieurs événements. Parmi ceux-ci, figurent la proclamation d’un cessez-le-feu et l’engagement auprès de la Manul des deux dirigeants actuels à ne pas se présenter aux prochaines élections, allusion au chef du Gouvernement d’Union nationale, Fayez al-Sarraj, et au maréchal Khalifa Haftar.

Cela pour dire que toutes les sessions de dialogue ont eu pour dénominateur commun de plaider pour une solution politique au conflit libyo-libyen.

Les USA parlent désormais de Méditerranée de l’Est et non de Maghreb et d’Afrique du Nord

Les Maghrébins ont été réconfortés, à cette fin, par l’appui de deux puissances mondiales, à savoir les Etats-Unis et la France.

Dans cet esprit, se situent les récentes tournées maghrébines que viennent d’effectuer, aux mois de septembre et d’octobre 2020, le chef du commandement de l’Africom, le général Stephen Townsend et le secrétaire américain à la Défense, Mark Esper.

Au menu : l’insécurité dans la région maghrébine, les menaces que font peser, selon les Américains, l’activisme russe en Libye et l’expansionnisme économique chinois en Afrique, et l’instabilité chronique en Afrique subsaharienne (Niger, Mali, Tchad, Burkina Faso).

Sur le plan militaire, l’un des moyens dont dispose le Pentagone pour promouvoir la stabilité dans la région consiste à améliorer la coopération, l’interopérabilité et la formation des forces armées des trois pays avec leurs homologues des États-Unis et des pays de l’OTAN. Le principal instrument choisi est l’exercice tactique aéroterrestre “African Lion“, manœuvres conjointes de fréquence annuelle auxquelles participe l’armée espagnole.

D’ailleurs, au cours de leur tournée, les responsables du Pentagone ont signé d’importants accords de coopération en matière de défense avec les dirigeants des trois pays du Maghreb central (Tunisie, Algérie et Maroc).

Avec Tunis, le Pentagone s’est engagé à continuer à former et à fournir des technologies de surveillance électronique aux unités militaires tunisiennes pour maintenir la sécurité de sa frontière avec la Libye.

Avec Alger, le Pentagone a exprimé l’intérêt d’accroître la coopération et l’aide des États-Unis, notamment dans la lutte contre les organisations terroristes liées à Al-Qaïda en Afrique et de l’imperméabilisation des milliers de kilomètres de frontière que l’Algérie partage avec la Libye et le Mali.

Avec Rabat, le Pentagone a négocié avec un allié fort, fiable et engagé des États-Unis dans la région les moyens d’aider le Maroc à dynamiser son industrie aérospatiale et de défense.

Mention spéciale pour la nouvelle terminologie géostratégique utilisée par le Pentagone pour dénommer la région. Les Etats-Unis ne parlent plus ni de Maghreb ni d’Afrique du Nord, mais de la Méditerranée de l’Est.

C’est également dans la perspective d’appuyer les efforts déployés par les Maghrébins pour reprendre l’initiative dans le conflit libyo-libyen que le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a effectué, le 15 octobre 2020, une visite en Algérie.

A Alger, Le Drian a « plaidé pour une plus grande implication des pays voisins de la Libye dans la recherche d’un règlement politique de la crise qui secoue ce pays ».

« Le rôle des pays voisins est essentiel, parce qu’ils sont les premiers concernés par les risques que fait peser cette crise et qu’ils peuvent jouer un rôle stabilisateur auprès des acteurs libyens à l’inverse des ingérences des puissances extérieures », a déclaré le chef de la diplomatie française, à l’issue d’un entretien avec le président algérien, Abdelmadjid Tebboune.

Néanmoins, il faut reconnaître que cet appui franco-américain aux Maghrébins demeure limité, et intervient trop en retard au regard de l’ampleur et de la forte implication d’autres puissances dans le conflit inter-libyen devenu, en l’absence d’intérêt des Etats-Unis de Trump pour cette zone, « le terrain de jeu favori des Russes et des Rurcs ».

La France, qui a soutenu un des protagonistes du conflit, en l’occurrence le Maréchal Haftar, a perdu sa crédibilité et, partant, ne peut plus jouer un rôle déterminant dans la solution politique de ce conflit. En témoignent deux affaires compromettantes : l’interception au mois d’avril 2019 à la frontière tuniso-libyenne d’un convoi de sécuritaires français armés et fuyant les zones de conflit conquises par les milices de Sarraj, et la découverte, en juillet 2019, près de Tripoli, de missiles français abandonnés par les troupes défaites du Maréchal Haftar.

Selon certains observateurs, à travers ce plaidoyer de la France pour une intervention plus dynamique des pays voisins dans le conflit inter-libyen, la France cherche à revenir sur le terrain libyen, voire sur le marché libyen à travers des partenariats avec le Tunisie et l’Algérie.

Cela pour dire que le conflit inter libyen n’est pas un simple affrontement entre les milices de Haftar et celles de Sarraj, mais un conflit à la fois idéologique et géoéconomique.

Ce sera le thème de notre prochain article.

Abou SARRA

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